Voici plus de quarante ans que l’association Solidarités International intervient sur la planète pour aider les populations en danger. Pierre Brunet, Tugdual de Dieuleveult proposent un ouvrage qui est à la fois un bilan de ces 40 ans d’intervention humanitaire mais aussi un moyen de rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui essayent d’apaiser les souffrances à travers la planète. 

L’approche qui a été choisie est une approche par décennie. Le livre est constitué de points sur les opérations ainsi que de nombreuses interviews. Il fait également la part belle aux photographies. On trouve des arrêts sur certaines interventions et chaque décennie est introduite par un texte de synthèse. Il rappelle que 70 % des crises durent depuis plus de dix ans. Dans la préface, Alain Boinet, fondateur de Solidarités International, insiste pour dire que la fatalité n’est pas une option. Elle regroupe plus de 2 000 membres qui sont engagés chaque jour dans une vingtaine de pays en crise. Il raconte en parallèle l’évolution des moyens de l’humanitaire et de l’organisation. Le tsunami de 2004 a marqué une étape aussi pour l’association. Aujourd’hui, la question de l’eau est jugée comme particulièrement cruciale. 

1980-1990 : l’audace comme fondation 

La première mission fut une intervention en 1979 en Afghanistan. Alain Boinet raconte qu’avec quelques soutiens il ne pouvait se résoudre à attendre de l’autre côté de la frontière et qu’il fallait aller vers les gens. Il livre un récit sur ces débuts. Patrice Fransceschi, un des fondateurs de l’association, raconte son entrée dans le monde de l’humanitaire. On croise différents acteurs comme Raoul de Torcy qui s’est engagé en Afghanistan de 1990 à 1996. L’ouvrage donne aussi la parole à celles et ceux qui ont reçu l’aide comme Parina, réfugiée dans un camp. Jérôme Bony, grand reporter, apporte son témoignage en disant que «  contrairement aux journalistes, les humanitaires n’ont pas de billet retour ». Bernard Kouchner apporte aussi son regard en déplorant que parfois « certains se servent de l’humanitaire plutôt que de le servir ». Le livre propose aussi de s’arrêter sur le cas des orphelins de la révolution roumaine en 1989. 

1990-2000 : l’audace de développer une aide internationale

L’introduction de la partie résume là encore dix ans d’interventions à travers le monde. C’est l’époque où les différentes branches de Solidarité se rejoignent pour former Solidarités. Entre la Yougoslavie et le Rwanda, les crises n’ont pas manqué. Gérard d’Abboville raconte comment il a basculé dans l’aide humanitaire alors que c’était un monde qui lui était totalement inconnu. A propos du Rwanda, les auteurs parlent d’un « devoir d’humanité ». Pierre Brunet relate également comment il s’est engagé. Catapulté responsable de l’organisation des distributions d’urgence, il s’occupa de onze camps de déplacés et plus de 65 000 personnes survivèrent grâce à l’aide apportée. Alain Boinet enchaine en disant qu’il « ne faut pas attendre une autorisation pour secourir. Le feu vert, c’est nous qui nous le donnons. » Les articles suivants évoquent la République démocratique du Congo en 2000. On lit plusieurs témoignages comme celui de Marie, déplacée du Kivu dans un camp près de Goma, en 2012. L’ouvrage donne la parole à tout le monde et on lit aussi le témoignage de Catherine Hervet, chargée d’accueil pendant vingt-quatre ans au siège de Solidarités International. 

2000-2010 L’audace dans la tourmente

Après les attentats de 2001, cette décennie est aussi celle du Darfour ou de l’Indonésie. En effet, avec le tsunami de 2004 l’association décide d’intervenir pour aider alors que jusque-là elle n’était jamais intervenue dans des catastrophes naturelles. Cela lui a permis aussi de mesurer l’indispensable coordination des acteurs de l’humanitaire pour être pleinement efficaces. Une crise comme celle du Darfour a aussi fait grandir l’association et Paul Salvanès considère qu’elle a « fait entrer Solidarités International dans la cour des grands de l’humanitaire ». Elle est intervenue dans des zones rurales, ce que peu d’autres faisaient, et cela lui a permis de gagner la confiance des populations. Cette crise a causé la mort de 300 000 personnes et a abouti à 2,7 millions de déplacés. L’association est intervenue également à Haïti où elle s’est concentrée sur la question du choléra.

Depuis 2010 : rester audacieux dans des crises de plus en plus dangereuses et complexes 

Les auteurs parlent de mutation des crises humanitaires et à propos d’Ebola, ils soulignent que ce fut une « expérience-limite [….] pour l’association qui développe à partir de là une culture de la prise de risque réfléchie et une expertise en matière de réponse à une crise épidémique aigüe ». Andrea Angioletti apporte son témoignage sur cette crise en insistant sur le protocole sanitaire mis en place alors. Un autre chapitre aborde le cas du Myanmar-Bangladesh en 2007. Au Myanmar règna ce que Marie-Alice Torré considère comme un « racisme d’Etat, une discrimination institutionnalisée ». Dans plusieurs témoignages, des déplacés racontent ce qu’ils ont vécu. Le dernier chapitre traite de la situation en Syrie et au Yémen en rappelant que dans ce pays 75 % de la population a besoin d’aide humanitaire. Thierry Benlhasen, directeur des opérations à Solidarités Internationale depuis 2017, dresse un bilan d’étape de l’association face à tant de malheurs vus et vécus. « Aujourd’hui nous sommes moins impliqués émotionnellement et moins romantiques dans notre conception de l’aide humanitaire ». Mais il y a dans son propos nul regret pour un ancien temps de l’humanitaire. Il constate aussi que les humanitaires sont de plus en plus exposés.

En conclusion, les auteurs s’interrogent sur ce que sera l’humanitaire de demain. Aider, c’est s’adapter à des contextes par définition changeants. Les terrains d’intervention se trouvent aujourd’hui au Sahel mais aussi dans la lutte contre la covid. En postface, Antoine Peigney, président du conseil d’administration de Solidarités International, conclut en rappelant que « notre action est notre seule finalité ». Il complète les critères essentiels qui doivent toujours et encore guider l’association : l’indépendance, l’impartialité et la neutralité. 

Jean-Pierre Costille pour les Clionautes