Il est des lieux où la Seconde Guerre mondiale prit une forme particulière, le désert africain en est bien le symbole. Par la nature particulière du théâtre d’opération, une vaste étendue, coincée entre le désert profond et la Méditerranée, où s’affrontèrent des effectifs relativement faibles en regard des autres fronts. Mais des adversaires qui reflètent la diversité des camps en présence, Italiens renforcés d’Allemands, face à une armée anglaise renforcée de troupes en provenance de tout l’empire : Indiens, Australiens, Néo-zélandais, Sud-africains… Et une guerre qui semble très mobile, mais qui alterna des phases statiques et grandes chevauchées dans le désert. Mais surtout, une campagne à la renommée importante par la présence d’un des chefs engagé. C’est là que s’illustra Rommel. Le héros militaire exalté par la propagande nazie y gagna son bâton de maréchal et est passé à la postérité comme le général symbole d’une « guerre sans haine ». Une image d’anti nazi bien différente de la réalité comme l’a si bien montré Benoît Lemay dans la biographie qu’il lui a consacrée.
C’est donc à cette campagne, sur laquelle peu d’ouvrages récents sont disponibles en français, que s’intéresse Benoît Rondeau. Collaborateur de la revue Seconde Guerre mondiale, il nous livre ici une étude sur cette unité bien souvent présentée comme l’élite de la Wehrmacht.
Une campagne atypique
L’auteur s’attache tout au long de son ouvrage à mettre en évidence les particularités de la guerre dans le désert. Les questions de logistiques sont ici évoquées car elles imprègnent toute la campagne, Elles commencent déjà avec l’approvisionnement de l’Afrique à partir de l’Allemagne, via l’Italie puis la Méditerranée. Il se heurte aussi bien aux contraintes des ports africains qu’aux risques courus par les convois attaqués par les sous-marins où les avions basés à Malte. S’ensuivent ensuite de nombreuses difficultés pour acheminer ce qui a été débarqué jusqu’aux troupes. Toute avance éloigne de Tripoli et allonge les trajets, ce qui mobilise une noria de camions sans équivalents en terme de ratio camions engagés troupes approvisionnées. Le tout est compliqué par la grande diversité des matériels présents : italiens, allemands mais aussi français ou britanniques…
Des engins qui, comme les hommes, sont soumis à rude épreuve compte-tenu du milieu dans lequel ils évoluent. Et pour les deux, matériels, comme soldats, ce qui frappe c’est le faible engagement que cela représente pour l’Allemagne. On est bien là en présence d’un théâtre secondaire aux yeux d’Hitler. Alors que pour les Britanniques c’est au contraire l’endroit où ils se battent pour défendre leur empire mais aussi des positions clefs comme le canal de Suez. Une différence de perception qui explique largement, mais pas seulement, l’échec de l’Axe. L’auteur est un peu moins convaincant quand il tente de présenter ce qu’aurait pu entraîner la défaite britannique en Egypte.
Enfin, sur ce front, les Italiens sont présents en nombre. Bien que n’étant pas le sujet de l’ouvrage, l’auteur réhabilite leur rôle. Ils ne sont pas les éternels défaits, abattus que l’historiographie a souvent présentés. Ils se battent avec courage mais sont desservis par la piètre qualité d’un matériel dépassé que l’Allemagne ne veut pas, et ne peut pas, leur changer.
Enfin, Benoît Rondeau écorne quelque peu le mythe de l’Afrikakorps en rappelant que, comme le reste de la Wehrmacht , nous avons là des soldats marqués par l’idéologie. Et, à juste titre, il montre comment, une fois la Tunisie occupée, un début de persécution contre les Juifs commença. Si les déportations restent limitées c’est faute de moyens de transport et en raison de la brièveté de l’occupation et non en raison de l’hostilité des autorités militaires allemandes.
Une guerre mobile ?
Telle est l’image souvent véhiculée de la guerre du désert. Et nous trouvons bien ici le récit de ces grandes chevauchées et poursuites qui émaillent ce terrain d’opération. A peine les premiers éléments de l’Afrikakorps débarqués en mars 1941, Rommel surprend les Anglais et les repousse de la Tripolitaine jusqu’à la frontière égyptienne en un mois. Aussi mobile sera le repli de l’Afrikakorps sous la pression britannique en décembre 1941. Mais un repli qui permet de se rapprocher de ses bases et de recompléter les effectifs pour mieux repartir en janvier 1942 et ramener les Britanniques jusqu’à Gazala. Puis, après une pause due à la résistance britannique, l’avance est à nouveau irrésistible, permettant la prise de Tobrouk et manquant de vaincre définitivement les Britanniques lors de la première bataille d’El Alamein. La poursuite britannique après deuxième bataille d’El Alamein est plus lente, mais amène cependant les Anglais de l’Egypte en Tunisie en moins de deux mois. Une lenteur relative des Britanniques qui est due à une moindre maîtrise tactique et à un souci de préserver les approvisionnements qui tranche avec les habitudes de Rommel.
Mais c’est aussi un théâtre où les positions fortifiées jouent un rôle important, et en particulier les mines. Le port de Tobrouk est resté associé à cette campagne car sa prise par Rommel en juin 1942 permet à celui-ci de recevoir son bâton de maréchal faisant de lui l’égal d’un Manstein qui décroche le sien pour la prise de Sébastopol. Une récompense qui s’explique aussi par le fait qu’en 1941, d’avril à décembre, la garnison, notamment australienne, a victorieusement résisté à toutes les tentatives d’assaut. C’est aussi un lieu de la mémoire nationale australienne. Autre lieu de mémoire, qui correspond lui aussi à une position fortifiée, Bir Hakeim. Ce qui est souvent présenté comme la première victoire militaire de la France Libre est ici ramenée à ses justes proportions sur le plan militaire. Une résistance héroïque mais qui se solde par des pertes importantes et n’est qu’un point d’une bataille plus importante.
La bataille d’El Alamein de novembre 1942, est une bataille intense mais peu mobile. C’est par un assaut frontal de positions fortifiées défendues par des champs de mines que les Britanniques saignent à blanc l’Afrikakorps et ses alliés italiens. Enfin, la dernière phase de la campagne, voit les rescapés de l’Afrikakorps défendre la Tunisie aux côtés de la 5° panzerarmee jusqu’en mai 1943, date de la capitulation. Une défaite allemande méconnue, éclipsée par la capitulation de Stalingrad 3 mois plus tôt. Pourtant l’Axe y a perdu beaucoup plus d’hommes et de matériel.
En conclusion
Un ouvrage qui constitue une vision globale de l’engament allemand en Afrique du Nord. L’auteur a le souci d’en expliquer les enjeux et d’en faire le récit le plus précis possible. Récit dont la compréhension est facilité par les cartes présentées. Il ne néglige pas non plus les évolutions de l’historiographie de la question et fournit une bibliographie solide pour traiter le sujet. On peut cependant regretter un titre qui ne correspond pas assez au sujet. Nous avons là non une étude de l’Afrikakorps comme annoncé, mais un récit, au demeurant très bon, des opérations militaires en Afrique du Nord.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau