La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique »
La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique » – ou CHM pour les initiés – (publiée depuis 1982) est désormais présentée par le service de presse des Clionautes, dans le cadre de la Cliothèque. Cette revue réunit des travaux de chercheurs français (pour la plupart) sur les évolutions historiques de la Franc-Maçonnerie française, liée à la plus importante obédience française : c’est-à-dire le Grand Orient De France ou GODF. L’abonnement annuel à la revue Chroniques d’histoire maçonnique comprend 2 publications par an expédiées en décembre et juin. Cette revue est réalisée avec le concours de l’IDERM (Institut d’Études et de Recherches Maçonniques) et du Service Bibliothèque-archives-musée de l’obédience du Grand Orient De France (GODF). L’éditeur délégué est Conform Edition.
« Chroniques d’Histoire Maçonniques » n° 80 (Été-Automne 2017) : 1717-2017 : Autour du tricentenaire de la naissance de la franc-maçonnerie. Ce numéro est composé d’un avant-propos du Comité de rédaction et d’un unique dossier comportant 4 articles. Ce numéro ne comporte donc pas les rubriques habituelles : Études, Portraits et Documents, à l’exception notable du Dossier. Ce dernier numéro de l’année 2017 (année maçonnique marquée par les célébrations des trois cents ans de la naissance de la Grande Loge d’Angleterre) s’ouvre avec la contribution de l’historien Pascal Dupuy destinée à mettre en perspective les liens entre le Royaume-Uni et la France pour comprendre les relations entre les deux franc-maçonneries européennes. Puis, l’article de Cécile Révauger montre, en effet, que 1717 fut un événement fondateur créé par les enjeux de pouvoir entre les Grandes Loges d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse. Le propos de Roger Dachez, qui précèdent ceux de Philippe Langlet sur le cheminement des Constitutions de 1723 qui découlèrent de l’événement fondateur de 1717, permettra de voir que l’éclosion des premières Loges parisiennes, loin de répondre seulement à une logique de diffusion fondée sur les relations politiques entre les deux royaumes, dut composer avec des enjeux inhérents à la société française. Ces remarques invitent ainsi aussi, au-delà de la mise au point nécessaire sur un moment fondateur de 1717, à réinvestir l’étude de la franc-maçonnerie dont le succès allait dépasser rapidement l’horizon des deux rives de la Manche.
DOSSIER : 1717-2017 : Autour du tricentenaire de la naissance de la franc-maçonnerie
. Les royaumes de France et d’Angleterre en 1717 : regards croisés (Pascal Dupuy) : pp. 6-18
Le premier article (rédigé par Pascal Dupuy) s’attache à comprendre la nature des relations entre la France et l’Angleterre au moment où se joue l’histoire de la fondation de la Grande Loge de Londres, en 1717. Dans cette perspective, après avoir mis à profit les apports de l’historiographie récente sur l’état de la France au lendemain de la mort de Louis XIV, l’auteur présente le regard que porte l’Angleterre sur le royaume de France en mettant en avant ses propres caractéristiques politiques, religieuses et sociales, puis il s’attache à souligner l’apaisement des tensions entre les deux États durant ce moment survenu après une période de tumulte. Enfin, Pascal Dupuy évoque la naissance, en 1712, de John Bull qui, dans les images et la conscience collective, incarnera la nation britannique que tout oppose à la France royaliste puis républicaine et napoléonienne.
. L’émergence de la Grande Loge d’Angleterre (Cécile Révauger) : pp. 19-31
Le deuxième article (écrit par Cécile Révauger) est consacré à l’émergence de la Grande Loge d’Angleterre. Pour cela, l’auteure examine tout d’abord les éléments connus jusqu’à septembre 2016 et la tendance au psittacisme de plusieurs chroniqueurs et historiens de la franc-maçonnerie. Puis, elle s’attache aux découvertes faites par Andrew Prescott et Susan Sommers et à leurs implications immédiates. Enfin, Cécile Révauger s’attache à la signification politique de la naissance de la franc-maçonnerie anglaise, en la replaçant dans le contexte du pouvoir hanovrien et des Lumières.
Depuis les découvertes de Susan Sommers et d’Andrew Prescott, Cécile Révauger peut raisonnablement affirmer que la Grande Loge d’Angleterre n’a pas vu le jour en 1717 mais quatre ans plus tard, en 1721 et que James Anderson a délibérément triché sur la datation dans son texte de 1738, très certainement à la demande de la Grande Loge d’Angleterre, d’une part afin de permettre à plusieurs de ses membres de demander une aide financière en raison de leur ancienneté, et d’autre part afin de revendiquer une ancienneté plus grande que ses homologues irlandais et écossais.
