Derrière un titre au ton belliqueux, se cache un échange riche entre une spécialiste des Etats-Unis et un spécialiste du monde arabe soucieux d’identifier les différences et de comprendre les raisons de l’affrontement entre l’Amérique et le monde arabe.

A l’origine de ce livre, un constat fait par les deux auteurs : depuis le 11/09, il a souvent été fait appel à leurs analyses dans les médias mais eux ressortaient frustrés de ne pouvoir aller au fond des choses lors de leurs différentes interventions. D’où l’idée d’un livre pour se dire, se demander tout, constater les divergences d’analyse pour toujours mieux appréhender la situation conflictuelle entre deux mondes que tout semble opposer.

Tout semble opposer Américains et Arabes et pour commencer l’identité des deux groupes.
Qu’est-ce qu’être arabe ? C’est un héritage alors qu’être américain, ce serait un choix. L’identité arabe repose sur la Assabia, la fidélité à la tribu, la Oumma mais toutefois Antoine Sfeir insiste sur le fait qu’il n’existe pas de monde arabe, que c’est une vision occidentale, que s’il a jamais existé, ce fut à l’époque de Nasser. Aujourd’hui cela ne veut plus rien dire surtout pour les plus jeunes qui aspirent à la réussite professionnelle comme les Américains. Toutefois, la projection dans l’avenir reste compliquée face à un présent difficile.
Au contraire, être américain, c’est être tourné vers l’avenir, c’est penser qu’il est possible de choisir son destin, croire que tout est possible demain, que l’on peut réussir si l’on s’en donne les moyens. L’autre pilier de l’identité américaine réside dans l’adhésion aux institutions qui assurent, sur le papier, l’égalité de tous même si les rédacteurs de la constitution pensaient avant tout aux blancs.Dans tous les cas, les deux aspirent au bonheur mais ne lui donnent pas le même sens et n’empruntent pas les mêmes voies pour y parvenir. Pour les Arabes, mais là encore l’unité n’est pas de mise rappelle Antoine Sfeir, l’essentiel reste encore la famille à l’intérieur de laquelle les anciens sont écoutés, l’homme tout puissant et la femme une mineure. Trouver le bonheur ne consiste pas simplement à s’enrichir mais aussi à prendre soin des siens.
Pour les Américains, il faut déployer toute son énergie dans le domaine professionnel afin d’accéder au bonheur recherché.
Ce bonheur prend aussi une dimension collective : liberté et égalité sont des valeurs essentielles pour les Américains bien qu’elles soient relatives comme le montre le fonctionnement du système judiciaire. Dans les pays arabes aussi, les constitutions prévoient une égalité de traitement devant la loi mais Antoine Sfeir souligne que l’égalité n’est pas une notion musulmane ou arabe, aussi on ne cherche pas à l’appliquer.

Autre domaine de divergences, la société et son évolution. L’exemple des femmes est éclairant. Dans le monde arabe, la femme n’est pas libre, son corps ne lui appartient pas, le port du voile se généralise même si, selon Antoine Sfeir, le Coran n’oblige pas les femmes à le porter. D’autant plus que l’islam n’a pas toujours été incompatible avec le fait que les femmes soient libres et éduquées mais une régression s’est opérée lorsque France, Etats-Unis et Royaume-Uni ont, pour des raisons économiques et stratégiques, soutenu l’Arabie Saoudite et l’islamisme. En Amérique, les religieux ont une influence grandissante et inquiétante pour Nicole Bacharan mais, dans ce pays, les avancées en faveur des femmes sont irréversibles.

