68, une histoire collective ressort dans une nouvelle version, agrémentée de 92 photographies et d’une préface inédite, 10 ans après sa première parution, à l’occasion des 50 ans de mai 68. Philippe Artières est historien, directeur de recherches au CNRS et à l’EHESS, mène des recherches sur l’écriture et les écrits de la contestation : Clinique de l’écriture (2008), La police de l’écriture (2013). Michelle Zancarini-Fournel est professeur émérite en histoire contemporaine à l’université Lyon I, auteur de L’Histoire des femmes en France, XIXe-XXe siècles (2005) et de Les luttes et les rêves, une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours (2016).
Cette histoire a pour objectif d’être polyphonique, faisant appel à de nombreux historiens mais aussi des anthropologues, des sociologues, des philosophes et des journalistes, au total près de 70 auteurs, issus de courants différents. Pour chaque période, le récit factuel est accompagné d’éléments culturels, de parcours individuels, de l’évocation de différents lieux, en France et à l’étranger (rubrique « Ailleurs »). Il s’agit de reconstituer un décor aujourd’hui effacé. « L’événement » est replacé dans une période de deux décennies, des accords d’Evian à l’élection de François Mitterrand. En 10 ans, le poids de l’histoire global s’est accru, mettant davantage en lumière les événements de 1967 en Guadeloupe.
L’ouvrage tient compte du renouvellement historiographique qui s’est opéré depuis les années 1980.
- L’historien travaille sur des sources plus variées : utilisation plus large des archives personnelles (lettres, journaux, autobiographies), archives judiciaires plus fréquemment mobilisées, archives télévisées et radiophoniques. Une collecte importante de documents a eu lieu sur la période notamment de la part de la BDIC, des archives nationales et départementales. Des fonds spécifiques ont été constitués, notamment sur les luttes homosexuelles, sur l’histoire intellectuelle ou sur les grands sites industriels (Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam, Institut mémoires de l’édition contemporaine, Centre des archives du monde du travail de Roubaix) .
- De nouvelles problématiques ont émergé : la mémoire et l’oubli, le genre, la guerre des races.
- L’anthropologie historique a permis d’aborder certaines pratiques comme la contestation, l’écriture, le crime et de donner une place plus importante à la culture matérielle et aux enjeux symboliques.
- L’histoire politique a connu un renouveau.
Partie 1 : 1962-1968 – Le champ des possibles
- Récit
En 1962, la France connaît une période de paix et d’expansion économique, de hausse du pouvoir d’achat et de transformation des habitudes de consommation. La mutation des campagnes s’accélère avec la mise en place de la PAC.
Ce tableau masque des disparités locales et individuelles (entre Paris et les régions, entre les sexes, entre les catégories sociales) et la persistance de blocages au sein des entreprises comme à l’intérieur de la famille. Michelle Zancarini-Fournel s’appuie sur le cas de Grenoble, en évoquant le combat pour la contraception avec l’ouverture du premier Planning Familial en France en 1961, l’acheminement, alors illégal, de produits contraceptifs et l’ouverture d’un débat à l’échelle nationale. Elle évoque ensuite les accords d’entreprises novateurs de l’entreprise grenobloise Neyrpic et le conflit social de 1963-1964 provoqué par leur suppression. Le conflit met en évidence de nouvelles formes d’action comme les sit-in, ainsi que la participation des cadres et des universitaires. La démocratie locale se développe dans les domaines politique et culturel via le tissu associatif.
La jeunesse a souvent été présentée comme un nouvel acteur collectif. La jeunesse a souvent été décrite comme un groupe homogène et mai 68 comme un soulèvement de la jeunesse. Or, les sociologues de l’éducation insistent sur la diversité des jeunesses. Les étudiants retiennent peu l’attention, articles comme travaux universitaires se concentrent sur la jeunesse délinquante et sur les jeunes ouvriers. La jeunesse prend une certaine importance dans les politiques publiques comme le montre la création d’un ministère dédié en 1966, mais les revendications des jeunes sont peu prises en compte. Les jeunes affirment leur intérêt pour la politique dans des enquêtes, mais pointent le manque de dialogue dans le cadre familial. Certains font leur apprentissage militant au sein de l’UNEF lors des manifestations pour la paix en Algérie et contre l’OAS, mais le syndicat étudiant connaît une grave crise après la fin de la guerre d’Algérie. La ligne politique du syndicat fait l’objet de débats. Le nombre d’adhérents s’effondre. De nouvelles organisations apparaissent : la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) et l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCML) en 1966. L’exemple de la contestation à l’université de Strasbourg est ensuite développé.
La guerre du Vietnam cristallise les mobilisations de la jeunesse, notamment entre 1965 et 1968, mais révèle également les divisions de l’extrême-gauche. Le PCF a été le premier à réagir à l’agression du Vietnam du Nord, mais cherche à monopoliser ce soutien à un « parti frère », allant jusqu’à recourir à la violence. L’escalade a aussi lieu entre les mouvements d’extrême-droite, comme Occident et les étudiants de gauche et d’extrême-gauche. L’opposition à la guerre prend des formes diverses et a pour point commun une opposition forte à l’intervention américaine.
Deux longues grèves de mineurs ont lieu en 1961-1962 et en 1963, elles sont soutenues par l’opinion publique et se caractérisent par une convergence éphémère des luttes Ingénieurs, prêtres, paysans, étudiants soutiennent en effet le mouvement.
Dès le début de l’année 1967, les préfets s’inquiètent de la situation de l’emploi et de l’agitation sociale. La contestation est vive chez les agriculteurs ainsi que chez les étudiants. La campus de Nanterre devient le lieu central et symbolique des révoltes dès 1967. Les étudiants actifs dans ce qui sera appelé ultérieurement le mouvement du 22 mars sont minoritaires. Parmi eux, émerge la figure charismatique de Daniel Cohn-Bendit. Le mouvement s’élargit progressivement, atteignant 1000 à 1500 étudiants. Il prend des formes variées : revendication de la liberté sexuelle, heurts avec l’extrême-droite, critique des cours, happenings, grèves, affrontements avec la police… Il n’y a pas de tradition syndicaliste. Des rencontres sont organisées avec d’autres mouvements européens. Le thème de la révolution sexuelle revient régulièrement dans les revendications étudiantes : si les garçons de plus de 21 ans peuvent circuler librement, les filles majeures n’ont le droit de sortir que jusque 23 heures et ne peuvent inviter personne dans leur chambre. L’université se transforme en un lieu de rencontres et de débats. Le doyen autorise les étudiants à tenir des réunions politiques : c’est une première au sein de l’université française.
