Philippe Richelle, le scénariste de cette récente série de BD est belge et diplômé en Science politique. Il s’est spécialisé dans les bande-dessinées mêlant histoire, politique et polar comme Les coulisses du pouvoir, Secrets bancaires, Amours fragiles sur l’histoire du nazisme. Il a aussi consacré deux biographies à François Mitterrand et Voltaire. Il poursuit cette réflexion autour du pouvoir et des affaires d’état dans une nouvelle série publiée chez Glénat. Celle-ci, intitulée Affaires d’Etat explore trois évènements ayant eu lieu dans les années 60 (Guerre froide), 70 (Extrême droite) et 80 (Jihad). Chaque décennie fait ainsi l’objet de quatre tomes. Il y démontre sa  parfaite connaissance des arcanes et des secrets de la vie politique française.

Le premier tome consacré à la décennie des années 70 a été illustré par Pierre Wachs. Il évoque un scandale lié à l’extrême droite et s’intitule « un homme encombrant ». L’enquête se polarise sur l’assassinat d’un personnage appelé ici Dupré chargé du financement d’un petit parti d’extrême droite. Ici, il est clairement fait allusion à l’assassinat de François Duprat, ce scandale d’état qui a également fait l’objet d’une enquête journalistique dans la BD « Cher pays de notre enfance ». Ici, il n’est pas question d’une enquête journalistique évoquant les rencontres faites vingt ans après par les journalistes avec les différents acteurs de cette affaire mais d’une reconstitution fictive. Des éléments ont été changés, les noms transformés même s’ils sont reconnaissables (Le Pen devient ainsi Le Guen, Lambert est Jacques Lambin etc….), les dessins et les décors sont très soignés et rappellent avec beaucoup de détails l’ambiance des années 70 (costumes, meubles, couleurs, voitures, décors des restaurants)

Les premières pages mêlent plusieurs époques. La première page évoque l’arrestation par la milice française et la spoliation d’un Juif pendant la seconde guerre mondiale, la seconde double page fait opérer un saut temporel de trente ans et se situe en 1973 en Espagne alors que Franco est mourant et qu’un attentat a lieu contre Carrero Blanco. Enfin, la troisième page nous emmène en France puis au Chili, à Santiago où Dupré obtient des financements par Pinochet. Ensuite on voit s’entremêler l’histoire d’un policier rouennais qui s’occupe de sa fille obèse et des manœuvres au sein du parti d’extrême droite pour obtenir l’important héritage de Jacques Lambin. A la page 21, Dupré théoricien chargé du financement du parti est assassiné en Normandie et sa femme est également attaquée. A partir de ce moment, plusieurs pistes s’ouvrent aux enquêteurs : règlements de compte interne au parti ? Problème de financement ? appartenance à la DST et suspicion d’être un agent infiltré ? Dénonciation du passé trouble d’hommes influents comme Robert Hereng, un magnat des médias et de la politique (le double d’Hersant propriétaire de presse, de golf et député) et Joseph Bertini, un homme d’affaires (le double de Georges Albertini) ?  

Toutes ses pistes se mêlent et permettent d’évoquer en vrac une certaine ambiance policière, la naissance de la fortune du chef du Parti National, son passé en tant que parachutiste de la guerre d ‘Algérie, les débuts du parti d’extrême droite (ici appelé parti national) et son ancrage idéologique, les alliances électorales nouées au cours de tractations secrètes, le passé trouble de personnages influents et l’aura de secret qui les entoure, le rôle de la DST et de la surveillance des membres des partis politiques. C’est donc une série très riche pour l’étude de la vie politique des années soixante-dix.

L’épisode se termine par les doutes du meurtrier, par son suicide et le suspense autour de ce nouveau rebondissement. On reste alors sans réponse face aux différentes pistes ouvertes tout au long de l’histoire.  Beaucoup de questions restent ainsi en suspens. Des pistes lancées dans les premières pages comme le lien avec l’assassinat de Carrero Blanco gardent une grande partie de leur mystère. Couper à un moment intéressant est bien-sûr un procédé de marketing propre aux scénarios de feuilleton et de série pour donner envie de lire la suite et d’en savoir plus. A titre personnel, on aurait aimé cependant que l’intrigue reste complète et puisse se lire d’une seule traite.