Es Shahid

Ayant reçu en service de presse le tome deux de cette série qui est annoncée comme un triptyque, j’ai eu le sentiment en parcourant les premières pages qu’il me fallait absolument l’intégrale.
En effet, si le nom parmi les deux scénaristes de Marc Trévidic, l’ancien juge d’instruction Du tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterroriste entre 2006 est 2015 n’est pas celui d’un inconnu, on ne peut que se féliciter de ce que les charges de ce magistrat, désormais Premier vice président du tribunal de grande instance de Lille, lui laissent quelques loisirs pour se consacrer à l’écriture. J’ignore totalement comment s’est faite la répartition du travail avec l’autre cosignataire du scénario, Matz, mais franchement, porté par le dessin tout à fait adapté de Giuseppe Liotti, on découvre ici une excellente série, et on se prend à exiger, à peine refermé le tome deux, l’arrivée du suivant, de toute urgence.

On comprend bien à la lecture de cette histoire qui décrit l’action du juge d’instruction et des services de police pour essayer de démanteler une cellule de l’État islamique dirigée par un certain Abou Othman présumé mort en Turquie au début de l’épisode.
Le scénario est construit autour de deux trajectoires parallèles qui a un moment donné, et cela est toujours dramatique, se rencontrent.

L’action des services, avec en filigrane une incontestable et visible lutte d’influence entre différentes unités, le rôle du magistrat instructeur dans la poursuite de l’enquête, le patient travail de recoupement qui est entrepris, parfois en regardant des réseaux sociaux, en interpellant des revenants de Syrie, et bien d’autres questions qui se posent aux enquêteurs.

De leur côté, les membres de la cellule de l’État islamique installent patiemment leur dispositif qui leur permettent de frapper au cœur de la capitale.
Le juge d’instruction qui est en réalité Marc Trévidic qui s’appelle dans l’histoire Antoine Duquesne, est évidemment le personnage central de l’histoire. Il est travaillé en permanence par le doute, avec cette énorme responsabilité qui est non seulement d’agir dans le cadre de la loi, mais aussi, lors de l’enquête, d’anticiper de nouvelles actions de l’adversaire.

Il n’est pas possible de déflorer l’histoire, mais simplement de montrer que c’est véritablement de l’intérieur que l’on a le sentiment de voir se mettre en place le mécanisme qui conduit à un attentat meurtrier.
Dans cette lutte particulière qui est celle du glaive et du bouclier, c’est forcément le premier qui a l’initiative, surtout que le second ne reçoit que des messages diffus, brouillés, en sortant toujours à la question du manque de moyens.

Le piège de verre

Un terroriste qui meurt « en martyr », et c’est une fiche S que l’on range, un dossier d’instruction que l’on clôt, un système d’écoutes et de filatures que l’on peut déployer ailleurs. Mais ce terroriste est-il vraiment mort ?
Et les repentis qui l’affirment de la façon la plus formelle qui soit sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ?
Pas vraiment simple de répondre à cette question sur fond de guerre d’influence entre les différentes directions et services qui sont en charge de l’antiterrorisme. Alors effectivement, cela se traduit au petit matin par le déploiement du RAID et une interpellation musclée, par une garde à vue de 96 heures, dans le cadre des dispositifs prévus dans la lutte contre le terrorisme, et après ?
De l’autre côté du périph’ un petit groupe de djihadistes s’organise patiemment. Ces hommes ordinaires, on les voit avachis sur un canapé dans un pavillon de banlieue, pendant que l’un d’entre eux confectionne un gilet explosif avec du TAT¨P. Une scène familiale très ordinaire finalement !
Il est manque les femmes d’ailleurs, celles que l’on a appelées, après 2015, les sœurs du djihad. Marc Trévidic avait alors quitté ses fonctions. Peut-être que l’on pourrait aussi écrire une autre histoire à ce propos.
Mais ces terroristes sont aussi en proie au doute, celui d’avoir que l’on doit ressentir face à la certitude de la mort, même si cette dernière garantit un paradis et 72 vierges, celui aussi de s’affronter à un adversaire étatique qui ne manque pas non plus de moyens d’écoute et d’investigation. Toute la question est de savoir si ces derniers sont suffisants face à la nature de cette menace qui est quand même bien spécifique.

La cellule terroriste qui agit dans le scénario est déjà dans le collimateur des services, à l’exception de ce présumé mort Abou Othman. Et c’est d’ailleurs tout le mérite de cette histoire qui est de montrer de façon pédagogique, osons le mot, le fonctionnement de l’antiterrorisme. À quoi servent ces fameuses fiches S ? La réponse se trouve dans l’album. Et au passage elle infirme totalement les déclarations martiales est totalement démagogique de ceux qui voudraient tous arrêter tous les fichés S à titre préventif, ce qui rendrait les services de police totalement aveugles.
Alors effectivement, lorsque l’on est arrivé quelque minutes trop tard, après un attentat particulièrement meurtrier, on envisage les solutions les plus extrêmes. Et le magistrat de rappeler, avec quelles difficultés en ces circonstances, les principes de l’État de droit.
Les deux premiers volumes montrent les limites de celui-ci pourtant. Les attentats ont bel et bien lieu dans Paris. Et Abou Osman est toujours insaisissable. Il nous reste à attendre le troisième volume pour espérer un dénouement heureux, si l’on peut utiliser ce terme en la matière.


Bruno Modica, pour Les Clionautes

 

Présentation de l’éditeur. « Rue de Sèvres est la maison d’édition de bande dessinée du groupe L’École des loisirs. Depuis septembre 2013, Rue de Sèvres propose des albums de bande dessinée ado-adultes, tout public et jeunesse. Il nous tient à cœur de soigner chaque livre que nous publions, de proposer des histoires ambitieuses et de beaux objets, c’est pourquoi nous proposons un nombre restreint d’albums chaque année. Notre projet est de ne nous poser aucune limite de genre mais d’accueillir dans notre catalogue des livres aussi variés qu’incontournables.

De même que L’École des loisirs a su proposer depuis 50 ans des livres qui sont devenus les références de la littérature jeunesse, notre ambition est que vous trouviez chez Rue de Sèvres des livres à lire et à relire longtemps ».