- Film
- La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967) : Le réalisateur veut rendre compte de l’agitation de la jeunesse face à l’intervention américaine au Vietnam, mais aussi à la faculté de Nanterre. Le film est mal accueilli, Godard est accusé de récupérer la jeunesse et de donner l’image d’une révolte bourgeoise.
- Objets
- Les Choses de Georges Perec (1965) : Sous-titré Une histoire des années soixante, le premier roman de Georges Perec obtient le prix Renaudot et un succès inattendu. Il préfigure « un appel à la libération généralisée ». Les personnages des Choses rêvent de liberté, de bonheur et d’ouverture, mais leur liberté nécessite un minimum de richesse ce qui crée de nouvelles contraintes. L’écrivain n’a pas donné de nom propre ni de particularité physique et d’origine sociale, il utilise la dépersonnalisation pour en faire des héros des années 1960.
- La guitare : pop, rock et protest songs : Apprendre la guitare est alors un rite de passage à l’adolescence. Au sein des groupes, les guitaristes se spécialisent (rythmique, soliste, basse). La guitare devient « l’instrument de la révolte » qui permet aux jeunes d’exprimer des revendications face aux parents, aux institutions et à la société de consommation. La guitare est aussi associée au mouvement hippie.
- La minijupe, une révolution de tissu : Popularisée par la Britannique Mary Quant et le Français André Courrèges, la minijupe est un symbole des années 1960. Si elle est un pas vers l’émancipation de la femme, elle est paradoxale en contribuant à l’érotisation de son corps. La libération de la femme se fait surtout avec mai 68 et les lois des années 1970 sur la contraception et l’avortement.
- L’autre temps des revues (1962-1968) : Les revues se font l’écho des grands débats de mai 68. Les revues littéraires connaissent un essor : Critique, Les lettres nouvelles, La nouvelle revue française, Ecrire, Tel Quel… Les revues de sciences humaines et sociales se développent avec l’essor de la sociologie, de la psychologie notamment. D’autres revues incarnent les nouvelles avant-gardes politiques : Partisans se tourne vers Cuba et l’Amérique latine, Révolution vers le maoïsme. Les revues confidentielles se multiplient et des revues littéraires et scientifiques se politisent après mai 68, comme Tel Quel qui se rapproche du Parti Communiste.
- Le LSD, les hippies et la Californie : Les années 1960 marquent aussi l’arrivée du LSD en France et le développement du mouvement hippie ainsi que sa récupération.
- Ailleurs
- Sur les chemins du tiers monde en lutte : Partisans, Révolution, Tricontinental (1961-1973) : Ces trois revues représentent le mouvement anti-impérialiste en France dans les années 1960. La revue littéraire et politique Partisans se construit autour de l’opposition française à la guerre d’Algérie. Certains numéros sont censurés. Tricontinental privilégie les dossiers thématiques sur des sujets de société. La revue est frappée par des interdictions. Révolution est une revue rivale de Partisans. Elle invite des dessinateurs satiriques et connaît une diffusion plus large, notamment dans les pays du Tiers monde, elle est cependant éphémère.
- Génération(s) de résistance : le Mouvement des droits civiques aux Etats-Unis : Thomas C. Holt raconte son expérience du mouvement pendant l’été 1963 alors qu’il était étudiant.
- La Zengakuren japonaise, modèle pour les étudiants occidentaux ? Il s’agit d’une organisation étudiante et ouvrière organisée sur une base démocratique et non-hiérarchique. Au départ, elle met en avant un programme large : défense de la paix, de la démocratie, des libertés, de la culture nationale, de la démocratisation de l’enseignement. A partir du début des années 1950 et de la guerre de Corée, elle tombe progressivement sous le contrôle du Parti communiste japonais et adopte une ligne anti-américaine. La rupture avec le PC se fait dès 1956, des mouvements radicaux se développent alors au sein de la Zengakuren. En 1968-1969, des affrontements violents ont lieu entre étudiants et policiers (Sasebo, Okinawa, Tokyo par exemple). Les universités sont occupées. En octobre 1968, le mouvement prend la forme d’une guérilla urbaine : c’est « l’assaut de Tokyo » qui vise la Diète, l’ambassade des Etats-Unis, le siège de la police. La gare de Shinjuku est occupée. Après trois jours de combats, les étudiants se retranchent dans les universités Nihon et Todai qui tombent respectivement en novembre 1968 et en janvier 1969. Le mouvement prend fin en 1972 avec le massacre de l’aéroport de Lod, en Israël, par l’Armée rouge japonaise.
- Les Pays-Bas et les provos dans « les années 1966 » : Le mouvement Provo (mai 1965-mai 1967) est un réseau informel qui regroupe des jeunes issus pour la plupart des classes moyennes et ouvrières. Provo vient de provoquer, il s’agit de remettre en cause les valeurs bourgeoises dominantes. Ils organisent des happenings, arborent un costume de jeans blanc, utilisent un langage spécifique… On parle de pol art (political art) en référence au pop art. Le 10 mars 1966, le mouvement provo obtient une couverture médiatique importante en jetant des bombes fumigènes sur le cortège nuptial de la princesse Béatrix et de Claus von Amsberg.
- « Boulevard du Vietnam héroïque » : Sartre était convaincu que le conflit du Vietnam avait été l’un des déclencheurs de mai 68. La lutte contre la guerre du Vietnam a des caractéristiques communes avec le mouvement de mai 68 : forte mobilisation des jeunes, création de comités d’extrême-gauche concurrents, remise en cause des partis traditionnels, mise en scène politique de la rue (slogans originaux, effigies brûlées dans la rue…). La guerre du Vietnam apparaît surtout comme une cause partagée et un point de convergence pour les différents mouvements contestataires. Le conflit constitue « le point de fixation de la stratégie d’écrasement du plus faible par le système capitaliste impérialiste mais aussi le modèle parfait du combat politique ».
