Figer en images, via les photographies, un monde en cours de colonisation à l’orée de 1900. C’est ce qu’ont réalisé les acteurs français et britanniques – soldats, missionnaires protestants ou photojournalistes – retenus par D Foliard dans son dernier ouvrage. Ce spécialiste de la mise en images du monde contemporain (fin XIXè-début XXè), précédemment remarqué pour Dislocating the Orient (2017), ouvre pour nous cette chambre encore obscure de la production, de la diffusion et de la réception de ces trophées photographiques exotiques, vecteurs de sidération et/ou de dénonciation et marqués par la violence de la soumission coloniale, entreprise de dépossession(-s).

L’ouvrage présente en effet une sélection de photographies non seulement de combats, mais aussi de punitions et d’exécutions perpétrées dans les colonies par une justice qui n’en porte que le nom. On touche ici aux  »leçons impériales », démonstrations d’une toute puissance européenne, qui de Madagascar à l’Inde en passant par le Soudan français ou le Tonkin, exécute, maltraite, tue et punit.

Neuf chapitres aident à cerner le processus. Les suivants sont particulièrement intéressants. Le premier retient particulièrement le lecteur en ce qu’il met au point différents notions, tel le concept de violence. Le troisième et le quatrième opérent une plongée dans les conflits coloniaux de la séquence 1840-1914, dévoilant autant leur variété que leur enfouissement dans les mémoires contemporaines. Le cinquième questionne les  »régimes de visibilité », offrant des allers et retours entre l’image privée et son pendant public, et abordant la riche notion de censure. Le chapitre six élargit le précédent pour s’attacher aux détournements photographiques. Les chapitres sept et huit se focalisent sur les corps, meurtris ou morts, des belligérants. Enfin, le neuvième chapitre sonde l’écho et la visibilité de ces conflits et violences exotiques en France et en Grande-Bretagne.

Et aujourd’hui ? 

Mais alors, comment voyons-nous ces terribles témoignages de nos jours ? D’emblée, la première de couverture synthétise l’enjeu. La photographie qui réunit des crânes de guerriers africains autour d’une jeune française résidant au Soudan (extraite de R Bonnetaint, Une Française au Soudan, Mercure de France, 2019) semble relever de l’oxymore et tend le piège des extrêmes, celui d’une ultra-violence qui serait permanente, ou au contraire celui d’une exceptionnalité qui serait insignifiante.

Des sources sur la colonisation de plus en plus disponibles

Dans cette quête, la question des sources exige une attention particulière. En effet, plus les années passent, et plus les stocks de photographies, issus des collections particulières, sont dévoilés, à la faveur de vente aux enchères notamment. Il y a donc là une veine conséquente et qui sera sans doute toujours plus mobilisée dans les prochaines années. Une autre particularité est la difficulté d’établir pour nombre de ces clichés des généalogies sûres, car vers 1900, les armées n’ont pas encore de service de communication, les ministères non plus et ces photographies de la colonisation sont dans une écrasante majorité l’oeuvre de démarches personnelles.

Une économie de l’image ?

D Foliard s’attache en outre à montrer ce que ne montrent pas ces images, le hors-champ, soit le contexte, travail par excellence de l’historien. Les conditions qui favorisent cette dynamique de mise en images sont donc auscultées : Une certaine militarisation – à tout le moins en apparence – de la société en France et en Grande Bretagne à la fin du XIXè siècle (conscription, figure du guerrier colonial, nationalisme, jingoïsme…), la fascination exercée par l’extension impériale (le Commandant Marchand, Brazza….) et ses guerres ultra-marines qui scandent la séquence 1870-1914, ainsi que l’exotisme concourent à garnir les pages du Petit journal, de L’illustration et de toute une presse étalant des photos plus ou moins violentes.

Dans ce cadre, des photojournalistes émergent, comme Réginald Kahn côté français. Car c’est l’époque des premiers correspondants de guerre (Guerre des Boers entre autres), et par conséquent celle des premiers pas de la censure militaire. Un marché de l’image se met alors en place, qui toutefois reflète mal les problèmes récurrents de recrutement pour les colonies, tant civils que militaires. D’où entre autres, le recours toujours croissant aux troupes locales, tirailleurs sénégalais, Gurkas…

Photographier, c’est dominer

Par ailleurs, la dimension matérielle liée à l’appareil photo pose question. Le Kodak portable et abordable s’imposant dans l’ultime décennie du XIXè offre d’autres indicateurs comme celui du progrès technologique. Et à ce titre, n’est-il pas aussi un instrument supplémentaire de domination aux mains du colonisateur ?

L’auteur livre donc une histoire impériale à l’aune des photographies, indicatrices de l’intensité de la présence du colonisateur, subtile et riche récit de la violence et de ses représentations. Les photographies de la colonisation choisies sont nombreuses et illustrent parfaitement le propos, non seulement dans la brutalisation à l’oeuvre mais aussi dans sa complexité. Ainsi, D Foliard ne se livre pas à une recension du désastre, mais davantage à une mise à distance de ces faits guerriers dans une perspective qui intègre autant la presse, que les représentations, que la justice coloniale ou que les circulations impériales (d’empire à empire).

Enfin, l’enseignant peut aborder des passages en classe de première tronc commun, dans le thème 3 concernant les sociétés coloniales.