« Etats-Unis/URSS : des stratégies qui s’affrontent ».
Tout d’abord, il resitue cette période dans le cadre de la Guerre Froide, puisque telle était bien la grille de référence pertinente en 1989. Le propos peut sembler somme toute assez classique mais après une brève mise en perspective il s’intéresse à la stratégie des deux puissances. Le propos est relativement critique sur Mikhail Gorbatchev car, comme le dit Pierre Verluise, il doit faire face à une crise systémique à laquelle il tente d’apporter une réponse stratégique. C’est vrai qu’en Occident, hier et peut-être encore aujourd’hui, on a une image peut-être idéalisée du dernier dirigeant de l’URSS. Dans une vision téléologique des événements, on retient la disparition du système communiste comme si le but de Gorbatchev avait été celui-ci ! Le leader soviétique s’est moulé dans l’image que l’on voulait de lui et a utilisé cette bonne image pour essayer de sauver le système soviétique en le présentant comme certes différent, mais légitime. L’URSS a peut-être réussi mieux que les Occidentaux à jouer de la propagande. Reprenant l’analyse de Michel Heller, Pierre Verluise souligne un certain aveuglement de l’Occident.
Évidemment, on connaît la suite de l’histoire, on sait que cela n’a pas fonctionné, mais ce n’est pas une raison pour enlever toute pensée stratégique à Gorbatchev. Quand on connaît la fin de l’histoire, on a parfois du mal à comprendre le début. L’auteur ne s’arrête pas à Gorbatchev et, sans s’attarder dans les détails, il déroule le fil chronologique jusqu’à Medvedev, aidant le lecteur à penser la stratégie russe actuelle.
La partie sur la stratégie étasunienne est plus connue, mais en quelques pages l’auteur la retrace efficacement.
Le couple franco-allemand : entre amour proclamé et rendez-vous manqués
Dans le deuxième partie, Pierre Verluise choisit de se consacrer au couple franco-allemand. Il inscrit cette relation dans un temps un peu plus long car on a besoin de cette profondeur historique pour comprendre les aléas de ce couple. Sans accumuler trop de faits, l’auteur retrace une histoire qui hésite entre injonction et quasi obligation de vivre ensemble. A cet égard le couple De Gaulle-Adenauer s’avère moins un fleuve tranquille que l’image qui en est restée parfois comme modèle.
Un chapitre est consacré aux erreurs d’analyse de la France au moment de la chute du mur de Berlin. On voit là la difficulté à penser le monde de l’après communisme. François Mitterrand croit encore à la RDA, se méfie d’une Allemagne trop forte et se rend même en RDA en décembre 1989 pour célébrer l’amitié entre la France et la RDA.
Au fur et à mesure, on voit apparaître une sorte de puzzle qui se recompose, où s’imbrique, s’entrechoque la logique des différents acteurs. Le plus douloureux pour la France est sans doute de se rendre compte que l’Union européenne n’est pas un instrument qui sert à démultiplier la puissance française.
Quels défis pour l’Europe demain ?
Dans la dernière partie, l’auteur cherche à pointer les défis européens. Il y a tout d’abord la question des membres récents, futurs ou potentiels. S’appuyant sur une enquête récente, Pierre Verluise montre que Roumanie et Bulgarie ont encore des progrès à faire en matière de transparence. Il se livre ensuite à un tour d’horizon, évoquant la Croatie, la Turquie, la Serbie… En quelques lignes le bilan pour chacun est dressé. On aurait envie néanmoins d’en savoir parfois lus, mais reconnaissons que tel n’est pas le propos de ce livre.
Ensuite vient l’inévitable question des limites de l’Union européenne. Là comme ailleurs dans le livre, on peut saluer l’effort de rester factuel juste ce qu’il faut, et surtout de ne pas dire au lecteur quoi penser.
Le livre se conclut sur une interrogation : comment l’Europe peut-elle exister aujourd’hui face aux Grands ? Russie, atlantisme et Chine, voilà bien trois questions fondamentales à traiter.
Au total, c’est un ouvrage agréable à lire. Introduisant chaque partie par un texte général, il étoffe ensuite son propos. Pierre Verluise tente de dresser un état des lieux en dégageant les lignes de force qui aident à comprendre l’Europe d’aujourd’hui. Plus qu’un simple récit des événements, il cherche sans nous assommer de faits à faire comprendre le jeu que jouent les acteurs sur la scène internationale. Sans parler de cynisme ou de grandes permanences diplomatique pas toujours très significatives, il dessine la part de choix de chacun des acteurs pour répondre à ses ambitions internationales.
Jean-Pierre Costille © Clionautes.