- Le Front de libération du Québec : la révolte des « nègres blancs » : En 1968, le FLQ fait exploser plus de 25 bombes. Cette violence éclate dans le contexte de la « révolution tranquille », une modernisation et une laïcisation de la société québécoise suite à l’arrivée au pouvoir du Parti libéral du Québec en 1960. Le FLQ est créé en 1962 dans l’optique d’obtenir l’indépendance du Québec par la lutte armée. Ses militants, inspirés par les écrits de Franz Fanon et d’Albert Memmi, proposent une analyse anticolonialiste de la situation du Québec. Les « nègres blancs », les Canadiens français, sont méprisés et privés de leur autonomie politique, économique et culturelle au profit du Canada et des Etats-Unis. Ils constituent la plupart des ouvriers non spécialisés face à une élite anglophone. En 1968, a lieu une grève générale étudiante. Au même moment, des attaques au cocktail Molotov visent une compagnie de bus, alors en conflit social. Parallèlement, le Front de libération des femmes (FLF) lance le slogan : « Pas de libération des femmes sans Québec libre, pas de Québec libre sans libération des femmes ».
- « Perspectives » : l’effervescence tunisienne des années 1960 : « Perspectives » était un mouvement d’extrême-gauche en Tunisie, dans les années 1960. Il peut s’appuyer sur une tradition : parti communiste ancien, syndicalisme puissant, élite marxiste, cosmopolitisme. Bourguiba refuse toute contestation. La répression est rude : arrestations, torture des meneurs, lourdes peines de prison. Dans les années 1970, les mouvements issus de l’islam politique remplacent l’extrême-gauche internationaliste comme fers de lance de la contestation.
- Lieux
- L’engagement radical de la rue d’Ulm : Normale Sup devient un lieu central de réflexion sur le maoïsme, notamment autour de Louis Althusser, membre du PCF et « caïman » de philosophie. D’autre part, Jacques Lacan tient un séminaire à Ulm à partir de 1964.
- Les « villes nouvelles » des Trente Glorieuses : 9 sont réalisées dont 5 en Ile-de-France (Cergy, Evry, Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée et Sénart). Elles sont « le lieu d’expérimentation de nouveaux modes de vie avec en particulier une vie associative très dense ». En 1965, le premier schéma directeur de la région parisienne est publié et marque le développement de grands projets d’urbanisme. Une nouvelle génération d’architectes s’en empare : par exemple, Michel Macary, Thierry Gruber, Philippe Molle, sont diplômés des Beaux-Arts en 1966 et mènent l’opération des Pyramides d’Evry 1 (1970-1975) composées de 2500 logements.
- Nanterre, les bidonvilles et les étudiants : Le chantier de la faculté de Nanterre est lancé en 1962. Il jouxte un centre carcéral et les bidonvilles de la rue de la Folie et de la rue de la Garenne, constituant une vaste zone de relégation. Les bidonvilles de Nanterre représentent environ 10000 habitants à la fin des années 1960 (population de la ville : 90000 personnes). Pour les habitants du bidonville, l’université est avant tout un chantier et une opportunité de travail. Les contacts avec les étudiants sont difficiles, même si les bidonvilles s’inscrivent dans les revendications estudiantines. La charité est en effet parfois mal perçue par les habitants des bidonvilles.
- Les maisons de la culture entre sanctuarisation culturelle et messianisme politique : Ce projet de Malraux vise à sacraliser et à professionnaliser les artistes. Il ne parvient cependant pas à débloquer les fonds nécessaires, 9 maisons de la culture sont créées entre 1961 et 1968. Elles sont financées par l’Etat et les municipalités. Or, des conflits éclatent comme à Caen en 1964 où la mairie choisit de financer plutôt un théâtre municipal. Elles échouent à attirer un public populaire.
- Acteurs
- Le PSU, une rénovation politique manquée ? Le Parti socialiste unifié (PSU) a été créé en 1960. C’est donc un parti jeune en 1968 qui se présente comme le parti politique le plus proche de la jeunesse. Il compte parmi ses membres Michel Rocard et Pierre Mendes-France. Mais le PSU ne perce pas aux élections législatives de 1968, marqué par ses divisions (départ de Pierre Bérégovoy en 1967). Après sa défaite électorale, Pierre Mendès-France quitte aussi le parti. La naissance du PS en 1969 attire de nombreux militants du PSU. Les idées du PSU sont cependant mises en application sous De Gaulle et Pompidou : loi Edgar Faure sur les universités, section syndicale d’enterprise, « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas.
- Les pieds-rouges, hors de l’histoire officielle : Les pieds-rouges sont des Français d’extrême-gauche partis en Algérie à partir de 1962. Ils ne se reconnaissent généralement pas comme « pieds-rouges ». Certains sont torturés, beaucoup partent en 1965, après le coup d’Etat de Boumediene qui les qualifie de « socialistes en peau de lapin ».
- Les correspondants-photographes de L’Humanité : un regard différé sur les années 68 : Ces photographies, pour certaines publiées dans l’ouvrage, permettent de donner à voir un autre mai 68, celui des anonymes. Le réseau des correspondants-ouvriers permet à L’Humanité de disposer d’une information immédiate. Le journal affirme : « L’Humanité doit devenir un journal tout à fait ouvrier et prolétarien. Notre journal non seulement doit paraître pour les ouvriers, mais il doit être aussi composé et édité par eux ». Des réseaux éphémères sont mis en place dès les années 1920, mais il faut attendre 1947 pour que soit mis en place un service permanent de correspondants bénévoles, qui ont recours à un anonymat garanti par le journal. Le réseau est densément implanté en région parisienne : 2059 correspondants sur les 4000 que compte le réseau. Pendant mai 68, ils fournissent en moyenne 80 informations par jour dont un quart illustrées par des photographies. Les correspondants sont incités à prendre des photographies, ce qui est facilité par la démocratisation du matériel. Des cours du soir sont mis en place : Robert Doisneau y dispense des cours. A partir de 1974, le photojournalisme se professionnalise à L’Humanité.
- De Gaulle et l’effacement de la question coloniale : Si l’armée coloniale permet à De Gaulle d’obtenir un second mandat en 1958, l’AOF est dissolue sous son mandat et la guerre d’Algérie s’achève en 1962. Le nom de De Gaulle est ainsi associé à la décolonisation. La régime gaullien tente d’effacer la mémoire des guerres coloniales : pas de discours présidentiel, pas de mémorial.
