Il faut saluer l’initiative originale que constitue cette publication. Cette bande dessinée, qui est une plongée au cœur d’une discipline de terrain, expose les travaux de dix-sept chercheurs en anthropologie.

Parler autrement d’anthropologie

L’objectif est de faire connaitre cette discipline à un public plus large qu’habituellement. Il s’agit de montrer la diversité de l’anthropologie et notamment les diverses façons de l’exercer. Emmanuelle Seguin est partie d’une posture : poser les questions qu’elle imagine que le public poserait à sa place. Une carte répertorie les thèmes et les lieux des recherches exposées. A la fin de l’ouvrage, on trouve quelques lignes sur chacun des anthropologues présentés avec deux liens internet pour en savoir plus sur leurs travaux.

Simonne et Selaru

Simonne travaille sur un village isolé en Indonésie. Elle veut comprendre le fonctionnement de cette société. Il ne faut pas moins de seize heures de bateau pour parvenir jusqu’à ce territoire. Elle doit déjà convaincre les villageois de l’accepter. Peu à peu, elle découvre comment fonctionne ce microcosme. Ses travaux ont été publiés et ils montrent une société où le collectif est une valeur fondamentale.

Sébastien et les tatouages

Dans les îles Samoa, le tatouage joue un rôle très important. C’est un évènement familial mais aussi coûteux. Le tatoueur a un très haut statut. Sébastien filme pour mieux comprendre les techniques utilisées. Il devient conseiller scientifique pour une exposition et réalise également un documentaire sur le sujet.

Anne et les modistes

Le travail de cette anthropologue s’étend sur une période longue, à travers le XIX eme et XXème siècle en France. Sa recherche aborde plusieurs thèmes comme les femmes, le travail et la ville. Elle aussi voit ses travaux servir pour la réalisation d’une exposition. Sa recherche permet surtout de conserver l’empreinte de ce savoir français et de montrer l’évolution de la société sous un angle original.

Frédérique et les sans papiers

Frédérique s’intéresse aux relations familiales des personnes migrantes. Elle le fait en lien avec l’association RESF. Ses recherches permettent de s’attaquer à des idées fausses. Non, les familles sans papier ne bénéficient pas sans condition de l’aide sociale par exemple. La loi française est compliquée, changeante et son application diffère d’une préfecture à l’autre.  Frédérique accompagne les familles dans leurs démarches. Aujourd’hui, elle donne des conférences et forme des travailleurs sociaux.

Sara et les ouragans

Le point de départ, c’est la Louisiane qui a été victime de ce phénomène climatique. En discutant avec d’autres, Sara s’aperçoit que cette catastrophe a eu tendance à exacerber les stéréotypes racistes.

Marlin et les gangs

Marlin est installé dans un ghetto de New York en 2011. Il étudie les questions d’insécurité et entend parler d’un gang, les Nétas. Il cherche donc à pénétrer ce milieu et veut notamment comprendre pourquoi les membres de ce qui est considéré comme un gang ne se considèrent pas comme tels. Ce gang est en réalité né dans des circonstances bien particulières en 1980. Il s’agissait de venger l’assassinat de Carlos de La Sombra qui a lutté pour les droits des prisonniers.

Grégory et les fantômes

Grégory travaille auprès des Mongols. En fait, il étudie d’autres travaux, d’autres lieux pour comprendre le regard comparatif sur des phénomènes invisibles. Il donne à réfléchir différemment sur les relations entre les vivants et les morts.

Clara et les expulsés

Elle s’intéresse à l’impact des politiques de la France au Mali. Pour bien comprendre, elle suit leur trajet et elle compare également leur situation avec celle d’autres pays africains.

Mélanie et le zoo

Mélanie travaille au Museum national d’histoire naturelle. Elle s’intéresse à la façon dont les humains se construisent dans leurs relations aux objets matériels. L’idée est de voir le zoo comme un musée vivant. Ce lieu représente un espace pour la rencontre entre nature et culture.

