Images du merveilleux voyage du marchand florentin Francesco Carletti (1594-1606)
Francesco Carletti, marchand florentin a fait le récit de son voyage autour du monde d’Ouest en Est. Il a voyagé, de 1594 à 1606, sur divers bateaux de différents pays au moment où décline l’empire espagnol et où se développent de nouvelles puissances maritimes. Anna Unali présente et commente le manuscrit que Carletti a rédigé à Florence.
Le récit de Carletti, mis en scène par Anna Unali est un témoignage sur le commerce international à la charnière des XVIe et XVIIe siècle : produits, valeur, tracasseries administratives, freins mais aussi de la découverte d’autres cultures en cette première mondialisation.
Anna Unali enseigne l’histoire à l’Université de Rome, elle est spécialiste du commerce médiéval. Elle a déjà publié, chez l’Harmattan : En suivant les moussons – Voyageurs et marchands sur les routes de l’Océan indien IXe-XVIe siècle (2014) et Vers les îles des épices – Le commerce aux origines de la pénétration européenne en Asie (2017).
Deux pages introductives décrivent la vie et l’activité de Carletti, né en 1573 ou 1574, son voyage entrepris en 1594 avec son père dont il revient seul en 1606. Il meurt à Florence en 1636.
Les horizons politiques et commerciaux de l’Europe au XVIe siècle
Anna Unali décrit le cadre géopolitique depuis le XVe siècle avec l’installation des empires ibérique et lusitanien, l’émergence des ambitions anglaises et hollandaises. On perçoit l’intérêt des Médicis pour les voyageurs marchands comme Felippo Sasseti dans l’Océan indien et le commerce du poivre. L’autrice décrit le port de Livourne, plaque tournante du commerce toscan et les ambitions du grand-duc Fernandino 1er (Afrique, Guyanne, Brésil). C’est ce contexte qui explique les raisons du voyage des Carletti.
La traite des esclaves au départ de l’Afrique atlantique
En 1591 Francesco Carletti est apprenti d’un marchand florentin installé à Séville. C’est là qu’avec son père ils réparent leur embarquement sur un navire espagnol. Il y découvre aussi la traite négrière dont les réalités et rivalités sont décrites par l’autrice. On peut suivre divers aspects du commerce des esclaves, notamment les licences à obtenir des autorités espagnoles. Ce commerce apparaît normal à Carletti malgré quelques remords exprimés tardivement.
Productions et commerces dans les domaines espagnols
La première destination des voyageurs est Carthagena de les Indias, non sans difficultés à l’arrivée. On les suit dans leurs déplacements liés au commerce : Panama, Lima, Callao, dans les dangers de la route et de la nature (marais, moustiques, chauves-souris…) ce qui permet d’évoquer le mythe de l’Eldorado, l’extraction minière du Potosi, la riche agriculture de la campagne péruvienne et le commerce du sel. On découvre le triangle commercial du Pacifique : Chine, Philippines, Nouvelle Espagne.
Les Florentins poursuivent leur route, par la voie terrestre, vers Mexico où ils voient l’intérêt d’un nouveau produit : le cacao. Découvrant la ville, Francesco Carletti la compare à Livourne, il en apprécie l’organisation sociale urbaine. Par contre, il déplore la situation des Indios des villages et dénonce oppression des populations autochtones.
C’est à Mexico qu’il porte son intérêt sur le commerce avec les Philippines. Il embarque à Acapulco. Ce voyage permet de décrire d’étonnantes petites embarcations vers « Las Islas de los Ladrones » (Archipel des Mariannes), mais aussi les volontés missionnaires des Franciscains qui voyagent sur le même bateau.
Manille, ville sous autorité espagnole, où Carletti veut acheter des marchandises chinoises et japonaises pour les revendre en Nouvelle Espagne. Le récit est émaillé de descriptions tant des monuments que des coutumes locales.
Le Japon, « pays libre », entre ouvertures et fermetures
Carletti, toujours pour son commerce, arrive dans le port de Nagasaki, un véritable choc culturel du fait de la répression contre les chrétiens, Franciscains et Japonnais convertis puis Jésuites. Il est aussi surpris par la tyrannie de Hideyoshi et son jeu diplomatique avec les Portugais et les Jésuites pour le commerce de la soie chinoise. Les Portugais sont implantés à Macao. La relation de Carletti montre le difficile équilibre entre la Chine, le Japon et les Philippines, mais aussi entre Espagnols et Portugais dans cette région du monde.
Il décrit l’économie agraire de l’archipel nippon et les coutumes alimentaires : baguettes et thé, ainsi que les deux symboles de la culture : les sabres de Samouraï et les vases anciens pour la conservation des feuilles de thé.