- Traverses
- Guy Debord et les situationnistes : Les « situs » regroupent des artistes d’avant-garde et des activistes politiques. Ils affirment que la Révolution est « à réinventer ». Ils s’appuient sur une lecture critique de Marx, de Fourier, de Nietzsche, de Bakounine. Leurs idées et leurs slogans sont très présents pendant les journées de mai 1968, mais le mouvement se divise.
- Sociologie et sociologues, entre isolement et contestations : L’ouvrage de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, publié en 1964, est souvent cité au sujet de mai 68, mais le livre n’anticipe pas l’ampleur du mouvement étudiant. En 1968, la sociologie est une discipline récente puisque la licence de sociologie existe depuis seulement dix ans. Les étudiants de sociologie de Nanterre sont très actifs dans le mouvement. L’enseignement y est marqué par les figures d’Henri Lefebvre, d’Alain Touraine et de Jean Baudrillard.
- Socialisme ou Barbarie, ou comment rester révolutionnaire : Groupe politique et revue d’extrême-gauche, Socialisme et barbarie a pour originalité une prise de distance précoce avec le marxisme. La critique de l’URSS consiste à s’interroger sur la manière dont un processus émancipateur s’est mué en société d’oppression. Le socialisme de ce groupe repose sur l’instauration d’une gestion collective amenée à supprimer la division entre dirigeants et exécutants.
Partie 2 : Mai-juin 1968 – L’épicentre
Récit
Il s’agit de s’interroger sur les représentations de mai 68, souvent réduit au mois de mai et à la capitale alors que le mouvement touche aussi la province et que les occupations d’usines se poursuivent jusqu’à fin juin.
Si les mouvements étudiants débutent dès 1964, avec l’intervention de la police à la Sorbonne, le mouvement qui prend forme le 3 mai 1968 se distingue par sa violence et sa constance. Les étudiants occupent « leur » quartier, le Quartier latin, du 3 au 11 mai. Le bilan est lourd : 481 blessés (dont 279 étudiants) et 80 arrestations le 6 mai, par exemple. La journée du 10 mai s’achève par « la nuit des barricades » qui se traduit par 367 blessés, 460 interpellations et 188 voitures endommagées. Ces journées se caractérisent par le rôle central de la radio, qui suit les événements en direct, par la violence de la confrontation entre étudiants et forces de l’ordre, par des condamnations lourdes qui attisent la contestation, par des violences policières dont les filles sont particulièrement victimes (robes déchirées, coups au ventre, tentatives de viols, cheveux coupés ou rasés).
L’ouvrage évoque d’autres villes universitaires que Paris et Nanterre : Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Marseille… ont en effet joué aussi un rôle central dans le mouvement. Si l’ensemble des villes universitaires sont concernées avec des proportions de grévistes similaires aux universités franciliennes, les manifestations sont en grande majorité pacifiques. Un sit-in de 500 étudiants a ainsi eu lieu au Mans, dans le calme, le 7 mai, avec comme objectif de bloquer les convois de gardes mobiles. Les formes de mobilisation sont variées : les facultés de médecine, de pharmacie et de droit sont moins présentes dans les manifestations mais mènent une réflexion sur les structures universitaires. Certains étudiants se montrent hostiles au mouvement et mènent des contre-manifestation (Dijon, le 6 mai, par exemple). Des affrontements ont lieu aux entrées des universités. Les événements parisiens contribuent à la radicalisation des mouvements en province. Des occupations des locaux ont lieu à Lyon, Strasbourg et Marseille.
Du 13 mai au 16 juin, une grève générale se met en place, unissant en apparence les étudiants, les enseignants et les travailleurs. Les divergences sont masquées par le succès de la mobilisation. Les grèves, à l’exception de l’Education nationale, se font de manière spontanée, sans mot d’ordre préalable. Les occupations d’usines se multiplient à commencer par les sites de Renault, à Flins, à Sandouville, au Mans et à Billancourt. Mais toutes les entreprises ne sont pas occupées, les petites entreprises et le secteur agroalimentaire sont en effet moins touchés. Les ingénieurs et les cadres participent parfois aux occupations voire en sont à l’origine. La présence des femmes est importante, l’égalité salariale s’inscrit dans les revendications. Mais simultanément, les occupations se poursuivent dans les universités, devenues un espace de débats. La question de la tenue des examens est un facteur de division. Des structures provisoires de cogestion sont mises en place : la faculté des sciences d’Aix-Marseille met ainsi en place une assemblée constituante, idée reprise par d’autres universités.
Un mouvement anti-contestataire se met en place autour d’un événement imaginaire : un manifestant aurait uriné sur la tombe du soldat inconnu. Des manifestations d’extrême-droite ont lieu. Un comité de défense de la République entend défendre la liberté contre l’anarchie.
Les accords de Grenelle sont refusés par de nombreux grévistes. De Gaulle disparaît alors quelques jours avant de s’adresser aux Français le 30 mai. Il annonce la dissolution de l’Assemblée et estime que la République est « en danger ». L’Etat reprend la main avec le retour de l’essence dans les stations-service grâce à l’évacuation des piquets de grève devant les dépôts pétroliers. Une série d’incidents et d’attentats visent les piquets de grève. Malgré le maintien de conflits, les salariés ont obtenu d’importantes augmentations de salaires , le SMIG est relevé de 35 %.
- Film : Reprise d’Hervé Le Roux. Le cinéaste part à la recherche d’une ouvrière, égérie anonyme de mai 68.
- Objets
- Les affiches de mai : l’atelier populaire des Beaux-Arts. Les tracts imprimés sous forme de « polys » côtoient les affiches manuscrites. L’atelier des Beaux-Arts recourt à la technique de la sérigraphie, qui a le mérite d’être peu coûteuse et performante. Les affiches sont anonymes. Elles font l’objet de débats, celles qui sont approuvées sont tamponnées.
- Matraques, gaz et boucliers : la police en action. Ces objets symbolisent la violence d’Etat et sont omniprésents dans l’iconographie de mai 68. La matraque ravive aussi le souvenir de Charonne.
- Le transistor à l’écoute de la rue. Objet relativement nouveau, il joue un rôle central en matière d’information consacrant une large place aux manifestations et envoyant des reporters au plus près des événements. Les radios privées sont critiquées par le pouvoir alors que l’ORTF, privée de direct, se met en grève.
