Les trois rédacteurs de cet Atlas sont des spécialistes reconnus de l’Afrique dans différents domaines : les relations entre ressources naturelles et territoires, l’urbanisation, le développement local, la gouvernance, les systèmes de transport, la circulation des personnes et des biens,… Gérard MAGRIN est professeur de géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Alain DUBRESSON est professeur émérite à l’université de Paris-Nanterre. Olivier MINOT est ingénieur de recherche au CNRS. Leur discours est parfaitement congruent avec une cartographie de qualité réalisée par Aurélie BOISSIÈRE.
L’introduction pose d’abord la question de la place du continent africain dans le processus de mondialisation entre marge pauvre instable en proie à des crises multiples et une dernière frontière du capitalisme aux gisements importants de développement. Les auteurs avertissent d’abord qu’il faut se garder d’analyses simplificatrices et de verser soit dans l’afro-pessimiste ou dans l’afro-optimisme béat. Les deux dernières décennies, malgré des catastrophes récurrentes, semblent clairement s’inscrire dans l’émergence d’un continent caractérisé par une économie en croissance adossée à un marché intérieur important permettant une intégration dans la mondialisation. Toutefois les trajectoires sont variées, à toutes les échelles. Cet atlas propose donc de décrire et d’expliquer ces différentes dynamiques dans cinq parties distinctes :
Deux milliards et de demi d’Africains en 2050
Les croissances démographique et urbaine sont rapides et sont lourdes de conséquences. Toutefois les avancées des transitions démographique et urbaine sont inégales. Elles sont quasiment achevées en Afrique du Nord et en Afrique australe. La poussée actuelle est aujourd’hui principalement le fait de l’Afrique subsaharienne (7,6 enfants par femme au Niger). En 2015, 44% des Subsahariens ont moins de 15 ans, les deux tiers moins de 25 ans. Le défi de l’éducation, enjeu clé du développement, de ces jeunes reste à relever. 37 % des plus de 15 ans en 2015 en Afrique subsaharienne sont analphabètes. Les progrès sont toutefois importants : augmentation des taux de scolarisation à l’école primaire, progression de l’accès à l’université,… On rencontre des améliorations également dans le domaine sanitaire qui se concrétisent par l’augmentation de l’espérance de vie (de 42 ans dans les années 1960 à 60 ans aujourd’hui). Deux autres dynamiques démographiques sont importantes : l’intensification et la diversification des migrations internes et l’urbanisation massive.
L’environnement sous pression
Il existe un lien fort entre défis démographiques, pauvreté et pressions environnementales en Afrique. On le constate par exemple dans la gestion de l’eau. L’accès à une eau potable pour tous est toujours un problème, renforcé à la fois par le changement global et les problèmes de gouvernance. La déforestation (par exemple dans le bassin du Congo) et la désertification (au Sahel par exemple) progressent. Les difficultés rencontrées dans la mise en place de la Grande Muraille verte posent encore une fois la question de l’investissement des différents acteurs. Les aires protégées (4 millions de km² en 2015) sont un autre exemple de volonté des États qui ne se traduit pas toujours sur le terrain.
Un tournant économique ?
Héritée de la période coloniale, l’économie africaine dépend encore beaucoup de l’exportation de produits primaires. Les tentatives d’industrialisation ont souvent échoué. Mais depuis le début des années 2000, l’élargissement des marchés nationaux et régionaux (reposant sur les croissances démographique et urbaine), l’augmentation des investissements étrangers (par les pays émergents) et l’essor de nouveaux secteurs (dans les services notamment) apparaissent comme des socles d’une croissance moins cyclique et plus pérenne. La filière des fleurs au Kenya coupées est un exemple réussi d’insertion à la mondialisation. Souvent pénalisée par un manque d’infrastructures, l’Afrique compte aujourd’hui 300 grands projets en 2015 dont la rénovation de l’aéroport Jomo Kenyatta de Nairobi en lien avec l’exportation des fleurs vers le marché européen. Enfin les TIC apparaissent comme une nouvelle chance pour l’Afrique malgré de nombreux obstacles encore à surmonter.
États, sociétés, territoires : tensions et recompositions
L’Afrique demeure un continent marqué par les conflits. Les guerres auraient fait près de 10 millions de morts depuis 1960. La carte proposée des principaux conflits post indépendances montre bien leur répartition sur l’ensemble du continent et précise les mobiles qui peuvent être variés : tracé frontalier, sécession, contrôle du pouvoir d’État, projet politico-religieux alternatif. La République centrafricaine ou la Somalie apparaissent comme des archétypes de l’État failli où effondrement de l’État se mêle à l’insécurité. Même si la transition démocratique progresse globalement en Afrique, l’indice de la gouvernance (calculé par la fondation Mo Ibrahim) est très inégal selon les pays. Par ailleurs, les tentatives d’intégration régionale ont pour l’instant été globalement des échecs. Elles sont pourtant indispensable au développement et à la compétitivité mondiale du continent.
