Ce ouvrage est consacré à une présentation des luttes sociales dans le Midi toulousain. Il parvient toutefois à échapper au piège régionaliste et à l’érudition locale pour présenter une bonne mise en situation de cette année décisive.

Dans un format peu courant, plus large (24 cm) que haut (21 cm), sur un papier de qualité (gris-sépia), et avec de très nombreuses illustrations, les éditions toulousaines Loubatières publient une sorte d’album de l’année 1936. Les auteurs sont une collègue enseignant l’histoire géographie dans un Lycée toulousain et un écrivain, lui aussi toulousain. Les deux ont déjà publié chacun plusieurs travaux sur des thèmes proches : le mouvement ouvrier, l’antifranquisme et la question de l’exil républicain espagnol en particulier.

Les points communs de cet ouvrage avec un album familial sont nombreux : certains valent surtout pour le lecteur « régional de l’étape » (le plaisir à retrouver sur une « photo d’époque » tel ou tel lieu, tel ou tel personnage connu localement n’est pas très éloigné de celui de reconnaître un oncle éloigné ou un proche encore enfant…). D’autres valent pour tous ceux pour qui la période du Front populaire fait figure de « moment de mémoire » majeur : le poing levé, plus souriant que menaçant (les enfants ou les mères de famille sont dans le cortège…) ; les vélos amoncelés devant la Bourse du travail ; les occupations d’usines, hommes et femmes rassemblés, avec ardoise et craie pour immortaliser le moment ; c’est le prolétariat français dans sa version bon enfant, la fraternité des familles soutenant les grévistes (le cinéma de Renoir ou Duvivier n’est pas loin…), et, bien sûr, les détails qui donnent au décor toute son épaisseur : les binocles de Blum en visite à Toulouse, la pipe de Frachon, les rondes des « ajistes », en « marcel » ou en maillot de bain, accueillant Léo Lagrange en visite auprès des auberges de jeunesse du Midi, etc.

Album de famille ?

Les tensions ne sont pourtant pas loin : sensibles dans les notices biographiques insérées ici ou là (celles d’immigrés italiens ou espagnols), ou dans les témoignages recueillis qui permettent de mesurer la proximité de certaines « ombres » déjà perçues par les protagonistes (on pense, bien sûr, à la situation tragique de l’Espagne si proche) ou à venir (évocation de l’arrestation et de l’internement au camp de femmes de Brens, dans le Tarn, de l’une des personnes interrogées après une manifestation contre Pétain en 1940).

Les maisons d’édition « de province » (ou « en régions » selon la formule qui tend à se généraliser…) ont parfois tendance à se complaire dans la célébration du local. Ce qui n’est pas forcément la meilleure disposition pour une production de qualité en histoire. L’ouvrage de V. Marcos et P. Marin échappe au risque de la complaisance régionaliste, ou aux limites des travaux d’érudits locaux. Il offre en effet de nombreuses occasions de contextualiser et d’élargir, dans le temps et dans l’espace.

Le premier chapitre propose par exemple une description de « La crise des années trente », tandis que les références à la situation nationale (un chapitre sur « Les accords de Matignon » ; une présentation des « forces politiques en France », avant l’évocation de la situation régionale du « Midi rose ») ou internationale (nombreuses évocations bien sûr de la Guerre d’Espagne, ce qui ne suffit peut-être pas) sont suffisamment nombreuses pour fournir un cadre élargi.

Midi rouge, Midi bouge

Il faut comprendre le « Midi » annoncé dans le titre comme « Toulouse et son aire d’influence » : la présentation des évènements de 1936 dans la ville est seulement élargie par quelques pages consacrées aux départements limitrophes qui constituent aujourd’hui la région Midi-Pyrénées : Lot, Gers, Ariège, Tarn et Garonne, Tarn, « Bigorre », mais aussi au delà Landes, Aude, Pyrénées Orientales. La part strictement toulousaine est cependant très largement dominante (sur 120 pages, une trentaine seulement sont consacrées aux départements voisins).
Le plan proposé est parfois incertain et d’une lisibilité très relative. Les différentes parties ne sont pas équilibrées : la part la plus belle est celle accordée au Grèves (66 pages), pour 4 seulement aux élections, 5 aux accords de Matignon, 2 au soutien à l’Espagne. Il y a quelques enchaînements surprenants. Par exemple les élections législatives d’avril-mai (page 19) sont présentées avant le Congrès de réunification de la CGT (qui se tient à Toulouse, en mars). Le sommaire final récapitule bien les têtes de chapitre, mais celles-ci n’apparaissent dans le corps de l’ouvrage qu’avec des graphismes très différents, et dont le repérage n’est pas toujours aisé.

Mais ces remarques ne sont pas des restrictions : elles contribuent plutôt à définir la nature même de l’ouvrage. Plus qu’un livre d’histoire classique sur une période, et très loin d’un manuel, absolument pas un essai, c’est donc plutôt une sorte de vaste « album familial », dans lequel les illustrations tiennent une place majeure :
– très nombreuses photographies, dans des décors qui raviront les toulousains (manifestations de grévistes devant le Capitole, défilés sur les Boulevards, Bourse du travail de la place Saint Sernin, Prairie des Filtres envahie par la jeunesse,..) ou les pyrénéens (Vielle Aure, Néouvielle).
– des caricatures, des tracts, des extraits de presse, donnent à l’ensemble une diversité qui ne peut qu’enrichir le regard porté sur cette « année 36 » si décisive.