- Ailleurs
- Le « mouvement estudiantin » à Mexico (26 juillet-2 octobre 1968). Ce mouvement est marqué par des confrontations violentes entre étudiants et forces de l’ordre. Le mouvement ne parvient pas à s’étendre au-delà des milieux universitaires et intellectuels. La répression est violente dans le contexte des JO. Le mouvement marque la diffusion d’une contre-culture.
- Prague tragique (5 janvier – 20 août 1968). Le Printemps de Prague qui se conclut par l’immolation de Jan Palach, est replacé dans une perspective plus large, celle du mouvement démocratique né au début des années 1960. La crise tchécoslovaque a donné de l’espoir aux opposants du bloc communiste et a contribué à la délégitimation du système socialiste.
- Chicago (Août 1968). L’année 1968 est « l’année des plus grandes turbulences » (J. Patterson) dans l’histoire des Etats Unis : offensive du Têt, décision de Johnson de ne pas se représenter, assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy, émeutes et agitation étudiante, poings levés des athlètes noirs américains lors des JO de Mexico, élection de Nixon. Du 24 au 29 août, pendant la convention démocrate, Chicago connaît 6 jours de manifestations contre la guerre et de répressions violentes. Ces manifestations ont été préparées à l’avance par différents groupes activistes, mais aussi par la police et par Richard Daley, maire de la ville.
- Lieux
- De l’ « affaire Langlois » au Festival de Cannes : « Le cinéma s’insurge ». Antoine de Baecque revient sur les films évoquant mai 68, des tensions à la Cinémathèque et sur l’interruption du Festival de Cannes.
- Les morts de Flins et de Sochaux : de la grève à la violence politique. Les 10 et 11 juin, un lycéen et deux ouvriers sont tués suite à l’intervention des forces de police dans les usines.
- Sud-Aviation, Nantes : la première occupation de Mai. Le directeur, séquestré par les ouvriers, intervient en direct sur Europe, ce qui renforce la médiatisation du conflit.
- La maison ronde : l’ORTF en mai-juin 68. La maison de la radio incarne la grève prolongée des personnels de l’ORTF pour la liberté de l’information. Si la radio a joué un rôle central dans le mouvement, la télévision apparaît comme la « grande muette ». Les antennes de télévision sont représentées comme des barbelés sur les affiches des Beaux-Arts.
- Acteurs
- PCF et CGT face à 68. Même si le PCF a joué un rôle important pendant mai 68, les divisions et l’échec électoral laisse un sentiment d’échec. La CGT s’est en revanche imposé comme un acteur majeur en gardant davantage contact avec les organisations étudiantes et en prenant l’initiative d’une grande manifestation le 13 mai.
- Les cent visages du gauchisme. Les mouvements d’extrême-gauche sont visés par la loi dite anticasseurs en 1970. Le gauchisme fait l’objet d’une importante production éditoriale. Il est constitué de multiples groupes d’importance variable : Ligue communiste révolutionnaire, Alliance marxiste révolutionnaire, maos, Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, Vive la révolution !, anarchistes…
- La « majorité silencieuse » ou la bataille de l’opinion en mai-juin 1968. Il y’aurait eu des minorités agissante et une « majorité silencieuse », attentiste et réprobatrice. Le terme est employé à partir de 1970, dans le contexte du vote de la loi « anticasseurs ».
- L’engagement des intellectuels à l’épreuve de mai 68. Les intellectuels se mobilisent d’abord en faveur du tiers monde. L’action des intellectuels se concentre surtout sur les institutions culturelles.
- Traverses
- « Je crie, j’écris ». Quand la révolution passe par la prise de parole et de l’écriture. Michel de Certeau met en avant que l’un des principaux apports de mai 68 est l’expérience de la parole. La parole s’accompagne d’une démocratisation de l’écrit : affiches, tracts, journaux de revendications…
- Insubordination et politisation ouvrières : les occupations d’usines. Pratique illégale, l’occupation crée de nouvelles solidarités, structures et temporalités. L’article évoque aussi les occupations des occupants et la place marginale des femmes.
- Grèves et mouvements lycéens. Les lycées constituent un nouvel acteur collectif, dans un contexte de transformation et de démocratisation du lycée. Des comités d’action lycées se créent en 1968. Ils participent aux manifestations.
- L’engagement des photographes : le photojournalisme en action. L’article évoque notamment Gilles Caron, qui a fait entrer Daniel Cohn-Bendit dans « l’imaginaire collectif » selon l’intéressé lui-même. La photographie a contribué à la mobilisation, à la légitimité du mouvement en témoignant des violences policières.
- Odéon, Villeurbanne, Avignon : la contestation par le théâtre. Le théâtre est au coeur des contestations à travers l’occupation du théâtre de l’Odéon, les débats entre acteurs culturels à Villeurbanne et les tensions lors du festival d’Avignon.
Partie 3 : 1968-1974 – Changer le monde et changer sa vie
Récit
Après mai 68, on note une poursuite des contestations, notamment chez les lycéens et étudiants autour du projet de réforme de l’université. Ils rejoignent épisodiquement les travailleurs. Sous Georges Pompidou, une politique contractuelle avec les syndicats se met en place. Les modes d’action ont été modifiés par mai 68 : les distributions de tracts et les séquestrations de patrons sont plus fréquentes. L’OS apparaît comme une nouvelle figure ouvrière, notamment lors du conflit de 1971 aux usines Renault du Mans et du conflit de Penarroya en mars 1972. Les différences ente ouvriers européens ou immigrés sont décriées.
Les intellectuels prennent part à ces contestations à travers l’association Secours rouge qui défend la justice, l’égalité et les libertés. L’engagement de Jean-Paul Sartre est bien connu. Il participe notamment à la création du quotidien Libération, s’insurge contre la « justice populaire », défend les boat people vietnamiens…
Dans les années 1970, la France est confrontée comme d’autres Etats européens à une violence politique importante allant jusqu’au terrorisme avec le groupe Action directe. Des groupes d’extrême-gauche condamnent l’usage de la violence : les trotskistes, les marxistes-léninistes. Des affrontements violents ont lieu entre la Ligue communistes et l’organisation d’extrême-droite Ordre nouveau, ce qui entraîne la dissolution des deux mouvements en 1973. Les actes terroristes restent beaucoup moins nombreux qu’en Italie ou en Allemagne, ce qui s’explique à la fois par une extrême-gauche plus modérée et par l’attitude légaliste de l’Etat.
