La RDA serait-elle tendance ? Après les ouvrages de Nicolas Offenstadt consacrés à ce « pays disparu », c’est Emmanuel Droit qui propose un livre particulièrement réussi sur la vie quotidienne au temps de la RDA.

Pourquoi parler aujourd’hui de la RDA ? 

Emmanuel Droit est professeur des universités à SciencesPo Strasbourg où il enseigne l’histoire contemporaine. Il est spécialiste de la guerre froide et de la RDA et a précédemment publié «  Les polices politiques du bloc de l’Est » ou encore « La Stasi à l’école ». L’auteur parle d’un pays aux mille et une nuances de gris. Il invite ainsi dès le début à se méfier des images trop tranchées sur ce pays. Il rappelle utilement qu’après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, la RDA a pu légitimement constituer un espoir pour certains. Elle fait donc pleinement partie de l’histoire de l’Allemagne et il ne faut pas la passer sous silence sous prétexte qu’elle a disparu. L’auteur le reconnait, la RDA c’est « un objet historique étrange, souvent difficile à comprendre et tellement facile à caricaturer ». 

Entrer par le quotidien : un angle pertinent

L’histoire du quotidien se révèle donc un mode de compréhension du passé particulièrement intéressant. L’angle de l’auteur est donc de prendre comme point de départ une journée de l’année 1974 et chaque chapitre est pensé « comme une scène donnant à voir des lieux et des instants de vie où se déploie la relation entre un régime de dictature et une société ». Le lieu choisi est Zeitz, une ville moyenne au sud de Leipzig, qui a fait l’objet d’un reportage de la télévision française à cette date. Le livre s’organise donc autour de neuf scènes et de mille et une nuances de gris comme le dit Emmanuel Droit.

Dans le prologue, l’auteur dresse tout d’abord le portrait actuel de cette ville indéniablement perdante de la réunification. Elle compte un tiers de sa population en moins par rapport à la fin des années 80. Le contraste est d’autant plus saisissant qu’en 1974 la ville était un symbole de la réussite de la RDA. 

Les Fischer, une famille standard de la RDA

Le couple Fisher avait été choisi par le régime pour être filmé par la télévision française. Il travaille dans une usine, elle est institutrice et ils ont deux enfants. On est dans l’entreprise d’Etat Zekiwa, une entreprise modèle qui produisait des landaus. L’idée de rentabilité n’était pas oubliée puisqu’en 1974 sortait en une journée de travail le volume de ce qui était produit en 1950. L’auteur explique que la vie dans la RDA  reposait sur une « multitude de micro-arrangements entre la direction et la production qui assurait la paix sociale ». Si on ne tient pas compte de cela on ne peut pas comprendre le malaise ressenti par des ex-citoyens de la RDA au début des années 90. 

L’école polytechnique Lénine ou le développement de la personnalité socialiste

Cette école modèle avait elle aussi été choisie pour accueillir une délégation française de l’association France-RDA. L’éducation polytechnique reposait sur un lien privilégié avec la classe ouvrière. Comme le dit l’auteur « la RDA était une dictature paternaliste et éducative qui avait pour ambition de créer un homme socialiste ». On se rend compte ensuite de la place des enseignants dans le système et ils devaient notamment encadrer les loisirs de la jeunesse. 

La société de consommation socialiste

On associe souvent la RDA au fait qu’elle n’a pas su répondre aux besoins de consommation de ses citoyens. Pourtant, en 1974, l’exemple de Zeitz témoigne de changements en cours. Il existait des accords avec Cuba par exemple pour obtenir des produits comme des oranges, même si celles-ci se révélaient de piètre qualité. Au final, il y eut bien un réel échec dans les possibilités de consommation offertes aux habitants.

Une ville nouvelle pour un nouveau quotidien 

Le tissu urbain de Zeitz datait comme beaucoup d’autres villes du XIX ème siècle. Au lendemain de la guerre, il fallait dans toute l’Allemagne résoudre le problème crucial du logement. Mais, là encore, la comparaison entre la RDA et la RFA n’est pas en faveur du régime communiste. En effet, entre 1950 et 1970, la RFA construisit trois fois plus de logements par habitant que la RDA. Quand il y avait des constructions dans cette partie, c’était aussi souvent sous forme de grands ensembles. Dans le système est-allemand le logement n’avait aucune valeur marchande car c’était un instrument de politique sociale aux mains de l’Etat. 

Le foyer pour travailleurs étrangers

Cette partie s’intéresse à ces travailleurs originaires de Hongrie, d’Algérie ou encore de Pologne qui venaient en RDA. Emmanuel Droit suit le parcours de Leonel Cala, jeune cubain de 30 ans envoyé en RDA avec la promesse d’une vie meilleure. Le foyer dans lequel il logeait était marqué par la « modernité et le casernement ». Aucun visiteur extérieur par exemple n’était autorisé à passer la nuit dans le foyer. Les travailleurs étrangers étaient accompagnés par des membres du parti et étaient vus souvent comme des enfants qu’il fallait surveiller. « La solidarité et l’amitié entre les peuples au nom de l’internationalisme prolétarien combinaient à la fois un discours abstrait et stéréotypé et des pratiques très concrètes d’accueil d’étudiants et de travailleurs étrangers et de mobilisation de la société ».

Plusieurs faits montrent que l’intégration des travailleurs étrangers était parfois compliquée avec des attaques qui les visaient. Comme le dit l’auteur à propos des scores actuels de l’AfD, «  l’extrémisme de droite et le racisme ne sont donc pas uniquement des produits de la réunification mais bel et bien un héritage de la RDA. »

L’antenne locale de la Stasi

L’auteur le dit d’emblée : « l’aura négative qui entourait la Stasi lui procura une puissance qui dépassait largement ses forces réelles. » La Stasi se surveillait elle-même avant de surveiller les autres. Dans la ville de Zeitz, 35 agents travaillaient dans le bâtiment officiel de la Stasi. En une année moyenne, la Stasi enquêtait sur  2% des habitants de la zone. La Stasi était souvent désordonnée et inefficace. Les agents étaient de plus en plus démotivés et plus « elle développa ses champs de surveillance, plus elle démobilisa ses agents dont le travail ne semblait plus faire  sens. » 

L’église Saint-Michel

Le chapitre commence en rappelant le sacrifice d’Oskar Brûsewitz, pasteur dans les environs de Zeitz qui s’immola devant l’église Saint-Michel. Il avait minutieusement préparé son acte puisque les cloches accompagnèrent symboliquement son immolation à laquelle assistèrent environ 150 personnes présentes autour de l’église à ce  moment- là de la journée. Il ne faudrait pas pour autant surinterpréter cet acte en le voyant comme un signe annonciateur de la fin de la RDA car les autorités ont su à l’époque juguler «  toute potentialité d’extension de la protestation ». 

Le dernier chapitre évoque les évènements à partir du 25 octobre 1989 lors d’une réunion du SED. Le premier secrétaire dressa un état des lieux où il pointa les raisons de la colère de la population locale. On assista, là comme ailleurs, à une désintégration des structures qui avaient pendant des années encadré la vie de la population. Les Allemands de l’Est ont « jeté leur passé à la poubelle » avant d’être frappé par un profond désenchantement. 

Ainsi le livre d’Emmanuel Droit est véritablement passionnant et l’angle choisi de la vie quotidienne permet d’entrer de façon très concrète dans la réalité de ce pays qui disparut après un peu plus de quarante ans d’existence.

Emmanuel Droit présente son ouvrage « 24 heures de la vie en RDA »

Jean-Pierre Costille pour les Clionautes