Stéphane Minvielle est maître de conférences à l’université de Bordeaux. Il a déjà publié l’an dernier « dans l’intimité des familles bordelaises du XVIIIe ». L’ouvrage présenté ici est structuré en cinq parties. Chacune bénéficie d’une courte introduction, très pratique, ainsi que d’une conclusion intermédiaire qui l’est tout autant. Le livre fourmille d’exemples ce qui en facilite la lecture et l’intérêt. De nombreux tableaux et graphiques agrémentent aussi l’ensemble et sont à l’appui des idées avancées.

La famille : de quoi parle-t-on ?

En bon universitaire, l’auteur définit et borne tout d’abord son sujet. Cela se justifie d’autant plus que l’on se trouve là face à un objet historique difficile à cerner. Il l’est en terme de vocabulaire ou de réalité de l’époque moderne. Un des intérêts de l’ouvrage donc, c’est que depuis une vingtaine d’années, les historiens se sont de nouveau emparés de cette question de la famille pour aller vers d’autres interrogations. En effet auparavant, la question de la famille était souvent traitée sous un angle uniquement démographique et quantitatif. Ce livre se veut ainsi un état des lieux de ces nouvelles questions et, si possible, nouvelles données. Il faut par exemple envisager les alliances entre familles et comment chaque membre se positionne au sein du groupe. L’époque moderne s’avère en tout cas fondamentale puisque c’est le moment où la famille connaît « une amorce de sécularisation ».

Qui épouse qui ?

On a affaire là à un thème que l’on peut qualifier de classique avec notamment la question du conjoint et de son choix. Dans une enquête centrée sur le bassin parisien, on aboutit ainsi au fait que moins de 10 % des habitants se sont rendus à plus de 10 kilomètres pour y trouver l’âme-sœur. Cet exemple est largement reproductible à l’échelle de la France. On assiste aussi à des phénomènes de reproduction sociale, mais, en examinant en détails les documents proposées, on s’aperçoit qu’il existe des marges de manœuvre pour choisir son conjoint. Ici, il faut donc retenir la grande diversité des situations de couples et ne pas se contenter de dire que le mariage était alors uniquement le choix des parents. L’auteur insiste ensuite justement sur la banalité que représentaient à l’époque le veuvage et le remariage. Cela permet de comprendre combien le mariage était central, car c’est une manière d’être inclus dans le groupe.


Fécondité et place de l’enfant à l époque moderne

Toujours parmi les chapitres attendus, citons celui consacré à la fécondité. L’auteur revient sur les freins qui existent à l’époque : l’âge tardif au mariage, les mode et durée d’allaitement, et la mortalité générale. Il s’agit là de faits depuis longtemps démontrés, mais le tout est appuyé d’exemples chiffrés particulièrement intéressants comme l’âge à la dernière maternité. Peu à peu, on glisse vers des approches plus neuves comme avec le chapitre qui traite de la place de l’enfant dans la famille ou celui qui s’intéresse aux enfants abandonnés. L’auteur livre, entre autres, un tableau des prénoms les plus souvent utilisés. On constate que les Jean, Jeanne et Marie pullulaient alors. On voit aussi apparaître les noms composés. En tout cas, «dans le couple, l’enfant est un joyau », ce qui remet en cause certaines affirmations longtemps répétées sur l’indifférence des populations vis-à-vis de leur progéniture.

La famille : un espace de liens et de travail

Ici, on sent bien les nouvelles orientations des travaux des historiens. On élargit encore le cercle en reliant la famille face au reste de la société. L’auteur souligne la force des solidarités familiales, mais où s’arrêter en terme de limite ? On touche là des aspects liés à la perception que les populations pouvaient avoir de leur place dans le groupe. Question épineuse et qui pose la question des sources. C’est peut-être au détour d’une donation dans un contrat de mariage que l’on peut repérer des liens affectifs. L’auteur aborde brièvement la situation du logement et les conditions matérielles en mettant en évidence particulièrement l’exiguité des logis. Bien des maisons des paysans ressemblent davantage à des « cabanes misérables ». La famille est vraiment fondamentale car il ne faut pas oublier que c’est également le lieu dans lequel se « déroule la vie professionnelle ».


La sédentarité : mythe ou réalité ?

Avec la question de la sédentarité, voici l’exemple typique d’une question qui ne s’est pas posée pendant longtemps. En effet, on la posait comme acquise. A cela, trois raisons essentielles étaient avancées : la peur d’être isolé en quittant le village, la volonté de préserver le lien à la terre, mais aussi la faible pouvoir d’attraction de l’extérieur. Il ne faut pas confondre la micro mobilité, qui a lieu sur une courte distance, et la migration qui implique, elle un déracinement. En tout cas, il n’est pas rare que les populations bougent mais sur de courtes distances. Le débat n’est cependant pas clos. Reste enfin la question des autres migrations temporaires ou saisonnières. Trois types de professions sont plus spécialement représentées : les métiers de force, ceux de l’artisanat et enfin tous ceux qui pratiquent le commerce de détail.

Sur la démographie à l’époque moderne, d’autres livres ou manuels existent : on pourra signaler le livre de Scarlett Beauvallet qui est plus large. Mais l’ouvrage de Stéphane Minvielle, en choisissant de se concentrer sur la famille, offre une approche ciblée. L’ensemble se lit bien et est très clairement chapitré. On aborde le sujet en partant d’éléments connus et ensuite on change d’échelle. Peu à peu, on complète sa vision de la famille à l’époque moderne et c’est vers la nuance et la diversité que l’auteur nous conduit.

© Jean-Pierre Costille