Sur le fond, ces découvertes ne changent pas la signification de l’émergence de la Grande Loge d’Angleterre, mais ne font que la renforcer. Ce fut un acte éminemment politique, à la fois sur le plan interne et externe. Sur le plan interne, il s’agissait d’affirmer la plus grande ancienneté de la Grande Loge d’Angleterre par rapport à la Grande Loge d’Irlande et d’Écosse. Sur le plan externe, la Grande Loge d’Angleterre apportait tout son soutien à la dynastie hanovrienne. Ce faisant, elle prenait toute sa place dans la dynamique des Lumières en prônant la tolérance religieuse et en adhérant à la monarchie parlementaire des Hanovriens anglicans qui se substituait à la monarchie absolue de droit divin des Stuarts et des jacobites catholiques.
La Grande Loge d’Angleterre se reconnaissait dans la sociabilité et la culture scientifique des Lumières. En affirmant que l’homme pouvait prendre en main son destin et agir sur la nature, elle l’émancipait de tous les dogmes, même si elle continuait à exclure femmes, esclaves et athées. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que le pape Clément ait réagi aussi violemment en 1738, justement l’année de publication de la seconde édition des Constitutions, en excommuniant tous les Maçons, en réprimant sévèrement une Loge florentine qui comptait plusieurs Anglais et Italiens éclairés, tels que Crudeli, mort en 1745 d’une tuberculose qui s’était aggravée pendant les quinze mois de sa détention dans les cachots de l’Inquisition. La franc-maçonnerie est bien née des Lumières et dut parfois en payer le prix.
. Les premiers pas de la franc-maçonnerie française : retour sur les premières loges de Paris (Roger Dachez) : pp. 32-61
Le troisème article (rédigé par Roger Dachez) retrace les premiers pas de la franc-maçonnerie française, à partir de 1689, dans le royaume de France. Les premiers pas supposés de la franc-maçonnerie en France commencent par ce que beaucoup d’historiens considèrent comme une légende, en tout cas un récit qu’aucun document ne vient confirmer. Il reste que cette légende fondatrice, quelle qu’en soit la source réelle, n’était pas inconnue des premiers francs-maçons parisiens.
À partir de 1689, en effet, suite à la défaite de la dynastie des Stuarts, chassée du trône par la Glorieuse Révolution de 1688, c’est tout un peuple qui vint s’établir en France, notamment autour de Saint-Germain-en-Laye où le roi Jacques II organisa sa cour, bientôt rejoint par des régiments, à partir de 1690. Nombre de ses partisans et leurs familles se fixèrent en France où ils devaient faire souche : à Saint-Germain-en-Laye, on pourra compter environ 2500 réfugiés autour de la cour du roi déchu, et sans doute autant à Paris. Il s’agissait pour environ 60% d’entre eux d’Irlandais, d’à peu près un tiers d’Anglais et d’une très faible minorité d’Écossais, soit environ moins de 10%. On estime aujourd’hui que 40.000 à 50.000 jacobites environ émigrèrent vers la France, dont une bonne moitié de militaires. C’est précisément ces derniers qui fournissent les éléments de la première légende de l’histoire maçonnique française. Les étapes de sa constitution sont en elles-mêmes révélatrices des enjeux, toujours contemporains, de l’historiographie sur les débuts de la franc-maçonnerie en France.
. Les Constitutions de 1723 et leurs traductions en français : Éléments d’étude (Philippe Langlet) : pp. 62-94
Ce quatrième article (écrit par Philippe Langlet) est consacré aux Constitutions d’Anderson de 1723 et à leurs traductions en français. En France, on a l’habitude de traiter de deux éditions des Constitutions d’Anderson, celles de 1723 et de 1738, comme si elles avaient le même statut. On les traite souvent ensemble, la seconde ayant pour les « historiens » français l’avantage, pensent-ils, de continuer la première, sinon de la compléter. Or, la première édition a été réalisée à la demande du groupement de Loges nouvellement créé en 1717, alors que la seconde l’a été par la seule volonté de son auteur James Anderson (1679 – 1739). En effet, si Anderson indique qu’il est l’auteur du texte dans la liste des Loges (James Anderson A.M. [sic] The Author of this Book. Master) incluse dans la première édition, il ne signe pas le livre. Le texte de 1723 est un texte « anonyme », donc d’une certaine manière collectif. Dans cette version, il ne fait pourtant aucun doute qu’Anderson en a été le rédacteur, surtout de la première partie qui ressemble beaucoup à son livre sur les généalogies (Royal Genealogies) qu’il publiera en 1732. La version dite de 1738 est entièrement son oeuvre : il la signe et en assume l’entière paternité. S’il reprend en grande partie son texte de 1723, il y ajoute divers éléments. Cependant, cette version de 1738 n’a jamais été reconnue comme officielle par la Grande Loge de Londres et de Westminster et il a fallu plusieurs mises en vente avec de nouvelles pages de titre et frontispices, pour en achever de vendre le stock. L’édition de 1738 est née en fait sur un coup de colère d’Anderson ayant découvert, peu de temps après l’épuisement de l’édition de 1723, qu’un « frère », avait réédité l’essentiel de son texte en format « de poche ». William Smith avait produit ainsi, sans autorisation, ce qu’Anderson considérait comme une édition pirate de « ses » Constitutions.
Les plus anciennes traductions en français ont été réalisées peu après la mise en vente du texte de 1723. Ces versions ont une caractéristique : ce sont moins des traductions que des réinterprétations, souvent circonstancielles, des Constitutions anglaises. On les considère malgré tout comme des traductions, tout en reconnaissant parfois qu’elles peuvent s’écarter du texte original. Elles entrent dans la catégorie des belles infidèles. Les plus connues de ces « traductions » sont celles du néerlandais Johan Kuenen (1700-?) de 1736 et du français et marquis Louis François de La Tierce (1699-1782/4) de 1742. Ces deux traductions sont l’oeuvre de deux francs-maçons.
Parmi les traductions modernes en français, les deux premières éditions bilingues complètes les plus connues sont des traductions du XXe siècle, l’une du Mgr Ernest Jouin (1844-1932) de 1930, l’autre de Maurice Paillard de 1952. Comme l’a justement signalé Daniel Ligou, entre les « traductions » du XVIIIe siècle et celles du XXe siècle, il y a eu une longue période de silence. Ce n’est pas la seule différence entre les deux périodes. Le XVIIIe siècle avait toujours proposé des textes interprétés, le XXe siècle produit des traductions aussi fidèles que possibles, au moins sans « réécrire » les Constitutions mais, bien entendu, marquées parfois très fortement par la formation culturelle des traducteurs. Le XIXe siècle et le début du XXe n’ont pas été très préoccupés par les Constitutions, ni par l’exactitude des textes des Constitutions dont on disposait. Les débats maçonniques portaient surtout sur les polémiques à propos de questions philosophiques, et surtout, sociales et politiques. En outre, on s’est efforcé, en France, d’occulter les sources anglaises, en construisant des édifices plus ou moins solides pour essayer de justifier les origines françaises de la franc-maçonnerie. Ce souci n’a pas disparu, mais prit d’autres formes. On s’est aussi beaucoup penché sur des sources chevaleresques ou templières, qui semblaient plus exaltantes à première vue que celles de prétendus constructeurs, ancêtres des francs-maçons « de théorie », même si ces derniers avaient construit, en priorité, des cathédrales. Au XXe siècle, les premiers à s’être préoccupés des Constitutions d’Anderson ont été les adversaires de la Maçonnerie, comme Mgr Emest Jouin, protonotaire apostolique, historien et anti-maçon cultivé. En 1930, il réalise sa propre traduction, dans le cadre de sa lutte contre les « sociétés secrètes » parmi lesquelles il inclut la franc-maçonnerie. Puis vint, en 1952, la traduction littérale de Maurice Paillard (longtemps Vénérable de la Loge Hiram du Grand Orient de France de Londres) et coiffeur-posticheur de profession. En 1954, les éditions Edmond Gloton publient un texte des Frères Fernand et Gérard Duriez, appartenant au Grand Orient de France. En 1978, Daniel Ligou (1921-2013) fournit une nouvelle édition en juxtalinéaire (original en anglais sur la page de gauche et sa traduction en français sur la page de droite). C’est actuellement la traduction en français la plus connue. En 1995, Patrick Négrier et Georges Lamoine proposent également chacun leur traduction des Constitutions d’Anderson. En 2001, Jean Ferré propose sa propre traduction précédée d’une page d’introduction. Puis, vint celle de Bruno Étienne (1937-2009), en 2007, soit deux ans avant sa mort faisant paraître une traduction française précédée d’une préface stimulante. Pour conclure de manière provisoire la question des textes maçonniques traduits, la meilleure traduction est probablement celle qui est en devenir…
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour la Cliothèque)