Dans cette conjoncture si particulière qui voit rognée la place de l’enseignement de l’histoire-géographie au lycée, le titre donné à ce recueil d’interventions d’un historien engagé dans le monde a quelque chose de salutairement provoquant…
Historien engagé, Jean-Noël Jeanneney l’est à double titre. Historien spécialisé des médias, il ne cache pas sa sympathie pour la gaucheJean-Noël Jeanneney fait ici preuve d’une grande honnêteté intellectuelle en mentionnant son engagement politique auprès de la gauche lors de l’introduction de son ouvrage, p. 6. qui n’a pas hésité à le faire pénétrer dans les arcanes du pouvoir. En effet, Jean Noël se qualifie « d’historien aux manettes »Jean Noël JEANNENEY, La République a besoin d’histoire, Paris, CNRS Editions, 2010, p. 6. au regard des nombreux postes qu’il a occupé au sein de la sphère culturelle publique : Présidence de Radio France, présidence de la mission du Bicentenaire de la Révolution française, présidence de la Bibliothèque Nationale de France, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur puis à la Communication sous le second septennat de F. Mitterrand.
Au cours de ce recueil qui fait suite à un premierJean Noël JEANNENEY, La République a besoin d’histoire, Paris, Le Seuil, 2000. , il tente de remettre dans une perspective historique, ses réflexions et ses actions en tant qu’acteur institutionnel de la culture au travers de ses interventions prononcées en public. Ses interventions publiques référencées, introduites et contextualisées avec précision sont de natures diverses : des discours, des articles parus dans Le Monde, Médiapart, Le Débat, Le Figaro, l’HistoireIl fut l’un des fondateurs de la revue l’Histoire, en 1978.
L’ouvrage s’organise ainsi en quatre grandes parties. La première évoque la sphère des médias sur laquelle il a écrit et participé, la seconde s’intéresse à l’édition et plus particulièrement à son action à la tête de la BNF à l’heure du numérique et de la concurrence avec Google, la troisième s’attache à éclairer l’actualité politique par la lueur de l’Histoire et enfin, une dernière partie se veut un plaidoyer plein d’espérance pour l’aventure européenne.

Plaidoyer pour un service public de l’audiovisuel ambitieux comme gage de démocratie et de diversité culturelle

Les interventions publiques de jean Jeanneney ici rassemblées sont des interventions militantes, c’est-à-dire prononcées au service de la défense de valeurs et de principes. Elles sont également engagées car elles sont le fruit de diverses expériences à de grandes responsabilités au sein du service public.
Les premières interventions sont toutes guidées par une même ligne argumentative : il faut protéger et encourager l’audiovisuel public afin de garantir une diversité de l’offre échappant en grande partie au bon-vouloir du marché.
Protéger le service audiovisuel public des aléas et exigences du marché mais aussi et surtout de la tutelle insidieuse du pouvoir. Même si le spectre de l’ORTF semble belle et bien renvoyé de l’autre côté du Styx, Jean-Noël Jeanneney ne cache pas son inquiétude quant à la réforme de l’audiovisuel public en ce qui concerne, notamment, la question du financement liée à la suppression de la publicité ainsi que celle de la nomination du président de France Télévision.
Cette préoccupation de l’avenir de l’audiovisuel public chez Jeanneney s’explique d’une part par ses responsabilités au sein de Radio France dont il ne cesse de défendre le modèle, mais aussi par ses convictions dans le rôle démocratique et culturel de la télévision. Cette profonde conviction l’amène à démonter, histoire à l’appui, la fameuse critique de la télévision par Pierre BourdieuPierre BOURDIEU, Sur la télévision suivi de L’emprise des journalistes, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996., en dénonçant tout à la fois son manque d’objectivité, de scientificité et son mépris d’intellectuel pour ce média populaire.
Ce démontage en règle de l’argumentaire de Bourdieu permet à Jeanneney d’affirmer ses convictions et de mettre en valeur la force argumentative de l’histoire.
En effet, Jeanneney s’oppose à la vision pessimiste et méprisante de Bourdieu pour la télé. Jeanneney la considère au contraire comme un espace de liberté, à l’heure du « zapping », le téléspectateur devient programmateur grâce aux diverses techniques d’enregistrement et à la multiplication du nombre de chaînes. Contre Bourdieu, il affirme également que la télévision, loin d’accompagner systématiquement les émotions et les mentalités collectives du moment, peut au contraire occuper, dans certains cas, un rôle avant-gardiste et salue à ce propos, les magazines aux initiatives courageuses et pérennes tels Envoyé Spécial.
Jeanneney dénonce également le mépris de Bourdieu pour ce média, son public ainsi que les universitaires s’y pressant. Par son expérience du milieu, Jeanneney semble bien placé pour stigmatiser le manque d’objectivité de Bourdieu, ses propos excessifs et peu concrets sur le monde journalistique ainsi que son manque de perspective historique. Selon lui, Bourdieu, le grand sociologue, n’a pas su percevoir, aveuglé qu’il était par son mépris et son dégoût, l’importance et les évolutions en cours de la télévision. Bourdieu a péché par excès de généralisation hâtive et n’a montré, selon Jeanneney, qu’un pessimisme rageur et désabusé, totalement improductif.