La fin de la première partie se pose la question d’une guerre de religion entre les deux mondes. Les auteurs regrettent l’utilisation d’un vocabulaire religieux dans la sphère politique. Ainsi, G.W.Bush qui, utilisant une rhétorique manichéenne, s’est servi des mêmes termes que les islamistes. Evidemment, les deux ne sont pas à mettre sur le même plan mais en annonçant une guerre contre le mal, le président américain a suggéré aux arabes qu’il était en train de mener une guerre de religion. Guerre de religion peut-être mais surtout, pour les néo-conservateurs, pour la liberté et la démocratie. Le problème étant que pour les musulmans, tout le monde n’a pas vocation à être libre. Là se trouve une des erreurs d’appréciation de Bush et des néo-conservateurs : la certitude du bon accueil qui serait réservé par les populations arabes à la liberté et à la démocratie proposée par les Américains.
Côté islamiste, le souhait d’une guerre de religion semble plus évident :
– la peur d’une domination judéo-chrétienne les pousse à passer à l’offensive les premiers lors du 11/09.
– Leur objectif final est le rétablissement du califat et l’extension de l’islam.

La seconde partie reprend la fin du titre : l’affrontement. Actuellement, les Américains ne comprennent pas ce qui leur vaut la haine de nombreux Arabes. Antoine Sfeir revient sur les déceptions, les humiliations subies par ces derniers telles que la guerre des six jours qu’il compare au 11/09. Plus récemment, la première guerre du golfe, en renforçant leur installation dans la région et en faisant voler en éclats le monde arabe, a contribué à ce rejet.
Puis vint le 11/09, la vraie rupture pour les auteurs. Avant, l’islam n’était pas perçu par les Américains comme une menace ; ceux-ci ont semblé ou feint de découvrir l’islamisme alors qu’Antoine Sfeir leur attribue l’invention de celui-ci ; Nicole Bacharan n’accepte pas cette idée qui reviendrait à dire que l’Amérique est responsable de tous les problèmes, thème typique utilisé par le courant anti-américaniste.
Quoiqu’il en soit, Ben Laden aurait pour Antoine Sfeir échoué et ce, pour deux raisons : il n’a pas réussi à attirer de nombreux partisans et a déstabilisé la démocratie américaine.
Les trois derniers chapitres abordent trois « fronts » de l’affrontement américano-arabe.
Le conflit israélo-palestinien qui cristallise l’affrontement ; malgré, les tentatives américaines de solutionner ce conflit, le constat d’échec s’impose pour plusieurs raisons : le soutien américain à Israël comme seul pays fiable de la région, le poids du lobby juif, la mauvaise volonté d’ Arafat, l’utilité de ce conflit pour les états arabes. Les auteurs mettent leurs espoirs de paix dans une lassitude des peuples et pensent qu’il est nécessaire dans un premier temps de séparer les populations afin de repartir sur des bases saines.
L’affrontement direct a lieu en Irak à l’issue d’une guerre mal préparée pour Nicole Bacharan, mal expliquée et qui donne l’impression à l’opinion américaine que le pays s’est enfoncé dans un bourbier digne du Vietnam.
Enfin reste le cas iranien. Tout le monde arabe redoute l’accès de l’Iran chiite au nucléaire. Dirigé par un président perçu par les Américains comme un « fou », l’Iran s’est lancé dans un bras de fer avec la communauté internationale et surtout avec les Etats-Unis. Pourtant les deux auteurs en conviennent : ces deux états n’ont que des intérêts communs dans la région.

Pour Nicole Bacharan, les Etats-Unis semblent avoir compris qu’il fallait éviter l’affrontement avec les Arabes et cherchent actuellement des relais dans la région mais Antoine Sfeir souligne que la confiance sera dure à restaurer. Les deux sont d’accord pour dire que les Etats-Unis doivent agir de concert avec la communauté internationale afin de rétablir la paix qui reste une aspiration universelle.

Ce livre est à conseiller à plus d’un titre. Pour sa forme d’abord car le dialogue rend plus vivant, plus captivant la mise au point sur l’affrontement entre Arabes et Américains. Sur le fond, il permet, au-delà des images dont on nous inonde tous les jours, de comprendre, en partie, les incompréhensions, les malentendus, les profondes différences entre Américains et Arabes en sortant des chiffres, des cartes, des statistiques en s’arrêtant sur les hommes, ce qu’ils sont, comment ils se perçoivent et de quelles façons ils perçoivent l’autre.

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