L’Afrique et le monde
Le continent apparaît aujourd’hui comme un espaces d’opportunités pour de nombreux acteurs, de plus en plus nombreux et d’origines diverses. L’investissement de la Chine en Afrique est un cas emblématique de ces nouveaux partenariats. On compte aujourd’hui 2000 entreprises chinoises en Afrique travaillant notamment dans la réalisation d’infrastructures utiles pour le développement économique africain. Mais en même temps un accaparement des terres (land grabbing) et des matières premières leur est reproché. L’Afrique est également insérée dans la mondialisation par les trafics, notamment de drogues et est parfois le refuge d’organisations terroristes (au Sahara par exemple). Enfin, il est important de souligner les liens entre migration et développement par le biais des diasporas africaines. Les transferts d’argent des émigrés vers leurs pays d’origine ont pris des proportions considérables.
Au final, cet Atlas fait le tour des principaux enjeux du développement de l’Afrique, de manière synthétique et objective. Il est à la fois utile pour faire une mise au point rapide et actualisée sur ce continent et pour fournir des documents, et notamment des cartes, afin d’illustrer des études de cas en classe. Je pense par exemple à la carte sur le Sahara, désert disputé (p.88) pour la classe de Terminale
A noter que cette nouvelle édition adopte les éléments de la nouvelle maquette des Atlas des éditions Autrement.
On pourra lire avec profit le compte-rendu d’Antoine Baronnet sur la 1ère édition
Un trio d’auteurs et un hommage
Cette troisième édition est le résultat d’un travail collectif mené par Alain Dubresson (professeur émérite de l’Université Paris X-Nanterre), Géraud Magrin (professeur de géographie à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) et Olivier Ninot (ingénieur de recherches rattaché au pôle de recherche PRODIG du CNRS). Les cartes sont réalisées par Aurélie Boissière.
La préface mentionne que l’atlas se veut être un hommage au géographe de l’Afrique Jean-Pierre Raison disparu en juillet 2016.
Le principal mérite de cet atlas est de proposer une vision renouvelée de la géographie du continent en questionnant la notion d’émergence à travers plus de 120 cartes, schémas et graphiques. L’introduction s’intéresse d’abord à l’insertion de l’Afrique dans la mondialisation : « demeure-t-elle le continent de la pauvreté à savoir une marge instable en proie aux désastres sanitaires, aux crises environnementales et aux conflits ? ». Au contraire, « est-elle la dernière frontière du capitalisme mondial, en cours de transformation grâce à ses ressources naturelles et à sa poussée démographique et urbaine, gages d’un gisement de croissance ? ». L’ouvrage a le mérite de ne pas tomber dans l’afro-pessimisme ou l’idéalisation économique.
Deux milliards d’Africains en 2050
D’un continent abritant 100 millions d’habitants en 1900, l’Afrique dépasse le milliard au début des années 2000. Les projections modérées estiment une population proche de 2,5 milliards d’habitants en 2050. Autrefois majoritairement rurale, le continent présentera une majorité d’urbains au milieu du XXIème siècle. Les contrastes de peuplement sont abordés de manière très claire en insistant notamment sur l’augmentation des densités de populations à l’échelle des États. Notons que certains espaces perdent des habitants : des espaces fortement marqués par l’exode rural (Sahel septentrional, forêts du Gabon et de Centrafrique) ou de montagnes (monts Mandara au Cameroun, montagnes de Kabylie en Algérie). Les inégaux progrès en matière de scolarisation sont abordés à l’échelle continentale, puis des États. En moyenne, une classe de primaire compte 42 élèves en Zambie et moins de 20 en Algérie et aux Seychelles. Au Lesotho, en Algérie et au Cap-Vert, la scolarisation des filles bien supérieure à celles des garçons. Les migrations intra-africaines (notamment par l’étude de l’Afrique de l’Ouest), les enjeux des espaces urbains (par le maintien des bidonvilles) complètent cette première partie se terminant par une excellente étude de cas sur l’urbanisation de Kinshasa (p. 24-25).