La diversité culturelle au risque du marché, le défi d’internet

Jean Noël Jeanneney a occupé une place institutionnelle centrale dans la sphère culturelle publique française, celle de directeur de la BNF de 2002 à 2007Le mandat de directeur de la BNF est d’une durée de 3 ans. Il a été reconduit dans cette fonction en 2005 par Jacques Chirac puis a dû la quitter en mars 2007, car ayant atteint la limite d’âge, 65 ans. .
A cette fonction, il s’est notamment illustré par son offensive contre le projet de Google, l’entreprise du premier moteur de recherche sur internet, de créer une véritable bibliothèque numérique, Google Books en 2004. En effet, Google s’est lancé dans une colossale entreprise de numérisation en passant des partenariats stratégiques avec les cinq plus grandes bibliothèques du monde anglo-saxonLa New York Public Library, la bibliothèque de l’université de Stanford, du Michigan, d’Harvard et d’Oxford.. Jean Noël Jeanneney a alors promptement réagi dans un article du Monde mais également dans un ouvrageJean-Noël JEANNENEY, Quand Google défie l’Europe : plaidoyer pour un sursaut, Mille et une Nuits, Paris, 2005. , à ce projet de numérisation en dénonçant avec force le risque de monopole dans la conservation du patrimoine et de l’héritage culturel mondial. Au-delà des apparences messianiques ou philanthropiques, Jeanneney stigmatise la recherche du profit derrière ce désintéressement de façade mais également le danger d’une domination de l’Amérique sur les idées que les générations futures se feront du monde et du passé.
Car le risque de la numérisation réside bien là pour Jean-Noël Jeanneney, dans le choix des ouvrages à conserver et non dans l’usage de la technologie qui ne mettra pas fin de sitôt au règne du livre. Face à ce projet commercial, Jeanneney lance donc plus qu’un appel, une véritable contre-attaque qui ne peut s’inscrire que dans le cadre européen.
En effet, selon lui, l’Europe ne doit pas simplement être un vaste marché mais également et surtout un centre de rayonnement culturel et politique dans le monde. A l’heure de la division sur l’avenir à donner à l’Union européenneNon ratification du Traité européen par la France en 2005. , Jeanneney voit dans le projet d’une bibliothèque numérique européenne, un moyen de rassembler de nouveaux les différents acteurs. Gallica, bibliothèque numérique de la BNF passe alors le témoin, en 2007 à Europeana qui affiche un projet ambitieux, numériser de 100 à 200 000 ouvrages par an.

Cinq ans à la tête de la BNF, la culture au risque de la gestion

Dans une lettre fleuve adressée aux personnels de la BNF en mars 2007, Jean-Noël Jeanneney offre ses remerciements et sa reconnaissance à son équipe qu’il aura dirigée durant 5 ansPour la petite histoire, Jean-Noël Jeanneney n’a pas été reconduit par Jacques Chirac malgré le vote d’une loi repoussant l’âge de retraite des présidents d’organismes publics à 65 ans. Il n’a même pas pu finir son second mandat, p. 137. .
Jean-Noël Jeanneney dresse ici un bilan globalement positif de son action en n’omettant pas les petits détails ou incidents matériels et financiers qui ont pu émailler ses mandats à la tête de la BNF. Tout en ayant pris soin de rappeler les objectifs de la BNF, préserver, protéger et sauvegarder, il présente un bilan flatteur de la fréquentation de la BNF en 2006 : 1,3 millions de livres consultés en 2006 contre seulement 600 000 en 2000, et 3 000 visiteurs en moyenne en salles publiques (1 700 en salles de recherches). Il expose également les grands travaux et projets qui ont été mis en œuvre sous son ère : transfert de 13 millions d’ouvrages du site de Richelieu à Tolbiac soit un inventaire de près de 4 ans ! L’acquisition des deux globes de Coronelli le 3 octobre 2006, la mise en place d’un espace d’exposition permanent concernant l’histoire de la BNF depuis Charles V.
Il n’oublie pas cependant les difficultés et petits tracas du quotidien nous faisant ainsi pénétrer dans les péripéties et aléas de la gestion quotidienne d’un tel service national : fuite d’eau dans la Tour des Temps en 2004, le vol de manuscrits hébreux par un conservateur, la nuisance des passereaux dans la forêt intérieure malgré la venue de faucons… Il nous entraîne au cœur des arcanes de la gestion d’un si grand, d’un si prestigieux service national et nous en dévoile l’envers du décor : des sites vétustes exposés aux périls du feu par exemple. Un décor qu’il faut entretenir et dont les pouvoirs publics rechignent à préserver, tel le site Richelieu fonctionnant encore en partie en 110 voltsOp. Cit, p. 111. ! Il nous conte ensuite les difficultés et lenteurs du politique et de l’administratif pour obtenir gain de cause et financement de ces travaux de réfection alors que lors d’une entrevue, le président Chirac avait lui-même ordonné le lancement du processus, il fallu plus d’un an.
Jeanneney, en tant que président de la BNF se préoccupe aussi beaucoup de la publicité de la bibliothèque : montrer, attirer faire connaître, rendre accessible… par les biais d’une revue trimestrielle, d’expositions et de publications. Egalement, Jeanneney a souhaité faire de la BNF un lieu de rencontres, et outre les diverses expositions, ont été organisées des conférences et des projections d’avant-premières.
Enfin, il revient sur le défi qui attend la BNF dans les années à venir, celui de la technologie et en particulier du numérique et d’internet. Cette technologie a permit de mieux gérer ce vaste service et de le rendre attrayant pour les utilisateursCréation du catalogue en ligne « Opale plus ». ; et revient enfin sur le projet européen initié par la France de bibliothèque numérique, Europeana.

Histoire, politique et religion, les liaisons dangereuses

Au cours d’une troisième partie, Jean-Noël Jeanneney reprend ses habits d’historien militant pour nous exposer quelques réactions qu’il a commises dans Le Monde et l’Histoire au sujet de l’actualité politique du moment à savoir 2002, les relations de Sarkozy vis-à-vis des grands hommes de gauche, la messe et les présidents de la République, les caricatures de Mohammed et Lafayette au Panthéon…
A la lumière du passé, Jean-Noël Jeanneney tente, au cours de ses interventions publiques sur l’actualité, de présenter l’histoire comme un outil intellectuel indispensable à la compréhension du présent ainsi qu’aux dénonciations des manœuvres politiciennes. Les convocations, à des fins politiques, de grandes personnalités apparentées à la gauche française par le candidat de l’UMP aux élections présidentielles de 2007 offre un cas d’école à l’historien pour dénoncer, à l’aide des faits passés, les contradictions voire l’ironie qui résultent de telles récupérations. La conclusion de Jeanneney dans son article paru dans Le Monde en avril 2007 est cinglante ; en effet, lui n’y voit qu’un acte de contrition de la droite forcée, au fil des républiques de se convertir en partie aux idées de progrès défendues par ces grands hommes…
Jean-Noël Jeanneney revient également, à l’occasion d’un voyage du Premier ministre Raffarin à Rome lors de la béatification de Mère Teresa, sur les pratiques de plusieurs présidents d’assister, en public, à des cérémonies religieuses. A ce propos, il convoque l’histoire et Clémenceau pour qui la chose était impensable après 1905. Il évoque le comportement de Clemenceau en 1918, qui reste intraitable sur le fait d’assister à une messe alors qu’en 1940, Paul Reynaud s’y plia. Il relate également la pratique personnelle du Général de Gaulle qui assistait aux messes en public mais refusait d’y participer par le biais de la communion. Alors, lorsque Raffarin s’agenouille devant le Saint Père à Rome, l’historien militant Jeanneney ne peut s’empêcher de penser à Clémenceau…
Concernant toujours la place de la religion dans les démocraties occidentales, Jeanneney aborde la polémique suscitée par les caricatures de Mohammed au Danemark, en 2006. A l’aide de l’histoire, il rappelle aux Français que la Restauration a rétabli une loi sur le sacrilège et que la séparation entre temporel et spirituel n’est pas si ancienne que cela. Au détour de cet épisode historique, Jeanneney se permet de rappeler que la loi d’un Etat démocratique, si elle n’est pas destinée à ratifier telle ou telle foi, doit cependant veiller à ce que les convictions religieuses de chacun puissent s’exprimer librement sans atteintes à l’ordre public.
Enfin, Jeanneney se penche sur l’éventualité de transférer Lafayette, le héros d’Amérique, au Panthéon. Cette possibilité fut soulevée en 2007 lors d’un voyage du président français à Washington, dans le souci de réchauffer les relations franco-américaines après l’opposition de la France sous Jacques Chirac, à la guerre en Irak. Jean-Noël Jeanneney reste cependant dubitatif et ne résiste pas au plaisir de nous rappeler les faits et gestes du jeune héros des Amériques. Sans occulter ou minimiser son rôle aux côtés des Insurgents, il souligne cependant le comportement du général lors de l’épisode révolutionnaire : fusillade du Champs de Mars, trahison de la patrie en août 1792 et tentative de retournement de l’armée du Nord contre l’Assemblée… Ainsi que son attitude politique lors de la Révolution de 1830 lorsqu’il apporta son soutien à Louis-Philippe face aux républicains… Comment, à la relecture de la carrière politique de Lafayette, pourrait-on l’inhumer aux côtés de généraux (Carnot, Lannes, Marceau) tombés pour la patrie ? Ou aux côtés de républicains prestigieux comme Condorcet ou Monge à qui il s’opposa en 1830 ?

