Rédiger un compte rendu de lecture sur un épisode majeur de l’histoire de Béziers et du Midi viticole, à l’occasion du centenaire de cet événement, lorsque l’ouvrage qui le relate a été écrit par deux de ses maîtres, est un exercice redoutable. L’auteur de ces lignes est installé au cœur de cette plaine du bas Languedoc, là où, cent ans après la révolte de 1907, les mêmes causes produisent les mêmes effets. La crise viticole actuelle qui touche particulièrement les espaces méridionaux mais pas de façon exclusive, est pourtant bien différente de celle d’il y a un siècle. Les formes de la contestation, violentes et radicales il y a seulement un quart de siècle, notamment en 1976, se sont, en apparence seulement policées, mais la crise n’en demeure pas moins profonde. Contrairement à celle de 1907, les tensions actuelles doivent beaucoup à la mondialisation et au recul de la France sur les marchés mondiaux du vin. Celles de 1907 étaient aussi liées à la mévente mais des réponses nationales étaient alors possibles d’autant plus que l’agriculture française était alors protégée par les lois Méline de 1892. Plus rien à voir aujourd’hui. Le négociant « sucreur » et fraudeur, qui mouillait les vins contre lequel se révoltaient les vignerons méridionaux a été remplacé par les grands groupes agro industriels qui imposent sur les marchés des produits standardisés, largement issus de grands vignobles appelés du nouveau monde où les contraintes réglementaires sont faibles tous comme les charges salariales.
L’ouvrage de Rémy Pech et de Jules Maurin relate précisément le contexte et les événements qui ont conduit un régiment d’infanterie envoyé face aux manifestants à se mutiner. Depuis, cet épisode est resté à jamais ancré dans la mémoire collective. Les banderoles de ces manifestation du printemps 1907 sont ainsi pieusement conservées au musée de Cruzy, tandis que la chanson de Montéhus, consacrée aux soldats du 17e de ligne est toujours apprise aux écoliers dans certains villages.
Le livre se compose de trois volets. Le premier situe l’événement dans son contexte, avec la particularité du recrutement militaire local et les réactions des autorités à ce fait sans précédent que constitue une mutinerie de soldats, chargés, en l’absence à cette époque d’un corps spécialisé, de réprimer sur ordre de l’état des mouvements populaires, donc éventuellement d’ouvrir le feu sur des civils.
Le deuxième volet de l’ouvrage est constitué par la publication commentée de neuf récits de mutins, des témoignages riches, sur les faits eux-mêmes mais aussi leurs conséquences avec le séjour punitif à Gafsa, dans le sud tunisien, protectorat français à cette époque.
Enfin, les deux historiens dressent un bilan historiographique de l’abondante production littéraire et journalistique de l’époque.
Dans le premier volet, Jules Maurin décrit minutieusement les causes de la mévente et ses conséquences sur les prix, passant de vingt francs l’hectolitre à sept en moins de quatre ans. A partir de mars 1907, dans la commune d’Argelliers, à la limite de l’Aude et de l’Hérault, Marcellin Albert, vigneron et cafetier, mobilise ses concitoyens. Ouvriers agricoles, on dit alors « ramonets », propriétaires, artisans liés à la vigne comme les taillandiers, produisant les outils de taille, se réunissent et entraînent avec eux les villages voisins. A partir de mai, ce sont des mots d’ordre qui relèvent du régionalisme qui apparaissent avec Ernest Ferroul, le maire de Narbonne. Il parle de ces barons du Nord, les négociants fraudeurs et sucreurs , descendants de ceux qui, lors de la croisade contre les albigeois, ont mis le Midi à feu et à sang. Le sac de Béziers et 1209 est encore présent dans les mémoires de ces républicains, attachés aux libertés méridionales et à leur identité régionale. L’occitan, appelé patois, est la langue de certains discours, compris évidemment par tous.
Dans cette zone du bas Languedoc, l’armée est présente au cœur de la cité, en Agde comme à Béziers, et Jules Maurin, spécialiste de la conscription sous la troisième République rappelle l’inscription dans l’espace urbain de cette présence militaire. Les règles de la conscription de l’époque expliquent pourquoi les soldats du 17e sont originaires du Biterrois à 85%.
Le second volet est rédigé par Rémy Pech, qui fut, comme son co-auteur Jules Maurin président d’université, est spécialiste de l’histoire de la viticulture languedocienne. Il annote et commente les témoignages de Joseph Guiraud, de Castelnau de Guers, d’Elie Castan, d’Alignan du Vent, de Joseph Batut de Thézan les Béziers, du bourrelier Georges Durand, de Siran, d’Edmond Moulières d’Adissan, du laitier biterrois, François-Joseph Rabat, d’Albert Gaches de Sérignan, du charretier de Magalas, Jacques Bozon et du l’électricien de Capestang, Joseph Marius Fondecave. Tous ces hommes aux destins entrecroisés racontent leur histoire, sans avoir conscience de l’inscrire dans ce que l’on appellera par la suite, le devoir de mémoire. Leurs récits de la révolte s’entrecroisent, même si une part est consacrée à leur séjour punitif à Gafsa. Tous ces hommes, à l’exception de Fondecave, considéré comme un meneur n’avaient pas forcément conscience de la gravité de leur acte. Le refus d’obéir était évident, dès lors que la révolte de leurs parents et amis était légitime.
Le troisième volet, toujours rédigé par Rémy Pech met en avant la trace, le texte et la mémoire. L’auteur revient alors sur ces cartes postales, ces poèmes et ces chansons, pieusement transmises de générations en générations. Il remet en cause une légende vivace encore aujourd’hui, de ces soldats du 17e, volontairement envoyés à la mort en 1914, notamment à Montfaucon. En fait, les pertes du 17e ne semblent pas fort différentes de celles des autres régiments d’infanterie si l’on s’appuie sur la thèse de Jules Maurin.
Les chansons d’époque, même chantées par Rémy Pech qui ne résiste pas toujours au plaisir de chanter « le 17e à Gafsa » sur l’air de la tonkinoise, traduisent aussi le sentiment de l’époque sur cet événement. Un mélange d’esprit frondeur et d’attachement à la république, mal servie par « les dépu-pu, les députés qui, comme dans la chanson, se la gondolent.
Pour finir, et sur l’air de la tonkinoise, ce refrain que d’aucuns vignerons languedociens pourraient reprendre aujourd’hui, victimes de la standardisation et de leur non maîtrise des marchés.
Nous chanterons l’air à la mode
Guerre à la frau, guerre à la frau, guerre à la fraude,
A bas l’infâme sucrage
Et pour toujours guerre au mouillage.
Nous ne voulons que la justice
Il faudra bien, il faudra bien que ça finisse,
Comme le bon vin naturel,
Le bon droit est immortel.
Bruno Modica