Sorti à la toute fin de l’année 2018, le premier tome de cette nouvelle série nous est apparu comme tout à fait prometteur. L’action se déroule entre 1929 et 1931, au moment où la prohibition vit ses derniers feux. On apprend d’ailleurs dans l’histoire que Al Capone vient d’être arrêté pour fraude fiscale le 5 juin 1931.

Le personnage éponyme de la série, Agata, est une jeune Polonaise qui a émigré après un avortement. Dans la Pologne du maréchal Pilsudski, comme le souhaiteraient une bonne partie de l’église, et du parti dominant le pays actuellement, l’avortement était considéré comme un crime majeur. L’exil était donc la seule solution pour cette jeune femme, accueillie par son oncle. Dans la ville de New York, pendant la prohibition, plusieurs groupes criminels ont très vite flairé la bonne affaire que constituait l’interdiction de consommer, de fabriquer, et de vendre de l’alcool, et des groupes de bootleggers basés sur les communautés d’origine se sont développés. Si le terme de mafia est d’ailleurs très largement rattaché à la Sicile, il est assez courant d’évoquer la mafia irlandaise ou la mafia polonaise, même si leurs structures ne sont pas comparables à celles de Cosa Nostra.

C’est dans ce contexte que l’on assiste, tandis que Agata, commence sa nouvelle vie, à la montée en puissance de Lucky Luciano, né dans la province de Palerme, et arrivé aux États-Unis, avec ses parents en 1906. Très vite le jeune homme dont le nom de naissance est, Salvatore Lucania et qui apparaît dans la bande dessinée sous le nom de Charlie, constitue son propre gang, organisé au départ, et c’est peu connu dans la protection, le nom poli du racket, des jeunes juifs contre les autres gangs. Ils se constituent un groupe de « soldats », ce que l’on appelle dans Cosa Nostra les uomi d’onore.

Vite repéré par les parrains new-yorkais de l’époque, et notamment Jo Masseria, il représente avec Vito Genovese et Frank Costello, ses amis du gang des five points l’une des étoiles montantes du syndicat du crime. Ce dernier est encore dirigé à New York par un parrain à l’ancienne, avec les traditions siciliennes de fidélité interpersonnelle. Pour Lucky Luciano, cette époque est révolue, depuis qu’il a appris tous les profits que l’on pouvait retirer de substantiels allers-retours entre des activités légales, éliminant au passage la concurrence par des moyens assez radicaux, et les activités criminelles permettant de récolter des sommes considérables.

De tels enjeux suscitent évidemment des oppositions, et c’est là que commence ce que l’on a appelé la Guerre des Castellammarese, qui oppose deux clans de la mafia new-yorkaise originaires tous les deux de cette ville de la province de Trapani, à laquelle l’auteur de ces lignes est familialement rattaché.

Après avoir soutenu le clan Masseria et avoir abattu son chef, Lucky Luciano se retrouve à la tête, en 1931, de l’une des cinq familles de la mafia new-yorkaise. Elle continue toujours sous le nom de famille Genovese.

Le scénario de cette histoire suscite évidemment l’intérêt puisque l’on voit apparaître en filigrane la capacité de la mafia  à corrompre les autorités, et au plus haut niveau, et à peser également sur le débat politique, notamment avec la campagne électorale de Roosevelt. Lucky Luciano ne se trompe pas et en même temps parvient à s’imposer sur le marché de la rénovation du port de New York, là aussi en pratiquant l’intimidation à l’encontre de ses concurrents.

Les méthodes sont évidemment connues, l’élimination physique permet d’asseoir leur domination d’un clan sur un territoire.

Agata, la jeune Polonaise, essaye de faire son chemin dans ce New York des années 30, où, curieusement, les manifestations de la crise ne semblent pas très visibles. Musicienne comme sa mère, morte quand elle avait 10 ans, Agata découvre des rythmes nouveaux, très éloignés des mazurkas polonaises, comme le swing. Ce premier volume prend fin au moment où l’opposition entre les gangs polonais et la famille Luciano s’exprime avec une certaine violence.

Le dessinateur et scénariste Olivier Berlion est déjà familier de l’univers du crime, notamment dans la trilogie consacrée au juge François Renaud, mais avec ce récit très nerveux, bien construit, et avec une très soigneuse reconstitution graphique, il rentre dans un domaine qui est pourtant très largement occupé, celui de la fascination que la criminalité organisée d’origine sicilienne a pu exercer avec les figures d’Al Capone, Vito Genovese, Frank Costello et bien entendu Lucky Luciano. On attendra le tome deux avec beaucoup d’impatience, d’autant plus qu’il s’agit d’un album grand format (24 X 32) qui permet aux planches de se déployer sans contrainte. Sur une demi page (29) la vue sur Manhattan et sur l’empire State building a incontestablement de l’allure.


Bruno Modica, pour Les Clionautes