« Il n’existe aucune autre manière de vivre pieusement et en juste qu’en s’en remettant à Dieu. » Jean Calvin

Paru en 2021 aux éditions Alcide Jeunesse, le dernier ouvrage de Jean-Paul Chabrol et Frédéric Cartier-Lange présente le parcours de la protestante Marie Durand, et à travers elle la vie et le quotidien de ces femmes déportées et enfermées durant de longues décennies, pour le seul crime de croire autrement.

La figure de Marie Durand est, Jean-Paul Chabrol le souligne très bien en fin d’ouvrage, devenue au cours du XIXème siècle le symbole du martyr et des souffrances des huguenots durant plus de deux siècles. La construction de l’identité huguenote passe avant tout par l’histoire, ou plutôt la mémoire Patrick Cabanel consacre son dernier ouvrage aux éditions Labor et Fides à cette dimension justement et à ce titre le présent ouvrage entend plonger le jeune lecteur dans l’histoire personnelle de la famille Durand et à la découverte du quotidien de la minorité protestante durant un siècle.

Une histoire de famille

Les Durand s’inscrivent dans un territoire : celui du Vivarais. Cette terre, passée très rapidement à la Réforme, offre le refuge et le retrait nécessaire aux communautés persécutées au cours des guerres de Religion. La révocation de l’Edit de Nantes relance la persécution sous Louis XIV et Louis XV. La famille sera lourdement frappée : Marie est la sœur du pasteur Pierre Durand dont la tête fut mise à prix pour 4000 livres, une véritable fortune. Celui-ci sera d’ailleurs dénoncé et pendu durant la captivité de Marie en 1732.

C’est au cours de la traque de son frère que Marie sera arrêtée. Utilisée comme moyen de chantage pour mettre la main sur le pasteur itinérant, Marie est conduite à la tour de Constance durant l’été 1730. Elle a alors 19 ans et rejoint de nombreuses femmes ayant déjà fait l’objet des persécutions et des arrestations royales lors des dragonnades ou des dénonciations des cultes au Désert. Les femmes constituent une pierre angulaire de la transmission et l’éducation huguenote. Traquer les plus pieuses et déterminées à pratiquer en secret la RPR (Religion Prétendument Réformée), c’est mettre à bas les fondements des communautés basées sur l’entraide, la solidarité et l’aide apportée aux plus faibles, et aussi aux pasteurs en constante cavale.

Les recluses

Les peines encourues par les huguenots varient : les hommes partent aux galères, les prophétesses et prédicantes Noms données aux huguenotes ayant des visions, ce qui était mal accepté au sein même des réformés, et aux assistantes laïques permettant aux cultes dans le Désert de se tenir étaient rasées puis, de manières diverses, pendues, brûlées, envoyées au couvent ou condamnées à la réclusion. C’est précisément ce qui attendait Marie.

Enfermée dans la tour de Constance, dans l’enceinte de la ville d’Aigues-Mortes, Marie va tenir fermement durant de longues décennies, décidée à ne point abjurer ni même émettre la moindre rétractation. Les deux auteurs font découvrir au cours des chapitres le quotidien de ces femmes, originaires de diverses provinces du royaume, et réunies dans leur refus d’abjurer le protestantisme. Retenues prisonnières dans la tour et ses environs (certaines pouvant gagner, sous la protection de gardes, la ville et y commercer), Marie et ses camarades d’infortune devaient subvenir à l’essentiel de leurs besoins en travaillant, demandant de l’aide par de nombreuses missives et en recevant des visiteurs leurs portant des vivres ou de l’argent.

En dehors des temps de labeur et de sorties dans les douves asséchées de la tour et ses environs, les prisonnières rient et pleurent, lisent et prient, chantent des cantiques et des psaumes. Elles agrémentent, pour les plus fortunées ou soutenues, leurs couches de rideaux pour gagner en intimité, disposent de coffres pour y conserver leurs biens et les lettres reçues, et entendent continuellement refuser les demandes des prêtres envoyés pour obtenir leurs confessions et leurs rétractations. Malgré les années Marie refusera toujours de se rétracter.

Marie, du moins les historiens le devinent, a entretenu une très large correspondance au cours de ses années. Témoignant, par ses écrits, du très bon niveau éducatif qu’elle avait reçu de ses parents, Marie met un point d’honneur à venir en aide à Anne, la fille de son grand-frère martyr, et orpheline depuis. Cette dernière loge et entretient la demeure familiale, parvient à survivre sur les revenus des placements conseillés par sa tante et les revenus des propriétés, et vient même visiter Marie durant l’été 1759 (les visiteurs ayant la possibilité alors de dormir avec les prisonnières !).

La libération et l’oubli de Marie Durand

Les années et décennies passent, Marie continue de demander la libération de ses soeurs huguenotes. Malgré de multiples tentatives, les espoirs sont restés vains. Après 38 années de captivité, Marie est libérée avec de nombreuses captives. Elle a alors 57 ans.

Elle regagne, accompagnée d’une amie de détention, son village de Pranles et retrouve sa maison, ses terres et sa seule famille encore en vie : Anne. Les relations vont néanmoins se tendre lourdement avec sa nièce qui se reconvertit au catholicisme. Marie la déshérite et la rejette. Elle meurt dans la pauvreté et l’oubli en 1776.

C’est à la faveur de la redécouverte et des travaux historiques menés à la fin du XIXe et du début du XXe siècle que l’histoire et le parcours de Marie Durand refont surface. Si personne n’a gardé le souvenir de sa vie, ni celle de son frère, ils deviennent les symboles de la souffrance de toute une minorité. Au point même d’éclipser des figures autres qui ont également payé très cher leur foi et leur abnégation Les auteurs citent ainsi, à raison, le cas de Marie Robert détenue pendant 40 ans à Aigues-Mortes

Un petit ouvrage adapté aux plus jeunes et très utile pour découvrir le parcours de Marie Durand, dans une perspective historique, éducative ou mémorielle.