L’environnement sous pression
L’augmentation de la population africaine entraîne une pression croissante sur l’environnement. Les changements climatiques et la gestion des écoulements sont des défis à relever pour les administrations africaines. A ce titre, l’étude du Lac Tchad permet d’insister sur la nécessité d’une gouvernance multiétatiques pour le maintien d’une zone humide (p. 32-33). Une carte du bassin du Nil (p. 35) et de la déforestation en Afrique centrale (p. 37) seront précieuses pour l’enseignement de la géographie en classe de seconde. Une mise au point sémantique est utile afin de distinguer la désertification (à la fois un processus et un état de dégradation des terres par les facteurs climatiques et anthropiques) et la désertisation (extension des conditions naturelles des déserts).
Un tournant économique
L’émergence économique repose sur plusieurs facteurs : une forte croissance urbaine et démographique, l’essor des services et l’augmentation des investissements étrangers. Le secteur primaire reste persistant dans de nombreux États (Sierra Leone, Burkina Faso). Pour la séquence sur l’alimentation en classe de seconde, l’étude de l’agriculture kenyane (p. 48-49) permet une mise en perspective sur la place des exportations et la difficulté d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Deux excellentes cartes des gisements naturels de gaz au Mozambique et des ressources du sous-sol africain complètent ce tableau (p. 50-51). Le chapitre se clôt sur l’ambivalence du développement sud-africain oscillant entre mondialisation (métropolisation) et vulnérabilité (une croissance faiblement créatrice d’emplois).
États, sociétés, territoires : tensions et recompositions
Ce chapitre s’intéresse principalement aux crises et tensions : les questions identitaires (en Somalie), les changements frontaliers (Namibie-Angola), la faillite étatique (à travers le cas centrafricain), le cheminement difficile vers l’établissement d’une démocratie pérenne (Éthiopie). De précieuses statistiques abordent le rôle des acteurs dans la croissance économique. A ce titre, l’équipement en automobiles en Afrique australe (Afrique du Sud, Namibie, Botswana) est très largement supérieur à celui de l’Afrique du Nord-Est (Tchad, Ethiopie).
L’Afrique et le monde
Vu comme un espace d’opportunités par de nombreux acteurs (étatiques, privés), l’Afrique est marquée par de nombreuses influences. A la page 81, une carte représente l’influence turque à travers les représentations diplomatiques et le montant des aides au développement. L’influence chinoise est rapidement présentée à travers le poids des infrastructures et des travailleurs. Le rôle de plaque tournante dans la géographie mondiale des narcotrafics crée une position de véritable hub (p. 86). Au cours actuel, un kilo de cornes de rhinocéros est plus rémunérateur qu’un kilo d’or ou de caviar de Béluga.
L’ouvrage se clôt sur une sitographie synthétique présentant les principales organisations régionales et les organismes onusiens.
En conclusion, cet atlas est une excellente base de documents afin de concevoir des études de cas sur l’Afrique (énergie, agriculture, conflits) au collège et au lycée. Les professeurs de la classe de terminale y trouveront notamment des documents textuels et cartographiques à la fois didactiques et actualisés pour concevoir une séquence.
Pour aller plus loin :
Antoine BARONNET @ Clionautes 12 Fév 2017
______________________________________
Recension de la seconde édition par Christiane Peyronnard
Les auteurs s’interrogent sur les trajectoires africaines dans la mondialisation tout en cherchant à échapper aux clichés afro-pessimistes comme afro-optimistes.
En Introduction sont résumées quelques considérations sur le poids du continent (30,5 millions de Km2), le morcellement politique, le passé colonial et l’histoire récente, deux cartes du PIB et de l’IDH et un constat : des sources statistiques rares et faiblement fiables.
L’ouvrage est organisé en cinq parties : Deux milliards et demi d’Africains en 2050, L’environnement sous pression, Un tournant économique, États, sociétés, territoires : tensions et recompositions, L’Afrique et le monde. Il est complété d’une bibliographie, une sitographie, la liste des acronymes (toujours utile) et un glossaire.
Deux milliards et demi d’Africains en 2050
Cette première partie montre à la fois la croissance démographique et l’urbanisation rapide. Un continent inégalement peuplé pour des raisons complexes dont la croissance est en tache d’huile à partir des foyers historiques.
Si la transition démographique est bien entamée dans certains pays elle s’amorce à peine dans d’autres (pyramide des ages de l’Algérie, de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie). L’évolution de la fécondité est présentée en grandes aires et complétée d’une carte de l’age médian.