L’identité politique et culturelle de l’Europe au risque de l’Amérique?

Dans un dernier temps, à l’heure où l’Union européenne se cherche encore, Jean-Noël Jeanneney s’interroge sur la place et le rôle que doit tenir l’Union européenne dans le monde. Sur une demande de rapportRapport demandé par Dominique Strauss-Kahn chargé de mission par Romano Prodi de la Commission européenne sur « Construire l’Europe politique ». , Jeanneney tente d’esquisser les contours d’une identité européenne. Et, comme toute identité, il décide de la définir par rapport à celle d’une autre grande entité géopolitique et culturelle et ici, Jeanneney choisit logiquement les Etats-Unis. Avec le recours explicatif de l’histoire qui lie ces deux rives de l’Atlantique, Jeanneney souhaite nous montrer que la destinée de l’Europe On emploi ici le terme global Europe, qui recouvre pour nous essentiellement l’Union Européenne actuelle, sans la Russie et la Turquie. ne peut s’inscrire que dans l’autonomie et l’indépendance de celle-ci vis-à-vis des Etats-Unis quelque soit l’histoire et les dettes, les liens qui les lient si étroitement.
Dans cet article d’un grand intérêt réflexif, Jeanneney se penche d’abord sur les idées fausses et les dettes que l’Europe et les Etats-Unis auraient contractées entre eux au fil de l’histoire et qui empêcherait toute prise d’initiative et d’autonomie, surtout de la part de l’Europe. Ainsi il souligne que les convergences historiques qui unissent les deux rives de l’Atlantique Nord doivent constituer une solide base pour l’amitié entre les peuples et non au contraire un frein psychologique ou moral à une prise de position indépendante. Il rappelle à ce propos que Lafayette ou Rochambeau, tout comme Wilson, Roosevelt ou Marshall ont avant tout agi en servant leurs intérêts bien compris…
Dans un second temps, il expose les objectifs et les moyens que l’Europe doit se donner pour exister à côté des Etats-Unis et non dans son sillage toute en continuant d’entretenir des relations étroites avec eux. Jeanneney prône la menée d’une realpolitik par l’Union Européenne, en tenant compte de son histoire, celle des Lumières. En effet, selon lui, l’Europe ne peut exister qu’en alliant valeurs et principes moraux (issus des Lumières) et pragmatisme. Ainsi, l’Europe doit poursuivre des buts qui lui sont propres : protéger la planèteProtéger la planète en s’opposant aux Etats-Unis qui n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto. , œuvrer au rééquilibrage de la répartition richesses, la défense des Droits de l’Homme et de la démocratie. Pour ce faire, l’Europe doit renoncer au tout marché en lui imposant la régulation par la puissance publique. L’Europe doit également, pour imposer ses vues, se doter d’une défense continentale, militaire mais aussi diplomatique par un siège unique de l’UE aux Nations Unies. La culture ne doit pas être laissée aux mains du seul marché et les langues abandonnées à la domination anglophone.
Enfin, comme pour répondre à la célèbre réplique de Donald RumsfeldDonald Rumsfeld alors secrétaired’Etat américain à la Défense a qualifié, en janvier 2002, la France et l’Allemagne qui s’opposaient à une intervention militaire en Irak, de « vielle Europe »., Jeanneney se penche sur le temps long pour comprendre les tensions qui ont jalonné et jalonnent encore les relations entre ces deux rivages atlantiques. Pour Jeanneney, la « vieille Europe » tient sa force de la lente maturité de sa civilisation et ses sociétés, ainsi que des épreuves qu’elle a dû endurer. L’unification, volontaire, de l’Europe fut le fruit d’une lente maturation et son achèvement en cours n’est encore que très récent comparé à celui des États-Unis.
Jeanneney termine son rapport sur l’identité de l’Europe par une pirouette historique en affirmant que les présidences de George. W. Bush auront au moins eu le mérite et l’intérêt de faire prendre conscience à l’Europe de son rôle à jouer dans le monde comme contre point d’une puissance étatsunienne aux relents parfois impérialistes et donc dangereux pour le maintien de la paix dans le mondeJean-Noël Jeanneney évoque même une situation « pédagogique » pour l’Europe, que cette élection de George W. Bush, démontrant ainsi les dangers de l’unilatéralisme et la nécessité d’une Europe forte et unie pour maintenir un multilatéralisme salutaire pour le monde.
La réflexion sur l’identité de l’Europe est prolongée dans un dernier article écrit à l’occasion des Rendez-vous de l’Histoire de Blois de 2008 consacrés aux « Européens ». Cet article pose alors la question de savoir si les identités nationales constitueraient un levier ou au contraire un frein à la construction de l’Europe.
Pour Jeanneney, la force et l’avenir de l’Europe résident avant tout dans son ambition universaliste afin de rassembler les souverainetés dont elle est issue.

Conclusion : Démonstration pour l’utilité de l’histoire dans la compréhension des sociétés présentes

Malgré la nature de l’ouvrage, un recueil d’articles, lettres, interventions, Jean-Noël Jeanneney réussit à maintenir tendu, au travers de ses divers propos, un fil conducteur principal à savoir l’histoire comme outil de compréhension des sociétés présentes.
Cet ouvrage dévoile également la figure, relativement atypique en France du moins, d’un historien dans son temps, et non enfermé dans sa tour d’ivoire du savoir. Historien dans son temps mais aussi militant pour les valeurs de la République, il ne cache pas et revendique même, par soucis d’honnêteté intellectuelle, son engagement pour la gauche française. Cet engagement s’est traduit par sa participation à certaines responsabilités culturelles et politiques ayant toutes pour trait commun, la défense d’une certaine idée du service public en matière culturelle.
L’enseignant d’histoire-géographie pourra trouver dans ce livre des réflexions pertinentes fondées sur une grande connaissance des évènements du passé. Il y trouvera également un argumentaire basé sur l’histoire, une Histoire qui doit servir à éclairer le présent.
Finalement, le plus intéressant dans ce recueil est la vision de l’histoire que possède Jean-Noël Jeanneney et la manière dont il la met à contribution dans ses argumentaires mais également au service de ses responsabilités.
A l’heure où la place de l’histoire semble être discutée, insidieusement, dans notre société et en particulier au sein de l’école républicaine, il est presque un devoir pour les enseignants de s’inspirer des raisonnements de Jeanneney afin de redonner, dans leurs cours, une profondeur, une hauteur à l’histoire.

La République a besoin d’histoire parce qu’elle a besoin de citoyens avertis, cultivés et sensibilisés à l’esprit critique et à la prise de distance par rapport au présent, c’est ce qu’offre l’histoire à tout ceux qui décident de s’y atteler, amateurs comme professionnels.

Sébastien Coupez