Renyou et la parenté

Il étudie l’institution du mariage en Chine rurale, dans son petit village natal qui compte 1700 habitants. Il poursuit ses travaux sur la PMA et la GPA en Chine. Le Covid perturbe l’avancée de ses recherches mais, depuis 2023, le pays est de nouveau accessible. Renyou a donc ciblé trois villes chinoises et trois problématiques.

Marina et les bains douches

Marina s’intéresse d’abord au travail de l’association LALCA. Celle-ci porte un projet à dimension politique, scientifique et artistique autour des derniers bains douches de Lyon. Elle se focalise sur les usagers. Elle explore des dimensions comme les sons, les odeurs ou encore les objets apportés par ceux qui fréquentent ce lieu. Il faut prendre en compte le bien-être et l’intimité des personnes : ce n’est pas juste une question de propreté. Tenant compte de la recherche menée, la municipalité a repensé l’aménagement de l’établissement.

Adeline et maitre Feng

Le taoïsme a été interdit en Chine à l’époque de Mao. Adeline commence son enquête en 2013 et elle comprend très vite qu’un personnage pourra l’aider, si elle le retrouve : il s’agit de maitre Feng. Elle réussit à le retrouver et le suit dans ses actions. Il entame la reconstruction des temples mais continue également à recevoir les fidèles en consultation. Afin de mieux diffuser les principes du taoïsme, il réécrit les livres des rituels détruits lors de la Révolution culturelle.

Thomas et les aventurières de la nuit

Thomas cherche à mieux comprendre le monde de la nuit à Dakar, et particulièrement la place qu’occupent les jeunes femmes. Il a beaucoup de mal au départ à mener sa recherche car il est blanc, ce qui ne facilite pas le contact. De plus, il est pris par certaines filles comme quelqu’un qui est là pour les séduire. Peu à peu, des liens se créent.

Nicolas et le sacré bazar

C’est une étrange histoire que celle de Nicolas. En effet, ce qui est devenu l’objet de sa recherche l’a énervé au départ au plus haut point. Il s’agit de la musique des Mohoriya. La rencontre avec Bursu, musicien, lui a totalement fait changer d’avis. Ce dernier distingue les « musiquants » et les « musiqués » : ceux qui appellent les divinités et ceux qui les reçoivent. Nicolas comprend au fur et à mesure qu’il n’y a pas de catégories fixes de divinités mais plutôt des dynamiques musicales dans ce panthéon qui prend forme au moment de la fête.

Vincent et le démiurge

En 1999, Vincent part en Amazonie bolivienne à la rencontre des communautés Yurakaré. Il souhaite étudier les récits à travers lesquels ils se remémorent leur origine mythique. Pour cela, il devra, comme d’autres dans cet album, passer du temps auprès des communautés pour être un minimum intégré.

Muriel et les enfants de la rue

L’enquête a lieu à Ouagadougou et porte sur les jeunes hommes qui dorment dans la rue. Ils se nomment eux-mêmes bakoroman. Ils ne représentent pas un objet d’étude facile. Les entretiens sont parfois cahotiques au début. Les circonstances font que Muriel a l’occasion d’interroger l’un d’eux à plusieurs années d’intervalle. Elle mesure alors les changements de récits de vie. Elle va même jusqu’à jouer l’intermédiaire entre un jeune, Léon, et sa mère. Les récits de Léon viennent rappeler à la chercheuse que toute parole n’a pas vocation à énoncer une vérité.

Emma et la guerre des pigeons 

Emma s’intéresse aux pigeons après avoir croisé un photographe spécialisé sur les lieux où elle-même enquêtait, au Liban. La danse des pigeons est orchestrée par le kashshash ou mauvais garçons. Ceux-ci sont dépositaires, à leur façon, d’un savoir ornithologique impressionnant. L’affaire prend ensuite un tour politique. Des réseaux sont créés entre kashshashs. Les pigeons cristallisent les jeux de pouvoir du bidonville.

Au total, cette bande dessinée offre en moins de cent pages une découverte de la vitalité de l’anthropologie. Les sujets sont par ailleurs variés même si certaines thématiques apparaissent comme récurrentes. C’est en tout cas une très belle idée qui pourrait appeler un volume deux avec plaisir.