« L’état du monde » est un ouvrage ambitieux, qui s’appuie sur un réseau d’auteurs prenant appui sur des « centaines d’équipes de recherche » et a l’ambition de couvrir « tous les champs disciplinaires liés à l’international »
Qu’y trouve-t-ton, et pour quel usage ?
L’état du monde 2007, La Découverte, 2006
Sous la direction de Bertrand Dadie et Béatrice Didiot
Par Yves Montenay, président d’ICEG (démographie, Nord-Sud, géopolitique)
(les quelques commentaires sont entre parenthèses)Cet ouvrage est largement diffusé depuis une génération dans les milieux de l’enseignement et des médias, et probablement bien au-delà.

Cette année, il change de formule avec la 26e édition. Les deux principales innovations sont la place encore accrue donnée à l’analyse des problématiques transnationales et la limitation de l’étude à 27 États. Celle des « 200 autres » est renvoyée au cédérom L’encyclopédie de l’état du monde.
L’ouvrage est divisé en trois grandes parties : « les enjeux de la période », « les grands ensembles continentaux » avec subdivision vers les 27 états sélectionnés, et « les chroniques de l’année ». Cette dernière partie est nouvelle et extrêmement variée. Elle évoque notamment l’activité des grandes entreprises et les évolutions technologiques.
L’ouvrage a environ 70 rédacteurs, ce qui explique que l’on ne puisse en faire une critique d’ensemble. De ce fait, et compte tenu par ailleurs de la place occupée par les références et les tableaux de données, il reste peu de place pour les contributions qui sont donc chacune assez brève. Si le lecteur est déjà d’un certain niveau, il risque de n’y retrouver que ce qu’il sait déjà. Reste bien sûr la fonction d’aide-mémoire pour ce que l’on connaît, et de découverte pour le reste.
Les contributeurs semblent d’opinions politiques variées, ce qui est un gage global d’impartialité, mais peut être un défaut pour telle intervention. Les membres d’institutions reconnues s’y taillent tout naturellement la place principale. C’est une garantie de sérieux, mais accroît par définition l’impression de « déjà lu » inévitable dans ce type d’ouvrage.

La première partie, « Les enjeux de la période » est à dominante géopolitique. Dans mes domaines de compétence, j’ai particulièrement remarqué « la dimension géopolitique de la question pétrolière », « l’Afrique, vaste marché de ressources et d’investissements pour l’Asie », « la planète vieillit… », « L’eau… » . Je vais passer sur les enjeux régionaux, dans lesquels les problèmes du Moyen-Orient ont une place prépondérante.
La contribution sur la dimension géopolitique de la question pétrolière (Christophe-Alexandre Paillart, Sciences-Po) est limitée par celle sur l’énergie (voir plus loin). Elle se borne à rappeler que le prix du pétrole va rester élevé, que la Chine et bientôt l’Inde vont gonfler la demande, que le Moyen-Orient et la Russie, où se trouve l’essentiel des réserves, pèsera de plus en plus, que l’insécurité juridique et géopolitique y est grande (ainsi que chez d’autres producteurs), que l’Arabie n’est plus « le fournisseur d’appoint » pilotant le marché, que les énergies de substitution ne seront pas rapidement massivement accessibles et que la dépendance américaine au pétrole importé augmente chaque année.
« L’Afrique, vaste marché de ressources et d’investissements pour l’Asie » (Philippe Hugon, Paris X) rappelle que les relations économiques et politiques entre l’Afrique et l’Asie se multiplient depuis 2 ans, sachant que la Chine et l’Inde sont des géants par rapport à chacun des États africains, voire à l’Afrique entière, en population, PNB, forces armées, taux de croissance. Et que l’Asie, c’est aussi le Japon, qui veut garder son avance sur la Chine, avec des entreprises installées depuis longtemps et en tant que principal donateur qui se distingue du « consensus de Washington » en plaidant pour le rôle de l’État. L’Inde, elle, s’appuie sur sa diaspora, puissante en Afrique du Sud et sur les rives et les îles de l’Océan Indien. Ses entreprises sont très présentes dans les phosphates, les télécommunications, le transport routier et les secteurs de pointe. Inde et Chine apportent les crédits et les compétences pour les projets d’infrastructure, à condition qu’ils soient réalisés par leurs entreprises (ce qu’on reproche à la France !). C’est la Chine qui a l’approche la plus géopolitique exigeant la non reconnaissance de Taiwan et se plaçant, au-delà des questions économiques, en rival du pôle nippo-américain. Son commerce avec l’Afrique devrait bientôt dépasser celui de cette dernière avec les Etats-Unis. Sa diaspora commence à gagner ce continent. Elle installe ses entreprises de télécommunication, de TP et de textile, qui menaçent les entreprises locales, importantes au Maghreb et à Maurice. En face, les pays africains peuvent apporter leurs voix à l’ONU, et, bien sur, leurs matières premières au premier rang desquels le pétrole. Cela sans subir les pressions « morales » des pays occidentaux sur l’usage de l’argent du pétrole, le respect de l’environnement et de la « bonne gouvernance », voire en contournant les sanctions internationales, : la Chine aide le Soudan à le faire pour le Darfour et alimente les conflits d’Éthiopie et du Tchad.
« La planète vieillit, mais de manière contrastée » (Jacques Vallin, INED) donne fort commodément une pyramide des âges mondiale ainsi que celles des principaux États à différentes dates passées et futures. Malheureusement, si le texte nous annonce des pyramides aux surfaces proportionnelles aux populations, façon éclairante d’illustrer l’explosion démographique des uns, l’implosion des autres et le vieillissement de tous, cette bonne intention n’a pas été respectée à l’impression. La conclusion est un appel à l’immigration en Europe au vu de son succès pour les États-Unis.
La contribution, « l’eau, ressource vitale précaire et sans prix » (Louise Vandelac, sociologue) est essentiellement consacrée au catastrophisme écologique, les problèmes concrets (approvisionnement, qualité, distribution, assainissement, épuration) sont escamotés par la dénonciation virulente de la « marchandisation » et des grandes entreprises du métier (pourtant, comme pour le pétrole, indispensables sur le plan financier et technique). La conclusion est un appel aux investissements publics (donc étrangers, puisque est rappelée à juste titre la pauvreté des municipalités du Sud, ce qui devrait pour le moins renvoyer aux difficultés de l’aide publique au développement ; bref, si « l’eau n’a de prix », elle a un coût et sa sauvegarde ou sa gestion nécessite des compétences).

