En ouverture de ce numéro de l’été de la revue Sécurité globale l’ambassadeur Bernard Bajolet, coordinateur du renseignement, présente les menaces susceptibles de peser sur la France et ses intérêts stratégiques et industriels, et porte un regard sur les réformes de ces trois dernières années qui ont considérablement bouleversé le panorama français des services de renseignement et leur action. Parmi les changements qui sont intervenus en 2007, l’actuel locataire de l’Élysée a voulu rapprocher, au moins au niveau de l’organisation, le renseignement en France du modèle étasunien. Au niveau des opérations spéciales, la même démarche a lieu. Cette rationalisation était sans doute compréhensible, même si le bilan des services français dans ce domaine était loin d’être négligeable. Notons que c’est d’ailleurs la gauche au pouvoir, avec l’affaire Farewell qui mis à jour l’importance des réseaux d’espionnage industriel soviétique en France. Cela s’est d’ailleurs traduit par l’expulsion de 47 « diplomates » en 1983.
Dans cet entretien, on ne trouvera pas de révélation vraiment majeure, si ce n’est un rappel de l’organisation du renseignement en France dont la coordination est assurée par Bernard Barjolet avec une justification, qui n’est pas étonnante d’un « profilage des effectifs au plus juste… », formule élégante pour dire limitation des moyens.
On apprend aussi la création d’une académie du renseignement, chargée d’une formation de tous les différents services et qui commence son année en septembre 2010.

Parmi les menaces dont la France est éventuellement l’objet, Bernard Bajolet cite implicitement nos anciens ennemis, aussi actifs qu’avant, comprendre la Russie, héritière de l’URSS, mais aussi d’autre puissances « émergentes », et ici aussi, si la Chine n’est pas citée, c’est vraiment par précaution diplomatique.

Mais le numéro 12 de la revue est d’abord et avant tout consacré à l’ultragauche dont la renaissance a été observée, en France comme ailleurs, en marge de l’altermondialisme.

L’affaire dite « de Tarnac » a mis sur le devant de la scène la notion d’ultragauche. Ce terme, repris par les médias et les autorités du ministère de l’Intérieur, se voulait l’expression d’un mouvement plus à gauche que l’extrême gauche et potentiellement porteur d’une violence supérieure. Les violences des Black Blocs à l’occasion de sommets ou de conférences internationales (ou même d’événements locaux : Poitiers 2009) sont désormais une réalité impliquant, d’après les services, la mise en oeuvre de moyens humains et techniques. Ces moyens sont quand mêmes classiques et reposent sur la surveillance des échanges, des communications, et notamment électroniques, et sur la bonne vieille filature. Toutefois, certaines révélations de ce mois d’août 2010, publiées dans l’Express amènent à faire preuve d’une grande prudence.

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/qu-a-fait-la-police-a-tarnac_841684.html

Il est clair que ces mouvements qui émergent désormais après avoir beaucoup fait parler d’eux à la fin des années 70 s’inscrivent toujours dans une démarche de contestation radicale de l’ordre établi, d’autant plus évidente que l’extrême gauche classique, essentiellement trotskiste en France, semble clairement engagée dans le jeu électoral et même parlementaire au niveau européen.

Jean-François Daguzan étudie la notion d’ultra-gauche par rapport aux mouvements du passé. Il est évident que l’Internet a ouvert un espace considérable à l’Autonomie. La remise en cause de la pensée unique – considérée comme contrôlant l’espace médiatique traditionnel – a conduit à l’émergence de « cent fleurs » électroniques (pour reprendre la phraséologie maoïste).

La crise économique, la désespérance de certaines catégories de jeunes diplômés notamment dans les filières littéraires pourrait réactiver la tentation d’un recours à la violence visant indistinctement les moyens de production, les symboles de l’État et leurs représentants. Reste à savoir si cette violence est organisée ou organisable. Elle ne l’était pas vraiment dans les années 80 et reposait à l’époque sur des petits groupes vivant en communauté, organisés autour d’un leader charismatique, disposant d’un certain savoir-faire appris notamment à l’époque du service militaire. Les recettes Internet semblent pouvoir remplacer les techniques que l’on apprenait à l’époque dans certains régiments.

Xavier Raufer s’attache, à revisiter la situation tangible et conceptuelle de l’Autonomie et de son idéologie aujourd’hui. Il étudie « l’affaire » elle-même où il semblerait que la culpabilité des personnes incriminées soit loin d’être assurée. L’appareil idéologique, que l’on a voulu lui attribuer, est une espèce de conglomérat assez mal assimilé d’ailleurs de ses vieux textes, et notamment celui de Ratgeb, publié en 10 18, « de la grève sauvage à l’autogestion généralisée », que quelques vieux être gauchistes aujourd’hui quinquagénaires doivent encore posséder dans les rayons poussiéreux de leurs bibliothèque de jeunesse .

Alain Bauer et François-Bernard Huyghe s’intéressent aux origines de cet ultra-gauchisme. Il date des années 1920, quand des groupes marxistes non-léninistes dont le « communisme des conseils », celui des premiers spartakistes, tentaient d’établir le socialisme réel sans le parti ou de représentants supposés du prolétariat.
Des mouvements plus récents (situationnisme des années 1950-1960, autonomistes italiens et français des années 1970) héritent de cette approche commune, souvent post-marxiste et anarchisante, des luttes anticapitalistes. De même, aujourd’hui, les Black Blocs et différents courants s’efforcent d’atteindre leurs buts révolutionnaires par l’action directe opposée à la conquête du pouvoir d’État.

