Les éditions L’Harmattan publient dans la collection Esthétiques ars un volume qui intéressera les historiens férus de cinéma et de l’histoire de l’entre deux guerres en général. L’auteur de ce nouvel opus est un jeune maître de conférence en sciences de l’information et de la communication, auteur de documentaires. Il s’interroge sur l’impact des évènements internationaux de cette période sur la production cinématographique. Il pose plus particulièrement la question de la place du pacifisme dans le cinéma français.
Vincent LOWY est docteur en Sciences de l’information et de la communication. Il est également chercheur au Centre d’études et de recherche interdisciplinaire sur les médias en Europe de l’Université Robert Schuman (Strasbourg, France). Il enseigne à l’Université Paul Verlaine-Metz. Il a publié en 2001 L’histoire infilmable : les camps d’extermination nazis à l’écran chez L’Harmattan.
Madeleine REBERIOUX, qui signe la préface de l’ouvrage, insiste sur les différences qui séparent Vincent LOWY et Pascal ORY dans leur manière de voir la période. Pascal ORY (La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935-1938. 1994) met en avant cette période où « la nation réconciliée » vécut « l’illusion lyrique ». Vincent LOWY propose une autre manière de voir ces années. Il refuse de concentrer son regard sur la Belle illusion pour s’attacher à montrer comment s’est fabriqué l’esprit de Munich. Le cinéma français, y compris de fiction, représente l’actualité européenne. A l’analyse des supports filmiques, l’auteur constate que trois idées récurrentes apparaissent : la peur de la guerre, le pressentiment de l’invasion ainsi que des signes avant-coureurs de la défaite de 1940 et de l’Occupation.
Vincent LOWY considère que les films produits entre 1936 et 1939 sont de véritables documents historiques, même si comme l’a souligné Marc FERRO. Histoire et cinéma. 1977, on dispose de peu de méthodes fiables quant à leur analyse. « Il faut parvenir à relier les productions filmiques à l’époque de leur réalisation, tout en se méfiant des raccourcis interprétatifs et des égarements analytiques ». L’historien est sur un terrain d’autant plus dangereux que la sensibilité de l’historien est en jeu et que l’époque dans laquelle il vit l’influence.
Ainsi se dégagent deux périodes.
– 1936 à 1938 : le cinéma exalte le pacifisme internationaliste.
– 1938 à 1940 : le cinéma belliciste met en avant la Nation.
Vincent LOWY appuie son propos sur l’analyse de 15 films.
Le chapitre « Debout les morts ! », au titre inspiré par l’oeuvre d’Abel GANCE (J’accuse), rassemble les analyses lumineuses de quelques films qui prônent clairement le pacifisme. La vie est à nous de Jean RENOIR, 1936 développe, par l’intercalation de plans de cadavres, d’explosions de bombes, la thèse que le fascisme conduit à la guerre. Ce film de commande du PCF montre toutefois les fascistes plus comme des pantins que comme des personnages dangereux pour l’avenir du monde. Dans La grande illusion, 1937, Jean RENOIR insiste sur la lutte des classes au sein du camp plutôt que sur celle des nations. Le film d’Abel GANCE s’achève sur la fameuse scène de l’armée des morts vivants qui se lève pour répandre la terreur et obtenir la fin de toutes guerres et le désarmement des nations. La référence à la première guerre mondiale est récurrente dans les films de cette période.
La signature des accords de Munich marque profondément la production cinématographique française. Alerte en Méditerranée, 1938, met l’accent sur l’amitié franco-allemande, sans faire référence au national-socialisme virulent. Les actualités Pathé : Le triomphe de la paix allient à la fois images d’actualité et images de fiction pour présenter un compte-rendu ouvertement pacifiste des accords signés à Munich. De même, des mélodrames produits entre septembre 1938 et juin 1939 mettent en scène des héros déchirés à l’idée du départ pour la guerre.
Toutefois, la production cinématographique prend aussi position contre les accords de Munich. Menaces, 1939, développe l’idée que la paix de Munich n’est qu’une illusion et que la guerre n’est pas loin.
Si l’analyse des 9 premiers films du livre est particulièrement convaincante, on ne peut que regretter que, dans le dernier tiers de son ouvrage, Vincent LOWY se disperse et s’éloigne de son sujet. A l’encontre du titre du livre, l’auteur accorde une place dans son livre à des films étrangers (américains, anglais et russes), qui plus est hors période. De même, le chapitre Le film capital La règle du jeu, 1939 laisse sur sa faim le lecteur. L’analyse est, à mon sens, trop rapidement menée pour être convaincante. L’auteur ne se prend pas la peine, contrairement à ce qu’il a fait avec talent dans le reste de l’ouvrage, de décrire de manière suffisamment concrète la trame narrative du film. Cela nuit considérablement à la compréhension de son analyse. Si La règle du jeu fait partie du patrimoine cinématographique français, sa rare diffusion à la télévision fait que la lectrice, que je suis, n’a plus qu’un souvenir très vague de cette oeuvre.
Au delà de ces critiques formulées, je dois reconnaître que j’ai passé un très bon moment à la lecture de cet ouvrage et que je le conseille, plus particulièrement, aux candidats à l’agrégation interne 2006, qui, comme moi, ont longuement réfléchi sur le thème du pacifisme à l’occasion de la dissertation d’histoire : Souvenirs et mémoire de la Grande Guerre (1919 à 1940). Les professeurs qui enseignent à des élèves de première, suivant l’option cinéma et audiovisuel, trouveront dans ce livre de quoi alimenter leur cours.