Il admire le Japon comme une terre libre, qui n’est pas sous le joug espagnol dont il a critiqué le poids en Amérique.
On découvre dans ce chapitre les conseils de Carletti aux voyageurs européens qui tenteraient le voyage : saisons, durée, modes de transport.
Après le séjour nippon, c’est sur un navire local qu’il embarque avec son père pour Macao.
La Chine, mythe et réalité
L’escale à Macao est l’occasion de mettre en évidence les circuits commerciaux complexes de l’Asie. Macao en est devenue la plaque tournante du fait de sa proximité avec Canton et ses foires, une plaque tournante du commerce avec le Japon mais aussi l’Océan indien et plus à l’Ouest l’Europe puisque la Chine interdit la présence des Européens sur son territoire (1521-1543).
Macao est un port très lusitanien où les moines catholiques tiennent une grande placeCarletti confie son argent aux Jésuites de peur d’une confiscation.
Les deux Florentins, emprisonnés sont empêchés de retourner au japon. Le père Carletti meurt et Francesco embarque, contraint et forcé, pou Goa après avoir pu acheter, par un intermédiaire à la foire de Canton, des biens de qualités pour les comptoirs portugais de l’Inde et pour la cour de Florence (soies et porcelaines).
Le récit permet de dresser un tableau des productions chinoises d’exportation, de la culture et de la science.
Malacca et la saveur enivrante des produits exotiques
C’est sur un navire portugais que Carletti reprend la mer vers l’ouest. Il a pris des marchandises de luxe pour la zone indienne , mais il espère aussi en rapporter à la cour de Florence et amasser des gains importants.
Après 20 jours de mer il atteint Malacca, carrefour des épices qui viennent de toutes les îles indonésiennes. Il découvre un fruit étrange, le durian, et les goûts épicés. Il repart, sur le même navire, rapidement vers Goa, capitale asiatique de l’empire portugais avec une escale à Ceylan.
Goa, le plaisir et la décadence
Cette côte occidentale de la péninsule indienne est connue depuis longtemps. Carletti décrit une ville joyeuse, très portugaise, où le commerce est prospère ; il en tire de réels profits.
Il évoque le Grand Moghol Akbar d’après les lectures qu’il a faites à son retour. Ce souverain l’impressionne notamment pour sa tolérance religieuse. Il décrit aussi les marchands hindouistes de Cambay (Gujarat). Après presque deux ans passés à Goa, ce qui lui permet d’expérimenter la mousson et une nourriture qu’il juge exquise, c’est l’heure du retour en Europe.
Il semble minimiser le rôle grandissant des Anglais, des Néerlandais et même des FrançaisSur ce point on pourra se reporter au très récent ouvrage de Guillaume Lelièvre, La préhistoire de la Compagnie des Indes orientales, 1601-1622 – les Français dans la course aux épices, Presses universitaires de Caen, 2021 en Asie.
Les nouveaux scénarios du commerce international
C’est à nouveau sur un navire portugais, une caraque que Carletti embarque pour la longue traversée de Goa à Lisbonne dans des conditions plutôt confortables, il est un riche marchand. La halte prévue à Sainte-Hélène s’annonce dangereuse du fait de la présence de navires anglais et néerlandais. Attaquée et prise par un flibustier hollandais, la caraque perd de nombreux marins et une partie de sa cargaison. Cette situation marque la fin de l’hégémonie portugaise sur les côtes africaines.
Carletti a perdu une bonne partie de ses marchandises et finit son périple, comme prisonnier, sur un navire hollandais qui escorte la caraque vers les côtes brésiliennes. Rendu à la liberté, il rentre en Europe avec les Hollandais, il arrive en juillet 1602.
Il a alors le temps, plus de quatre ans de procès, pour découvrir la société locale, une population qui vit de la mer. Il cherche à récupérer ses marchandises destinées à la cour florentine parmi le butin hollandais, comptant sur son statut de neutralitéLe Grand-duché n’est pas en guerre avec les pays-Bas et entretien même d’excellents rapports avec les marchands hollandais qui commerce en Italie. Pour aider Carletti le Grand-duc va même jusqu’à les menacer de représailles.
Malgré d’importants soutiens politiques dont le Grand-duc de Toscane le procès s’éternise. Il est finalement indemnisé, 13 000 florins d’or tout de même.
Considérations finales
Même s’il est prêt à repartir pour de nouveaux voyages Carletti accepte l’invitation d’Henri IV à le ren,contrer en France puis il regagne Florence le 12 juillet 1606 où il fait le récit de son périple au Grand-duc. Il analyse critique de la situation du commerce international à son époque notamment à cause de la piraterie.