Ecrire l’histoire de l’Océanie au XIXème siècle

Après une série de publication sur l’histoire de l’Amérique du Nord, Anacharsis a ouvert un cycle consacré à l’histoire de l’Océanie. En 2019, l’éditeur sortait « le dernier voyage du capitaine Cook » écrit par le matelot allemand Heinrich Zimmermann qui relate la troisième expédition de James Cook (1776-1779). L’année 2020 est particulièrement riche grâce à la publication de trois livres :

  • « Expédition à Botany Bay » de Watkin Tench en septembre 2020. Cette deuxième édition fait suite à celle de 2006 également publié par Anacharsis. Débarquant en Australie grâce à la First Fleet britannique en 1788, l’officier Tench raconte les premières années de la colonie de Sydney.
  • « Le santal et les cannibales » de William Lockerby en septembre 2020. L’aventurier écossais, abandonné par son équipage aux îles Fidji en 1808, décrit la société fidjienne du début du XIXe siècle.

L’histoire de l’Océanie au XIXe siècle est particulièrement méconnu en France. « Océaniens – Histoire du Pacifique à l’âge des empires » n’est pas un récit de première main mais une véritable synthèse. Elle est l’oeuvre de l’anthropologue et historien australien Nicholas Thomas. Il était notamment le commissaire de la très belle exposition « Océanie » organisée au musée du Quai Branly en 2019. L’excellente traduction a été réalisée par Paulin Dardel.

Le style adopté par Nicholas Thomas rappelle le « Rhinocéros d’or » de François-Xavier Fauvelle consacré à l’Afrique médiévale. L’auteur emmène le lecteur déambuler sur les différentes îles de l’Océanie de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. De la Nouvelle-Guinée à l’île de Pâques, en passant par les îles Salomon, la Nouvelle-Calédonie, les îles Cook, Vanuatu, les îles Marshall, les Samoa, les Fidji, les Tonga, Niue, Hawaï et l’ensemble de la Polynésie française, le lecteur embarque dans un périple qui s’intéresse principalement aux populations.

Dès l’introduction, Nicholas Thomas précise que l’histoire de l’Océanie au XIXe siècle s’écrit par pastilles, dépendantes des fouilles archéologiques, de l’analyse des écrits des marins et des récits oraux transmis sur le long terme. Les sources émanant des missions religieuses se révèlent particulièrement éclairantes. Les populations autochtones occupent une large place dans le récit. Les témoignages des marins européens, mais aussi australiens, péruviens et chinois sont mobilisés au service d’une histoire connectée de l’Océanie au XIXe siècle.

Du point de vue de l’histoire officielle, les dernières décennies du XIXe siècle sont marquées par une vague d’annexions et l’instauration quasi-totale de l’ordre colonial. Le processus commença dès les années 1840 et 1885, avec les acquisitions de la Papouasie-Occidentale, de la Nouvelle-Zélande, de Tahiti, des Marquises et de la Nouvelle-Calédonie par les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et la France. Les Fidji furent cédées à la Grande-Bretagne en 1874 ; l’est de la Nouvelle-Guinée fut divisé entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne en 1884 ; Rapa Nui fut annexée par le Chili en 1888 ; les îles Cook passèrent sous administration britannique la même année : et des régions des îles Salomon devinrent protectorat britannique en 1893.

Nicholas Thomas, Océaniens – Histoire du Pacifique à l’âge des empires, Anacharsis, page 479.

Connaissez-vous Peter le Suédois ? Le rôle d’intermédiaire exercé par les beachcombers est primordial aux yeux de l’historien. Ces allochtones, bien souvent des Européens ou des Asiatiques adoptant une mode de vie reposant sur le vagabondage, sont les premiers à vivre au sein des villages. Ils se marient avec des femmes locales et servent souvent de traducteurs, de missionnaires et de relais commerciaux. Le commerce de services sexuels est particulièrement actif. Celui du bois de Santal, particulièrement rémunérateur, est encouragé par les armateurs depuis les Fidji vers le reste du monde. Grâce aux liaisons maritimes, des Océaniens s’embarquant sur des navires de commerce ont également découvert la société britannique. Les populations océaniennes sont particulièrement mobiles. On retrouve des Marquisiens à Tahiti, des Tongiens aux Fidji, des Vanuatais aux îles Salomon. Le commerce des esclaves est très présent dans l’Océan Pacifique à travers des déportations de populations. Majoritairement raflée en Océanie orientale (Marquises, Rapa Nui), ces hommes et femmes sont généralement envoyés au Pérou pour y travailler dans les mines ou sur des îles pour y récolter du guano.

En 480 pages, le livre a le mérite d’aborder pratiquement tous les espaces océaniens habités. De longs focus sont consacrés à l’influence tongienne aux Fidji, aux processus d’évangélisation à l’oeuvre aux îles Salomon, à l’exploration de la Nouvelle-Guinée, aux contacts entre les autochtones et les Britanniques à Hawaï. Parmi les passages savoureux, notons l’analyse des rivalités au sein de la confédération fidjienne dans le chapitre 9. La géopolitique locale aux Marquises, à Hawaï et sur les îles samoanes est particulièrement précise. On y retrouve des souverains généralement peu connus : Dreketi (chef régnant à Rewa aux Fidji), le chef tongien Finau, le tahitien Pomare. Des anecdotes sont distillés tout au long du livre : par exemple, on y apprend que le cricket est très populaire aux Tonga, fait l’objet d’un cérémonial particulièrement précis et qu’une loi encadre sa pratique pour éviter un essor des loisirs au détriment des plantations (une journée maximum de cricket par semaine).

Un livre très riche, bien illustré, particulièrement stimulant et original qui risque fort de devenir la référence incontournable en histoire contemporaine pour aborder l’Océanie.

Notons que ce cycle de publication concernant l’histoire de l’Océanie par Anacharsis se poursuivra l’année prochaine. En 2021, l’éditeur prévoit la publication du livre « Cannibal Jack » par Benoît Trépied. De son vrai nom Jack Marmon, Cannibal Jack était un vagabond qui voyageait d’île en île à travers le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Mariannes, Nouvelle-Zélande, Tahiti) dans la seconde moitié du XIXe siècle. En analysant les cahiers écrits par ce beachcomber (« un écumeur des plages »), l’anthropologue Benoît Trépied reconstitue donc le parcours de ce bourlingueur, offrant ainsi un aperçu sur la société océanienne de la fin du XIXe siècle. Une publication qui promet de prolonger agréablement la lecture de la synthèse de Nicholas Thomas.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes