Cet ouvrage intitulé par le sigle, un peu abscon pour les non spécialistes des questions internationales, DDR, est consacré à ce qui succède aux accords de paix signés de par le monde. Dès qu’un conflit s’achève, les historiens le savent, vient le temps de la reconstruction. Mais, contrairement à ce qui s’est passé après la seconde guerre mondiale, il n’y a plus d’oncle d’Amérique pour venir injecter quelques milliards de dollars dans une Europe exsangue. La sortie de crise dans les pays les plus pauvres suppose aussi que les combattants, qui n’ont jamais connu dans leur courte existence que la guerre, participent au passage d’une situation de belligérance à la paix. Ce retour à une vie normale est sans doute, comme le démontrent les contributeurs de cet ouvrage, plus difficile encore que la signature de la paix dans les chancelleries, une paix qui risque souvent de rester lettre morte dans les faits.
La première partie de l’ouvrage fait une large place aux étapes de DDR, parties intégrantes du processus de paix. Dans ce contexte, le rôle des Nations Unies est absolument essentiel et les auteurs publient d’ailleurs le guide pratique et théorique d’un programme DDR ainsi que la démarche des Nations Unies présentée par le Secrétaire général de l’époque, M. Kofi Annan. Deux exemples concrets viennent à l’appui de ces présentations, celui de l’Albanie, associant désarmement et développement, et celui d’Haïti où se pose le problème de la déliquescence déjà ancienne d’un Etat.
Les autres parties de l’ouvrage appréhendent des situations très variées. L’intérêt de cette synthèse pour les non diplomates ou pour ceux qui n’auraient pas de raisons particulières de suivre tel ou tel programme de DDR dans un pays ou un territoire particulier, est de dresser un inventaire quasiment exhaustif des différentes situations conflictuelles des dix dernières années. Les différentes études, consacrées à la Colombie, au Mali, au Congo, au Burundi ou à l’Afghanistan, montrent à la fois les difficultés de la tâche de DDR, et leurs limites. Ce qui est particulièrement intéressant dans cet ouvrage réside aussi dans l’analyse des situations conflictuelles, leurs causes, souvent liées au mal-développement, et leurs conséquences toujours tragiques.
Il est en effet toujours difficile, dès lors que l’on a connu l’ivresse des combats et un monde où les valeurs sont totalement étrangères à la vie civile, de redescendre sur terre. Le sentiment de puissance, causé par la possession d’une arme, le statut envié de guerrier face à l’entourage, admiratif et craintif, est difficile à oublier. Cela explique d’ailleurs la difficulté des opérations de désarmement en Albanie ou en ex-Yougoslavie, même si de nombreuses armes sont venues alimenter les réseaux de trafics en Europe occidentale. Le désarmement, c’est d’abord une gigantesque entreprise de récupération, de stockage et de destruction, parfois dangereuse (déminage), et très technique.
Ces opérations de désarmement affectent d’ailleurs des pays très variés, comme la Colombie ou l’Afghanistan, où la possession d’une arme confère un statut envié. Ce phénomène se retrouve également chez les enfants soldats, toujours en Colombie avec les FARC ou les para-militaires et dans les conflits de l’Est de l’Afrique.
A leur propos, la démobilisation et le désarmement doivent être suivis d’une opération d’intégration, plus que de réintégration, ces enfants soldats n’ayant souvent jamais connu que la guerre et leur cortège de violences de tous ordres. Se pose d’ailleurs également le problème des filles, « associées aux groupes armés en République démocratique du Congo. » ou encore au Sierra Leone. Pour ces filles qui ont connu la promiscuité sexuelle dès leur plus jeune âge, les viols, le retour au village n’a rien d’une partie de plaisir eu égard à la pression sociale qui peut s’exercer sur elles. Comment trouver alors un mari et donc vivre tout simplement. Le programme de réintégration, par des actions ciblées, micro entreprise par exemple, peut leur conférer une certaine autonomie. Toutefois, cela se heurte aux mentalités et aussi aux retards de développement et à l’isolement. Par ailleurs, surtout au Congo, la démobilisation de ces filles est souvent plus difficile que celle des garçons, considérés comme enfants soldats. Les filles sont devenues peu à peu, pendant le conflit des « propriétés » de leur compagnons militaires et ils ne jugent pas utiles de leur rendre la liberté une fois la paix devenue. Pourquoi en effet se priver d’une esclave domestique et sexuelle acquise à bon compte ?
Ecrit dans un langage très administratif, qui est souvent le propre des publications de la galaxie onusienne, cet ouvrage recèle une mine d’informations très précises. Sous la froideur des chiffres, que d’exemples de drames et de déchirures oubliées ?
On oublie trop souvent que, lorsque les projecteurs s’éteignent, lorsque les flashes cessent de crépiter, que les diplomates recapuchonnent leurs stylos, une fois la paix signée, le véritable travail commence. Plus personne ne s’inquiète alors de la réussite mais aussi souvent des échecs de ces programmes DDR et de l’abnégation de ces acteurs de terrain, agents des nations unies ou des ONG associées qui conduisent, au-delà de la reconstruction économique, celle encore plus difficile, des individus de tous sexes et de tous âges, enjeux, otages et victimes de la folie des hommes.
Bruno Modica
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