Les éditions du Cavalier Bleu ont décidément de très bonnes idées ! Après avoir lancé leur travail d’éditeur autour de la collection Les Idées reçues, elles entament une nouvelle série qui portent sur la genèse des métiers. Le premier opus est consacré au métier de géographe. Comment je suis devenu géographe paraît à quelques jours du Festival International de Géographie. Préfacé par Christian Pierret, dirigé par S. Allemand, ce volume trace le portrait de 12 illustres géographes et fait le récit de leur première rencontre avec la géographie. La lecture de cet ouvrage est incontournable pour qui s’intéresse à l’épistémologie de la géographie, notamment les étudiants qui préparent, pour l’oral, l’épreuve sur dossier du CAPES.
Sylvain Allemand est journaliste scientifique. Il a participé à de nombreux ouvrages : codirection avec François Ascher et Jacques Lévy du volume Les Sens du Mouvement. Belin / Colloque de Cerisy, 2004, La géographie contemporaine, 2005, Les paradoxes du développement durable, 2007
La brochette de géographes retenue par Sylvain Allemand réunit beaucoup d’hommes, dont certains en fin de carrière : Bailly, Berque, Brunet, Claval, Frémont, Knafou, Lévy, Pitte, Staszak. Seules trois femmes sont présentes (Pumain, Veyret), dont la benjamine du groupe Valérie Gelézeau. La parité n’est pas encore le fait de la profession ! même si Denise Pumain se défend d’avoir subi du sexisme pendant sa carrière.
Une quinzaine de pages est consacrée à chaque géographe. Chaque chapitre s’organise de la même façon.
La vocation et le cursus
Sur le ton de la confidence, chacun livre sa rencontre avec la géographie. Pour certains, la fréquentation de la géographie a commencé dès l’enfance par le biais des romans d’aventure ou d’adultes passionnés de voyages ou de géographie. Pour d’autres, la vocation n’était pas au rendez-vous et la géographie s’est imposée comme un choix par défaut. Si la plupart des auteurs ont eu un parcours scolaire exemplaire (classes préparatoires, ENS) et doivent beaucoup à la promotion républicaine, d’autres ont eu des parcours plus chaotiques. Force est de constater l’importance des rencontres dans leur vie. Tous ont des anges gardiens (entendez par là des maîtres) qui leur ont donné un coup de pouce. Ils ont ainsi pu obtenir les moyens (bien souvent financiers) de réaliser des recherches sur leur sujet de prédilection. Le rôle des professeurs du secondaire et surtout du supérieur est essentiel dans leur parcours.
L’apport à la géographie
Dans un deuxième temps, chaque auteur porte un regard sur son travail et ce qu’il a apporté à la géographie. A défaut de connaître la manière dont a été écrite ce livre (Les textes sont écrits à la première personne du singulier. S’agit-il d’interviews retravaillées par Sylvain Allemand ? ou de chapitres écrits par chacun des auteurs ?), cette partie peut s’apparenter à de l’auto – congratulation. Au-delà de cette remarque, elle permet de faire le point sur les travaux essentiels de chacun et de revenir sur les concepts clés que ces auteurs ont pu créer. Des encarts reprennent les notions essentielles : médiance, chorématique, espace vécu, système de villes, environnement… Les textes s’appuient sur des extraits ou des citations des ouvrages. Une bibliographie rapidement commentée accompagne chaque chapitre et permet de faire le point sur ce qu’il faut retenir de chacun. La lecture de ces parties sera particulièrement bénéfique aux étudiants qui préparent l’ESD au CAPES.
Regard sur la géographie actuelle
Les regards que portent les géographes sur la discipline actuellement sont assez contrastés. Pour certains, la géographie est en crise. Pour d’autres, elle ne l’est pas. Roger Brunet n’hésite pas à envoyer des piques. Il tempête contre le manque de rigueur des travaux en géopolitique, en géographie dite postmoderne (ex : géographie du « genre »). Il estime que si certains géographes pensent que les médias ne s’intéressent pas assez à eux, c’est parce que leurs discours ne sont pas intéressants. Armand Frémont trouve que la géographie est encore trop technicienne et trop lointaine du grand public. Lui aussi porte un regard sévère sur la discipline : il rend responsable de cet état de fait des géographes qui pensent avant tout à leur plan de carrière au lieu de s’attaquer à de nouveaux chantiers. Augustin Berque, comme Jacques Lévy, propose aux géographes d’aller au-delà des frontières de la géographie en croisant avec d’autres disciplines, telles que la philosophie et la sociologie. Rémy Knafou voit dans le FIG un excellent moyen de faire se rencontrer les géographes et de faire évoluer la discipline. Il regrette tout de même qu’une unité manque à l’ensemble des travaux actuellement en cours.
Ce qui ressort de la lecture de ce volume, c’est la passion de tous pour leur sujet d’étude. Ces témoignages transportent le lecteur et donne de la chair aux auteurs des livres de géographie. Toutefois, il ne faut pas oublier le caractère rétrospectif de ces témoignages. A l’épreuve du temps, les histoires se font plus belles. L’émergence des concepts se fait lisse et les difficultés rencontrées dans leur élaboration s’effacent. La difficile réception de ces travaux est malgré tout évoquée, les détournements aussi (cf. la banane bleue). De même, ces récits n’occultent pas les intrigues (ex : élection au poste de président d’université).
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