La deuxième partie, « Les grands ensembles continentaux » déclinent donc les régions et les principaux États. Je me bornerais ici, toujours pour des raisons de compétence, à quelques points sur l’Afrique et l’Asie.
La première contribution sur l’Afrique (Roland Pourtier, Paris I) verse dans l’afro-pessimisme le plus noir. La deuxième (Richard Baregas, Paris I) insiste sur la nouvelle géopolitique du continent : matières premières, migrations, rivalité États-Unis/Chine, terrain d’expérience pour l’ONU et l’APD et l’humanitaire.
L’Asie centrale et orientale (Pierre Gentelle, CNRS, et François Godement, Sciences-Po) est présentée comme d’abord géographiquement et humainement diverse, et géopolitiquement soumise au poids croissant de la Chine et à la contre-attaque d’une Inde soutenue par les États-Unis et le Japon.

La troisième partie, « Les chroniques de l’année » est par définition plus conjoncturelle, donc intéresse à priori moins les enseignants qui privilégient par nature le long terme. Dans mes domaines de compétence, j’ai remarqué « énergie et combustibles », et « entreprises transnationales », et, pour les Clionautes, le chapitre sur les NTIC.
La contribution « énergie et combustibles » (Jean-Marie Martin-Amouroux économiste) insiste à juste titre sur le frein à la production de pétrole découlant du nationalisme (et de la bureaucratisation) des pays producteurs qui écartent les compagnies internationales des meilleures zones de la planète et se privent de leurs moyens financiers et humains. Depuis quelques années, et pour 5 à 10 ans c’est ce facteur, et non l’épuisement des ressources, qui jouera le plus.Tout cela bénéficie au charbon et au gaz. Géopolitiquement, les États-Unis sont (enfin !) confrontés à une énergie relativement chère, l’Europe au poids de la Russie et l’Asie aux incertitudes moyen-orientales. Les économies d’énergie et le nucléaire sont donc spectaculairement relancés partout.
La contribution sur les « entreprises transnationales » (Charles-Albert Michallet, Dauphine) se consacre aux IDE, qui viennent de et vers la Triade (avec la grandissante exception chinoise), qui sont de plus en plus consacrés à l’immatériel et génèrent surtout des échanges internes aux entreprises. Ces dernières cherchent matières premières, réduction des coûts, accès aux nouveaux marchés et sous-traitance compétente (Chine et PECO remplissent ces trois derniers critères).
La contribution sur les NTIC (Serge Proulx et Stéphane Couture, UQUAM) met l’accent sur le sommet mondial de la société de l’information (Tunis, novembre 2005). On serait passé de l’Internet apolitique à l’Internet marchand, puis « politique » du fait de l’entrée en scène de la « société civile ». L’évocation de la fracture numérique Nord-Sud permet de signaler le projet de « l’ordinateur à 100 $ ». Les autres évolutions majeures signalées sont les progrès du « libre », des logiciels à Wikipédia, et du « sans fil », du téléphone portable au WiFi (point auquel je suis particulièrement sensible en ce qu’il permet d’équiper enfin les populations du Sud sans attendre indéfiniment que les États daignent construire des réseaux)

L’ouvrage se termine par des annexes chiffrées d’une cinquantaine de pages et un index général. Le tout est complété par le cédérom signalé. Sur le fond, la partie géopolitique m’a paru meilleure que la partie économique, pour laquelle on pourrait attendre des analyses de la nature et du fonctionnement de ces acteurs abondamment, mais abstraitement, dénoncés et cependant localement très désirés que sont les « multinationales ». On remarque par ailleurs la forte présence de la Chine.
Quant à l’usage d’un tel ouvrage, il sera intéressant de voir s’il restera « sur la table » pour répondre à des interrogations ponctuelles, dont la recherche de références précises, ou s’il sera concurrencé par la documentation disponible en ligne.

Yves Montenay