La démographie est un défi pour l’éducation (pages 16-17), la santé (pages18-19) entre écart d’accès aux soins, espérance de vie et grandes pandémies. Les migrations internes au continent (pages 20-21) montent les migrations de travail vers la Côte d-Ivoire ou le Nigeria et les déplacements intra et interétatiques des réfugiés. Une interrogation porte sur la place des villes et le devenir des mégalopoles : Le Caire, Lagos, Kinshasa et leur corollaire : les bidonvilles et l’économie informelle (page 23). Une double page propose en étude de cas la ville de Kinshasa.
L’environnement sous pression
Cette seconde partie s’ouvre sur la question climatique : les prévisions en matière de précipitations avec une carte sur les effets du ruissellement des eaux de surface qui introduit une double page sur l’eau (pages 30-31) : vers une gestion régionale partagée entre ressource hydrique, eau potable et assainissement. Une présentation de la situation du lac Tchad et de celle du Nil illustre cette question.
La déforestation est abordée à partir des statistiques et doublement illustrée par la forêt congolaise et la désertification de la frange sahélienne.
Un double page est consacrée aux mesures de protection : parcs et aires marines.
Un tournant économique
Partant de l’hypothèse d’une émergence au début des années 2000 les doubles pages mettent en lumière la permanence d’économies primaires d’exportation notamment liées au pétrole et au gaz (carte p. 44). Ce qui ressort c’est la grande diversité de structures des PIB de l’Afrique du Sud (70 % = services) à la Sierra Leone (55 % = secteur primaire). En matière d’agriculture la situation alimentaire demeure précaire, la carte montre à la fois les aires culturales vivrière et de rente, deux formes d’agriculture déclinées à propos du Kenya.
Si l’Afrique est toujours convoitée pour ces ressources minières des extractions nouvelles apparaissent : gaz off-shore, coltan. Les auteurs rappellent les mines artisanales (or par exemple), les conflits locaux (RDC) et le fait que les activités extractives ont peu d’effet d’entraînement sur les économies locales.
Un des freins au développement de l’Afrique réside dans le faible accès à l’électricité avec une production annuelle en 2012 de 165 gigawatts soit la production de l’Allemagne.
Les infrastructures de transport sont elles aussi peu développées (carte page 55). Le bilan du développement industriel montre que quatre pays assurent 68 % de la production même si de nouveaux opérateurs s’installent : Chine, Inde, Turquie. Les auteurs s’interrogent sur le rapide développement des TIC comme moteur d’une nouvelle économie (exemple du réseau Orange au Sénégal). Si le nombre d’utilisateurs d’internet augmente (carte page 59), deux obstacles demeurent : l’accès à l’électricité et l’analphabétisme. L’analyse des fragilités de l’Afrique su Sud clôt cette partie.
États, sociétés, territoires : tensions et recompositions
Si les frontières héritées de la colonisation demeurent stables des zones comme la corne de l’Afrique sont instables, une carte montre les conflits post-indépendance (page 67). L’étude de cas est récente : la République centrafricaine. Malgré les divisions des tentatives d’intégrations régionales existent, quelques exemples sont proposés. L’analyse politique porte sur les difficiles progrès de la démocratie .
Malgré la croissance urbaine, traitée en début d’ouvrage, les auteurs rappellent que la population rurale continue à augmenter en valeur, ils montrent que l’imbrication des économies urbaine et rurale débouche sur de nouvelles formes de territorialité : multi-résidence, hybridation des modes de vie.
L’Afrique connaît une croissance économique mais à qui profite-t-elle. Si l’extrême pauvreté recule les inégalités demeurent, le nombre des très riches progresse : intéressante carte de l’indice de Gini (égalités/inégalités, page 77). La classe moyenne difficile à définir contribue néanmoins à la croissance par la consommation et l’épargne.
L’Afrique et le monde
Le continent apparaît comme un « espace d’opportunités » pour de nouveaux partenariats Sud-Sud mais aussi comme terrain pour le crime organisé.
Si on pense d’abord à la Chine dont la présence est qualifiée d’ambivalente, il ne faut pas oublier d’autres acteurs comme la Turquie (carte de son influence page 81). Une double page est consacrée à l’accaparement des terres avec trois exemples : Éthiopie, Soudan, Madagascar.
Les marchés mafieux sont abordés : trafic de drogue, cybercriminalité et corne de rhinocéros. La double page sur le Sahara, espace convoité, illustre un programme caduque à la rentrée. L’atlas se termine sur le poids des diasporas. Si on pense souvent aux transferts d’argent de la communauté malienne ce sont le Nigeria et l’Égypte qui reçoivent l’essentielle de cette manne.
Un petit atlas qui résume bien l’Afrique d’aujourd’hui loin des clichés, pari réussi.