Lux Éditeur http://www.luxediteur.com est une maison d’édition indépendante de Montréal, qui propose aujourd’hui un catalogue de plus de 100 titres, spécialisé dans l’histoire des Amériques et la réflexion politique d’inspiration libertaire, mais avec aussi des ouvrages de littérature, théâtre et poésie. Lux Éditeur s’appelait jusqu’en 2002 la maison d’édition Comeau & Nadeau, du nom des deux historiens qui l’avaient fondée en 1995. Jean-François Nadeau, qui la quitta pour devenir le directeur des pages littéraires du Devoir, est un spécialiste du nationalisme et de l’extrême droite québécois, auteur d’ouvrages, publiés chez Lux, sur Pierre Bourgault (un des pionniers du mouvement indépendantiste québécois) et sur Robert Rumilly (le sujet de sa thèse, un historien et homme politique ultra-nationaliste disciple de Maurras).
Sa biographie d’Adrien Arcand (1899 – 1967) nous fait découvrir le parcours étonnant d’une figure de l’extrême droite canadienne, journaliste et politicien antisémite, anglophile et nazi…
Fils d’une directrice d’école et d’un charpentier militant syndicaliste membre du Parti ouvrier (parti de gauche réformiste), Adrien Arcand est élevé dans la foi catholique et fréquente des collèges sulpiciens et jésuites. La grippe espagnole l’empêchant de poursuivre des études d’ingénieur chimiste, il se dirige vers le journalisme à partir de 1918, particulièrement dans le journal La Presse, où il fonde à la fin des années 1920 un syndicat catholique, ce qui lui vaut d’être congédié en 1929. Il lance alors, avec l’imprimeur Joseph Ménard, un journal satirique, Le Goglu (au sens propre un petit passereau chanteur, au sens figuré un railleur), puis deux autres dans la foulée (Le Miroir et Le Chameau), qui portèrent par la suite ses idées. Dans un premier temps, il s’attaque à d’autres journaux comme La Presse, à des figures politiques, au gouvernement, et défend des positions nationalistes, espérant l’arrivée d’un chef providentiel qui pourrait lutter contre la crise économique et la misère populaire canadienne-française. Fin novembre 1929, il fonde l’Ordre patriotique des Goglus, mouvement conservateur organisé en cohortes et légions, orienté vers l’action, inspiré du patriotisme et du catholicisme, dénonçant le capitalisme et la corruption morale des villes et faisant l’éloge du retour à la terre.
En mai 1930, Arcand publie dans Le Goglu son premier texte antisémite, dans le contexte de la crise des écoles juives (le gouvernement souhaite autoriser la création d’écoles confessionnelles juives, dans un système scolaire partagé entre catholiques et protestants, ce qui suppose la création d’une taxe non confessionnelle). D’un antisémitisme jusqu’alors diffus, il va passer à la haine antisémite comme seul système d’explication du monde, sans doute influencé par un militant antisémite anglais, Lord Sydenham of Combe. De même se multiplient les références au fascisme italien, puis à la figure de Hitler (à partir de 1932-33). Dans un contexte d’émergence de mouvements comme le mouvement fasciste de Chalifoux (Fédération des clubs ouvriers et « Casques d’acier ») et le mouvement de jeunesse nationaliste, xénophobe et antisémite Jeune-Canada, qui profite d’une grande vague d’antisémitisme au Canada, Arcand lance, après la mort de ses journaux en 1933, un nouveau titre fasciste. Le Patriote, journal chrétien, pronazi, violemment antisémite et anticommuniste, devient l’organe du parti qu’il fonde la même année, le Parti national social chrétien (avec un uniforme, la chemise bleue, avec brassard à croix gammée ; un mouvement paramilitaire, la Légion ; une Garde de fer autour d’Arcand; un bulletin officiel, Le Fasciste canadien), inspiré surtout du nazisme mais aussi des mouvements fascistes du monde entier, avec lesquels Arcand est en liaison et dont il fait la promotion. À la différence d’autres mouvements nationalistes inspirés par le fascisme et indépendantistes (le groupe de La Nation, les Faisceaux, les Jeunesses patriotes), le PNSC appuie fondamentalement sa doctrine sur le racisme (un Canada de Blancs pour Blancs), l’antisémitisme et est antiséparatiste, parce que partisan du régime impérial anglais. En juillet1938 le PNSC fusionne avec les fascistes anglophones au sein du Parti de l’unité nationale du Canada (PUNC) monarchiste (par allégeance à la couronne d’Angleterre), dont Arcand devient le chef. Chef assez célèbre pour que Céline passe en mai 1938 deux jours pour rencontrer « les chefs d’un parti fasciste à l’avenir duquel je m’intéresse » (p. 207), peut-être parce qu’il avait eu connaissance de son pamphlet antisémite La Clef du mystère (reprenant la thèse du Protocole des sages de Sion), imprimé en 1937 et diffusé dans l’ensemble du monde fasciste.
Face aux bruits de guerre et à cette montée en puissance d’Arcand, le gouvernement canadien s’inquiète et lance une enquête sur le poids du fascisme au Canada, d’autant qu’Arcand souhaite un nouveau régime politique et parle de marcher vers Ottawa. En mai 1940, des opérations de police (saisies de matériels, arrestations) sont lancées contre le PUNC, et Arcand est arrêté. Accusé de nuire à l’armée canadienne et de comploter contre l’État, il est interné pendant toute la durée de la guerre dans le camp de Petawawa. Il est libéré en juillet 1945. Toujours à la tête du PUNC, il ne renonce à aucune de ses idées, particulièrement son antisémitisme, proposant ainsi toujours de déporter les Juifs à Madagascar, reconstitue un vaste réseau avec des chefs d’extrême droite du monde entier, et envisage même, avec le militant antisémite britannique Henry Hamilton Beamish, la création d’une coordination internationale de l’extrême droite. Il se présente aux élections fédérales en 1949 et 1953, arrive à chaque fois deuxième, avec un nombre important de suffrages, pour que l’Union nationale de Duplessis et les conservateurs fédéraux le considèrent avec respect et l’aident financièrement. En 1953 il relance un journal antisémite et anticommuniste, L’Unité nationale, dont la une arbore la devise « Travail, Famille, Patrie, Dieu ». Il s’affirme admirateur de Hitler et, dès 1946, farouchement négationniste, un des inspirateurs des négationnistes de l’après-guerre.
Mais cette figure importante de l’extrême droite mondiale (Hitler envoya à Montréal un émissaire pour le rencontrer) ne réussit jamais à susciter l’adhésion de la société canadienne tout entière, où pourtant le sentiment antisémite était répandu, ni à attirer la bourgeoisie ou des grands intellectuels, ni à se concilier la puissante Église catholique. Constamment instrumentalisé par le milieu politique conservateur, il ne trouva jamais définitivement les moyens financiers de ses ambitions, ne s’imposa jamais comme seul chef possible de l’extrême droite canadienne, ne trouva jamais les forces pour tenter un coup d’État. Tant mieux, ne manque-t-on pas de penser en refermant cette passionnante biographie de l’homme qui s’était autoproclamé « Führer canadien », qui nous apprend beaucoup sur l’influence des modèles fascistes dans l’entre-deux guerres (une petite partie du nouveau programme de Première) et sur les milieux d’extrême droite canadiens.
Laurent Gayme