En réalité, ces mouvements s’inscrivent dans une démarche de «règlement de comptes », à l’encontre d’une société que l’on rejette en même temps que l’on bénéficie des prestations qu’elle peut offrir. On peut d’ailleurs trouver une sorte de justification à cette contradiction qui vise à bénéficier des allocations d’une société que rejette, dans l’idéologie du « détournement ». Celle-ci consiste tout simplement à théoriser la captation d’avantages en présentant une forme de fraude comme une « appropriation révolutionnaire ».

La France n’est pas le seul pays à connaître le développement de mouvements politiques extrémistes. En Espagne Lorenzo Castro Moral décrit une extrême gauche dominée par l’ombre toujours redoutable de l’ETA et la menace islamiste radicale qui a du mal à trouver des espaces d’expression. La violence des GRAPO des années 1970-1980, des groupes anarchistes catalans, a cédé la place à des mouvements alternatifs plus pacifiques et pacifistes. Elle n’est plus capable pour l’heure d’articuler un discours cohérent ni même une action significative.

L’article de Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, ancien ministre des
Affaires étrangères de Mauritanie, sur la situation d’Al-Qaida donne un éclairage de première main sur l’évolution de ce mouvement. Le théoricien et praticien qu’est M. Ould Mohamedou essaye de cerner la nature actuelle d’Al-Qaida, en déclin au niveau central mais actif dans ses surgeons régionaux : Somalie, Maghreb/Sahel, Golfe, etc. L’auteur montre que l’organisation, dans ses formes multiples, évolue « vers une radicalisation toujours plus violente et toujours moins « politique » », Al-Qaida, selon lui, n’existant que par la guerre et étant donc dans la nécessité de l’entretenir. L’assassinat de l’otage français Michel Germaneau, Libération des otages espagnols : « leçon » d’Al Qaeda à la France, libération tout récemment par Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), de deux otages espagnols a été présentée comme une « leçon pour les services secrets français », après l’échec d’un raid franco-mauritanien.

Ce numéro 12 de la revue sécurité globale présente également une réponse à un article paru dans le numéro 10 de Sécurité globale (hiver 2009-2010) : le colonel de l’US Army Gian P. Gentile, dénonçait les « mythes de la contre-insurrection » et soulignait les dangers qu’ils font peser sur les aptitudes au combat interarmes de l’armée de terre américaine.
Les colonels Hervé de Courrèges, Emmanuel Germain et Nicolas Le Nen proposent une réponse à cette thèse particulièrement polémique. Ses auteurs montrent que le débat sur la stratégie de contre-insurrection ne se résume pas à une simple opposition entre emploi et non-emploi de la force armée. Il doit plutôt être centré sur la façon dont la force armée est employée dans ce type de conflit éminemment politique.

Enfin, et pour conclure, avec le nucléaire iranien qui est devenu le dossier principal des relations internationales et stratégiques de ces dernières années. Bruno Muxagato analyse les relations particulières entre l’Iran et le Brésil. Derrière la question même de la prolifération, se dessinent aussi une redistribution du jeu des puissances et notamment la montée des puissances émergentes. Les Iraniens trouvent un soutien politique fort auprès de pays émergents comme le Venezuela, le Sénégal, etc. Certains d’entre eux, sont, comme le Brésil, d’ores et déjà de grandes puissances. Le Brésil s’est fortement engagé à trouver une solution politique à la question du traitement du combustible nucléaire civil iranien. Un accord a été trouvé. Il montre l’engagement du président Lula à mettre son pays au centre de l’action internationale tant dans le domaine stratégique qu’économique ou environnemental. L’Iran s’appuie sur ce mouvement pour appeler à une prise en main de leur propre destin par les nouvelles puissances émergentes dont elle se fait le héraut.
On peut toutefois supposer que le président iranien cherche également brouiller les pistes et à poursuivre son effort en vue de donner à son pays un véritable statut de puissance régionale sanctuarisée, ce qui explique à la fois la gesticulation militaire avec le lancement d’un programme militaire de haute technologie. En effet, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a dévoilé le premier drone bombardier du pays, au lendemain de l’inauguration de la première centrale nucléaire du pays. Ce drone à réaction de quatre mètres de long à long rayon d’action est conçu à des fins de dissuasion et défensives. Cet appareil appelé Karrar (« attaquant ») est « aussi bien un ambassadeur de la mort pour les ennemis de l’humanité » qu’un messager « de paix et d’amitié », a affirmé Mahmoud Ahmadinejad. L’Iran produit depuis la fin des années 80 des drones légers, utilisés pour des missions de surveillance.

Encore une fois cette publication de l’institut Choiseul pour la politique internationale et la géoéconomie, se révèle particulièrement stimulante. On n’adhère pas forcément à toutes les conclusions des différentes signatures présentes dans ce numéro, mais la précision des informations données, les très nombreuses références font de cette revue Sécurité globale une lecture indispensable pour tous ceux qui sont intéressés aux questions de défense et de géopolitique.

Bruno Modica