Des mouvements pacifistes se développent autour de la question des objecteurs de conscience (loi de 1963), de la lutte contre le nucléaire perçue par le gouvernement comme une lutte contre la nation, du mouvement du Larzac. Mais ces mouvements restent très minoritaires.
Concernant la libéralisation des femmes, la législation évolue très lentement : la loi Neuwirth de 1967 est restrictive (contrôle strict de la vente des contraceptifs) et n’entre en vigueur qu’en 1972. Il faut attendre la loi Veil de 1974 pour que les moyens de contraception soient réellement accessibles. Le MLF naît en 1970 avec le dépôt d’une gerbe à « la femme inconnue du soldat ». Le mouvement s’engage dans la lutte pour le droit à l’avortement au moyen d’actions percutantes comme le « manifeste de 343 salopes » en 1971. En 1972, une jeune fille violée est jugée pour avoir avorté illégalement : c’est le procès de Bobigny qui devient une tribune pour le droit à l’avortement. Des médecins s’engagent lors du procès et en pratiquant des avortements clandestins.Le mouvement homosexuel français se structure également avec la création du FHAR, le Front homosexuel d’action révolutionnaire.
- Film : L’an 01 de Jacques Doillon, constitué de saynètes, imagine la vie de l’après 68.
- Objets
- La révolution de la pilule. Inventée en 1960, elle est d’abord diffusée illégalement par les centres de planning familial. En 1967, elle est autorisée de manière restrictive par la loi Neuwirth, l’application est lente. La pilule est au coeur des revendications féministes au nom du droit des femmes à disposer de leur corps. La pilule permet de séparer sexualité et procréation.
- La photographie de l’ouvrier du joint français : le prolétaire et son double. IL s’agit d’une photographie montrant la confrontation entre un ouvrier gréviste et un CRS, tous deux épuisés.
- Les petits livres rouges (1966-1976). La diffusion du petit livre rouge dans les années 1960 et 1970 en France montre l’engouement pour la révolution culturelle chinoise.
- Ailleurs
- De 1968 au terrorisme : les Brigades rouges et l’Italie des « années de plomb ». La dérive des mouvements d’extrême-gauche vers le terrorisme rend difficile une étude objective. Les opposants à la violence sont souvent oubliés. L’histoire de la formation des Brigades rouge est évoquée ainsi que ses liens avec les mouvements de grève, les mouvements étudiants et la tradition de la Résistance. La montée vers la violence, symbolisée par l’assassinat d’Aldo Moro et la réponse de l’Etat sont ensuite décrites.
- La Fraction armée rouge et les autres : la guérilla en RFA. Comme pour les Brigades rouges, la question de la continuité avec 1968 se pose. La naissance et le recours à la violence sont évoqués avant la réponse de l’Etat, entre répression et évolution face aux critiques.
- Le drame chilien. Le Chili d’Allende apparaît comme un laboratoire pour les gauches européennes, le coup d’Etat de Pinochet en 1973 entraîne une mobilisation des opinions publiques en Europe.
- Du Vietnam héroïque à la défense des droits de l’homme. La mobilisation contre la guerre du Vietnam en France suit une temporalité propre, bien différente des Etats-Unis. Une remobilisation s’opère en 1971-1972, alors que le mouvement américain s’étiole. Elle se poursuit après le départ des troupes américaines, de nombreuses associations se mobilisent en effet pour la libération des prisonniers politiques.
- Lieux
- Lip et Larzac : conflits locaux et mobilisations nationales. Ces deux conflits locaux ont pour point commun d’avoir eu des répercussions nationales. Ils rassemblent largement et se caractérisent par une grande inventivité. Le recours à l’illégalité est justifié par une légitimité de la lutte : droit à l’emploi, droit de cultiver sa terre. L’organisation de ces deux mouvements se fait en dehors des structures traditionnelles.
- Paris-Pékin, aller-retour : de l’aveuglement à la méfiance. Les récits de voyage sont nombreux dans les années 1950-1960, montrant une admiration pour la Chine. Le rideau tombe dans les années 1970 avec des publications dénonçant les camps de travail.
- La route du Népal : la grande migration hippie. Le Népal devient une destination mythique, fréquentée par les artistes et par les hippies.
- Vincennes (1969-1974) : entre science et utopies. La création de l’université apparaît comme le fief du structuralisme, avec notamment la nomination de Michel Foucault et de Jacques Lacan. Elle est conçue comme une « anti-Sorbonne ». Les enseignements y sont inspirés par mai 68, notamment la première année.
- La psychanalyse ou la parole contrariée : le séminaire de Lacan. Il se tient à Saint-Anne puis à Ulm et est centré sur le langage, champ privilégié de la psychanalyse selon Lacan. Ses textes sont publiés et rencontrent un large public.
- Alliances inattendues à la Goutte d’Or. La Goutte d’Or est un quartier où se cristallisent une partie des luttes des années 1960 et 1970 : mobilisations contre les crimes racistes, contre le mal-logement, pour la régularisation des sans-papiers. Les militants extérieurs au quartier entrent difficilement en contact avec la population.
- L’ « utopie communautaire ». La multiplication des communautés incite le Ministère de l’Intérieur à les surveiller. 300 groupes libertaires sont dénombrés en 1973. Faire partie d’une communauté prend des formes diverses, plus ou moins durables.
- Vie et mort d’une librairie militante : la Joie de lire (1958-1976). Il s’agit d’une librairie généraliste de gauche qui a constitué un lieu privilégié de rencontre et de débats pour les intellectuels et les militants. Située dans le quartier latin, elle a participé à la diffusion d’idées politiques, en important des textes de Pékin et de Hanoi.
- Acteurs
- L’insurrection féministe. En 1970, des femmes déposent des fleurs sur la tombe du soldat inconnu brandissant des banderoles : « Il y’a plus inconnu que le soldat, sa femme » ; « un homme sur deux est une femme ». Le féminisme des années 1970, autour de MLF, s’inscrit dans la dynamique de mai 68. D’autres associations sont actives : Choisir fondée par l’avocate Gisèle Halimi, La ligue des droits de la femme atour d’Anne Zelenski. Un féminisme plus modéré se développe : journaux féminin, secrétariat d’Etat à la condition féminine depuis 1974, année de la femme en 1975 décrétée par l’ONU.
- Les établis : du projet politique à l’expérience sociale. Plusieurs milliers de jeunes passent de l’université à un travail en usine pour concrétiser leur projet révolutionnaire.
- Le gauchisme et ses cultures politiques. Le gauchisme est éclaté en différentes « familles » et les mouvements d’extrême-gauche refusent généralement cette appellation. Des éléments fondamentaux se dégagent cependant : la lutte des classes, l’anticapitalisme, l’hostilité au parlementarisme, l’internationalisme et l’antifascisme.
- Le Cedetim de la « coopération rouge » à l’altermondialisme. Il s’agit du Centre socialiste de documentation et d’études sur les problèmes du tiers monde, la structure devient le Centre d’études anti-impérialistes en 1969 avant de se tourner vers l’altermondialisme dans les années 1900 et 2000. Sa longévité est une exception parmi les mouvements nés dans l’effervescence de mai 68.
- Les prisonniers enfin : de l’indifférence à « l’effet de souffle ». Mai 68 a globalement ignoré les prisons. Un tournant a lieu dans les années 1970 avec l’amorce d’une mobilisation. Sartre considère que les prisonniers constituent le « nouveau sujet révolutionnaire ».
- De l’ « appel des cent » aux comités de soldats : 68 dans les casernes. L’armée est aussi concernée par le mouvement de 68 par le biais de la montée de l’antimilitarisme. Des mouvements se développent parmi les appelés d’abord de manière spontanée face à des brimades puis de manière plus politique, par exemple en soutien aux paysans du Larzac ou aux ouvriers de Lip. En 1974, lors de la campagne présidentielle, cent soldats français et allemands publient une liste de revendications. Des comités de soldats centralisent les revendications par la suite, malgré les sanctions disciplinaires.
- Ce que Mai fit à la police. Un nouveau ministre de l’Intérieur est nommé le 31 mai 1968, Raymond Marcellin, qui tente avant tout d’éviter un nouveau mai 68. Le budget augmente et permet le développement d’un système de surveillance, et la dissolution de groupes politiques. La période est cependant avant tout marquée par une hausse de la délinquance. Il faut attendre 1981 pour que se mette en place la « méthode de l’îlotage », plus de contacts avec les citoyens et une plus grande ouverture aux femmes.
- Le 68 des juristes : défense, revendication, organisation (1968-1974). Mai 68 influe sur la justice de différentes manières : par le biais de sa participation à la répression, par la participation des étudiants et des professionnels au mouvement, par un développement des syndicats de magistrats.
- Traverses
- L’antipsychiatrie : la folie change de visage. Il s’agit d’abord d’une contestation de l’enfermement et des conditions de vie dans les asiles.
- La nouvelle presse : de Hara-Kiri à Libération. Cette nouvelle presse se développe avec un décalage. Mai 68 se caractérise par une grève des imprimeries et une prédominance des radios. Hara-kiri Hebdo né en janvier 1969 est interdit l’année suivante pour avoir titré « Bal tragique à Colombey : un mort ». L’équipe lance Charlie Hebdo. La période est aussi celle de l’apogée du photojournalisme avec la fondation des agences Gamma, Sipa et Viva. En mai 1970, Jean-François Bizot reprend Actuel. Libération nait en 1973.
- Imaginer l’école d’une société libre. Les grèves et les occupations font des établissements scolaires des lieux de débat. Se pose la question de l’accès des jeunes à la parole lorsque les lycéens dénoncent une « école-caserne » qui leur interdit distribution de tracts et rédaction de journaux lycéens. Les pédagogies alternatives comme celle de Célestin Freinet redeviennent à la mode.
- La politisation des corps. De nouvelles pratiques transgressent les normes, notamment le rapport à la nudité (Brigitte Bardot, monokinis, les Nanas de Niki Saint-Phalle) et le recours au Planning Familial. Lycéens et étudiants dénoncent les règles des établissements : interdiction du pantalon pour les filles, des cheveux longs pour les garçons. Les médecins militants s’engagent pour l’avortement.
- Sartre-Foucault : on change d’intellectuel. Avec le passage de témoin entre les deux hommes, la figure de l’intellectuel évolue. Foucault théorise une figure de « l’intellectuel spécifique » dans la mesure où son savoir est nécessairement partiel.
- Les cathos de gauche : l’engagement dans les luttes politiques. Des chrétiens rejoignent le mouvement tiers-mondiste avant mai 68 et se déclarent solidaires des ouvriers et des étudiants en grève en 1968. L’extrême-gauche chrétienne continue à se développe et se fragmente en 1974 par des ralliements au PS. Certains militants chrétiens ont été déçus par la reprise en main morale de l’Eglise catholique.
Partie 4 : 1974-1981 – Le début de la fin
Récit
L’année 1974 constitue une rupture notable : avénement du libéralisme giscardien, crise économique et fin des Trente Glorieuses. Le gouvernement s’ouvre aux femmes, la majorité est abaissée à 18 ans, assouplissement de la loi sur la contraception en 1974 puis loi autorisant l’IVG en 1975, loi sur le viol en 1980 (défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise »). Face à la crise et à la hausse du chômage, l’ANPE, l’UNEDIC et les ASSEDIC sont mises en place. Les conflits sociaux se multiplient dans les années 1970.
De nouveaux enjeux font débat dans l’opinion publique : l’écologie, l’immigration.
La gauche se divise en 1977 autour du Programme commun, à un moment où elle est ébranlée par la publication de l’Archipel du Goulag (1974). Le PS et le PCF se séparent.
- Film : Le fond de l’air est rouge de Chris Marker. Le film raconte l’histoire et l’échec de la gauche de la mort du Che en 1967 à la rupture du Programme commun en 1977.
- Objets
- L’épingle à nourrice ou le punk, enfant schizophrénique de Mai 68. « Ultime représentation du néant » selon le journaliste Lester Bangs, elle est aussi accessoire de mode et symbolise l’ambivalence de la culture punk, entre révolte et produit commercial. Les Tshirts arborent des phrases proches des slogans de 68, mais le punk rompt aussi avec un certain idéalisme.
- La success story de la 4L. La 4L est la premiere traction avant des usines Renault, elle comporte aussi une innovation pratique avec la 5e porte et de style puisqu’elle est la première Renault à s’appeler d’un chiffre et d’une lettre. Face à la DS de De Gaulle, voiture du pouvoir, la 4L est le « véhicule de la France ordinaire », mais aussi le symbole du service public : c’est la voiture des gendarmes, des postiers, de l’ONF, d’EDF-GDF, de l’Armée de terre… déclinée en couleurs indiquant l’administration. La 4L innove aussi dans le domaine de la publicité. Mais elle devient aussi la voiture des contestataires qui n’hésitent pas à la personnaliser : grosses fleurs, couleurs arc-en-ciel, autocollants militants…
- Trois fois rien sur Libération. Le journal se caractérise par le courrier des lecteurs, par les notes de clavistes (notes personnels des employés chargés de saisir les textes des journalistes) et par Bazooka, collectif provocateur de plasticiens qui envahit les pages du journal.
- Ailleurs
- Les échos de la révolution iranienne. Malgré les apparences, la révolution iranienne reposait sur des revendications relatives à l’émancipation politique et à l’égalité sociale. Les causes sont politiques et culturelles et traduisent l’échec de la modernisation forcée du pays. Le soutien des Etats-Unis a fragilisé encore davantage le Shah.
- Un boycott avorté : le Mundial argentin de 1978. L’Amérique latine est alors touchée par une vague de coups d’Etat militaires qui donnent naissance à des dictatures. Une junte militaire prend le pouvoir en Argentine en 1976, elle entend s’appuyer sur le Mondial pour obtenir une reconnaissance internationale. Un Comité pour le boycott de la coupe du monde de football en Argentine (COBA) est lancé à l’initiative de militants français. Leur pétition recueille 150 000 signatures et le soutien de nombreux intellectuels dont Marek Halter, Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Simone Signoret… mais a peu d’écho dans le milieu sportif et sur la scène politique. Le boycott échoue et la dictature argentine tire profit de l’événement qui restaure temporairement l’image d’une nation unie.
- Solidarnosc, 1980. L’année 1980 est marquée par de grandes grèves en Pologne et par la naissance du syndicat Solidarité. Marguerite Duras suit l’événement pour Libération en évoquant l’espoir. Le mode d’action, la grève illimitée avec occupation d’usine, rappelle mai 68 et les grèves du Front populaire.
- Lieux
- Creys-Malville contre Plogoff : les nouveaux visages de la lutte antinucléaire. Des militants politisés rejoignent les écologistes et apportent des idéaux d’autogestion et de décentralisation. En 1974, EDF décide d’installer le prototype de surrégénérateur Super-Phénix à Creys-Malville, ce qui entraîne des manifestations, où s’infiltrent des manifestants violents. Un manifestant est tué, beaucoup de manifestants et de policiers sont blessés et la mobilisation retombe jusqu’à l’annonce de l’installation d’une centrale à Plogoff en Bretagne. La violence physique est cette fois contenue.
- Aléria (1975) et Montredon (1976) : deux manifestations régionalistes. Il s’agit de deux manifestations viticoles, qui se terminent chacune par deux morts. Les deux événements sont replacés dans l’histoire des régionalismes, des luttes viticoles et de la gestion politique. Le cas d’alésia permet d’évoquer la transformation d’un mouvement autonomiste corse en un mouvement indépendantiste. Les conséquences dramatiques de la manifestation de Montredon en Occitanie renforcent l’attachement aux valeurs républicaines et entraînent un retour au calme.
- Les grèves de loyers dans les foyers Sonocotra : premier mouvement immigré ? Entre 1973 et 1981, face aux conditions de vie difficiles dans ces foyers, les travailleurs immigrés se mobilisent par une grève des loyers. Ils sont appuyés par des militants d’extrême-gauche français. Ce mode d’action s’accompagne de manifestations, de meetings, de prise de parole médiatique et d’occupation de lieux publics. Peu d’avancées sont obtenues.
- Acteurs
- Les « nouveaux philosophes » ou la fin des intellectuels. Bernard-Henri Lévy lance l’expression en 1976 et réussit à se faire une place dans les médias. Les « nouveaux philosophes » lutte contre le marxisme politique, dans le contexte de la publication de l’Archipel du Goulag. Les critiques des philosophes fusent contre un courant perçu comme creux.
- L’humanitaire, enfant de Mai ? La filiation entre Mai 68 et l’humanitaire mérite d’être nuancée. Les associations humanitaires sont plus ancienne et leur développement à la fin des années 60 a peu de rapport avec la révolte étudiante à commencer par la tentative de sécession du Biafra. Lors du conflit, les médecins humanitaires, dont Bernard Kouchner, rompent leur engagement de confidentialité pour témoigner dans les médias. Ils emploient des techniques modernes de communications pour recueillir des fonds.
- Les travailleurs sociaux contre le contrôle social. L’expression « travail social » n’existe pas dans les années 1960, elle apparaît avec le développement des éducateurs de rue.
- Luttes dans la sidérurgie en 1979 : la fin de l’insubordination ouvrière. Les licenciements massifs (57 000 dans le Nord, 16 000 en Lorraine entre 1962 et 1971) entraînent des violences et le développement d’un discours nationaliste. Cette mobilisation marque aussi la crise de la classe ouvrière.
- Traverses
- Les habits étroits de l’Union de la gauche. Le PS conquiert des voix en abordant les thèmes de l’écologie, des droits des femmes. Son rôle est selon lui d’élever les consciences et de mobiliser.
- L’esprit de la dissidence à l’Est. Les trotskistes et anarchistes dénonçaient depuis longtemps le stalinisme et ont porté une attention particulière au printemps de Prague. Ils recherchaient une troisième voie, un socialisme démocratique. Des comités de soutien aux dissidents se forment. Les dissidents tirent partie de la « troisième corbeille » relative aux droits de l’homme des accords d’Helsinki signés en 1975.
- 68 après 68 : de la contestation du passé à la crise de l’avenir. L’héritage de 68 est souvent évoqué comme une pensée uniforme alors qu’il est multiple voire contradictoire.Robert Frank revient sur les héritages de 68 et sur la notion de régimes d’historicité.
Epilogue : 68 et l’histoire – Philippe Artières dresse un bilan historiographique de mai 68.
68, une histoire collective est un ouvrage riche qui permet d’aborder l’histoire de mai 68 dans un temps long, à différentes échelles et dans différents pays. Les exemples sont multiples qu’il s’agisse de portraits, d’objets emblématiques ou d’événements. Le livre comporte aussi une bibliographie mise à jour et une chronologie détaillée.
Jennifer Ghislain pour les Clionautes