Si pendant longtemps, le terme de mobilité s’appliquait surtout à la mobilité sociale, force est de constater que le terme a aujourd’hui des acceptations beaucoup plus larges. Etre mobile ne signifie pas seulement bouger. Le terme englobe la capacité à se repérer, à déchiffrer une signalétique, à maîtriser différents systèmes de transports (multimodalité) et être capable de s’adapter rapidement à une situation hors norme. La mobilité, ça s’apprend ! « On ne naît pas mobile, on le devient ». La famille, l’école, l’entourage jouent un rôle important dans cet apprentissage. A défaut, l’absence de mobilité est souvent synonyme d’exclusion sociale. C’est pour répondre aux besoins d’une association d’insertion professionnelle que la RATP a proposé les premiers ateliers de mobilité à des jeunes. Devenir mobile permet d’élargir son champ de recherche d’emploi ou de stage.
Sylvain Allemand, journaliste, présente en 140 pages ce travail réalisé par la RAPT et l’état de la recherche et des réflexions sur le sujet. Le texte est essentiellement composé d’interviews, parfois redondantes, d’acteurs (responsables RATP, chargés de projet) et de chercheurs (sociologues, urbanistes…).
Les premiers ateliers mobilité ont été mis en place dans le cadre du travail de recherche en géographie de Mike Rackelboom. Ce thésard a réalisé ce travail dans le cadre d’une convention CIFRE signée avec la RATP sur le thème de la politique de la ville. Depuis les années 1980, la RATP a mis en place une politique de communication pour régler les problèmes de violence dans les transports en commun (organisation de matches de football, opération de sensibilisation dans les écoles…). Jeune enseignante au milieu des années 1990, dans l’académie de Paris, j’avais alors participé à une opération organisée par la RATP auprès des classes de 6°, procédé qui s’apparentait aux actuels ateliers mobilité. Il s’agissait, à partir d’un plan de métro, de faire élaborer par les élèves les différents parcours pour se rendre d’un point à un autre. Cette initiative faisait partie des prémices des ateliers actuels de la RATP.
L’évolution de ces ateliers est révélatrice du changement de paradigme opéré dans les années 1990 avec le passage du terme transports à celui de mobilité. La géographie des transports appréhende les individus de manière indifférente alors que la mobilité reconnaît leurs spécificités et rejoint la notion de territoire. La mobilité permet de s’approprier le territoire. Elle met l’individu au cœur des préoccupations. C’est ce que font les ateliers mobilité. Ils permettent à la fois de répondre à un besoin de se déplacer mais peuvent aussi permettre de régler des problèmes comportementaux dans les transports publics. Un jeune qui ne sait pas se repérer dans l’espace et ne connaît pas les codes pour user des transports en commun, se déplace seulement en bande. La bande lui permet de faire son apprentissage de la mobilité mais elle est aussi facteur d’exclusion. En mettant la musique très fort, en parlant très fort, les membres de la bande font le vide autour d’eux dans une rame de métro. Se déplacer en bande rassure. Faire la même chose seul est une autre affaire pour un jeune de quartier en difficulté. L’atelier est là pour le mettre en situation (même si la mise en pratique sur le terrain ne se fait pas pendant l’atelier) et lui faire connaître les règles de fonctionnement (tarification, usage d’un distributeur automatique, informations sur les cartes de réduction et d’abonnement, présentation des métiers de la RATP et des systèmes de transport…). Un diplôme est délivré aux participants (ils peuvent le mentionner dans leur CV).
Ces ateliers comme les classes mobilités sont basées sur la notion de capatibilité (d’Amartya Sen, Prix Nobel d’économie), c’est-à-dire sur la possibilité d’être libre de ses choix. La mobilité est une valeur centrale de l’hypermodernité selon François Ascher (Les Sens du mouvement). Les sociologues (Vincent Kaufmann. Mobilités, fluidité…libertés ? 2004 ; Eric Le Breton. Bouger pour s’en sortir. 2005) parle de capital de mobilité. On entend par là les savoirs accumulés au fil du temps, à partir de nos observations, de nos expériences de nos déplacements dans les transports. Le milieu social est souvent un facteur explicatif des inégalités face à la mobilité.
Aujourd’hui, plus qu’avant encore, les réseaux de transport sont de plus en plus complexes. Pour JP Orfeuil, les injonctions de mobilités sont de plus en plus fortes. On assiste à une fragmentation des lieux de vie, de loisirs et de travail. Les jeunes en situation d’insertion ne sont pas les seuls concernés par ce besoin d’apprendre la mobilité. D’autres publics cibles auraient besoin de ces ateliers : les seniors, les touristes, pour n’en citer que quelques-uns. Le fait que la RATP intervienne sur la demande d’associations limite le public touché. La mise en place des Velib’ a toutefois permis d’assister à un phénomène nouveau : l’autoformation. Naturellement, les cyclistes en quête d’une monture s’entraident et ont même élaboré un code pour signaler les machines défectueuses aux autres (selle retournée, par exemple). Ce phénomène est très marginal dans l’usage des transports en commun.
Les ateliers mobilité de la RATP ont reçu le prix 2006 de l’UITP (Union Internationale des Transports Publics). Les agents qui animent ces ateliers estiment que c’est une expérience enrichissante pour eux. Ils mettent ensuite cette pédagogie au service des usagers au quotidien. C’est une manière aussi de valoriser le métier de contrôleur.
Les interviews de la seconde partie de l’ouvrage permettent de faire connaissance avec le think tank : IVM (Institut pour la Ville en Mouvement), créé à l’initiative de PSA en 2000. Dans ce groupe de réflexion, François Ascher, président du comité scientifique et d’orientation revendique un droit à la mobilité car elle est l’une des caractéristiques de nos sociétés modernes. IVM apporte des solutions aux entreprises, aux collectivités territoriales dans le domaine des mobilités : auto-écoles dites sociales (pour les illettrés), prêt de véhicules, apprentissage de lecture de plan, transport à la demande, charte des mobilités (disponible sur le site de l’IVM). Un site à parcourir dans tous les sens, c’est une mine !
La lecture de l’interview de Marie-Axelle Granité, intitulée Les enseignements de l’éducation à la sécurité routière, est recommandée à tous les professeurs chargés de l’ASSR, en classe de 5°, notamment. L’approche de cette docteure en psychologie du développement est résolument différente de celle pratiquée dans les classes, le plus souvent. Comme l’explique Olivier Houdé, titulaire de la chaire de « Sciences des apprentissages » à l’Institut Universitaire de France, il faut privilégier la manière d’apprendre qu’il désigne sous le terme le contrôle par l’inhibition (type d’apprentissage qui fait appel à l’imagination, à la capacité à changer de stratégie de raisonnement en inhibant les automatismes habituels) plutôt que l’automatisation par la pratique (connaissances générales apprises par la répétition, la mémorisation : l’intelligence cristallisée par la culture). Concrètement, pour l’apprentissage du code de la route, cela passe par des situations d’apprentissage, in situ, en petits groupes directement sur le terrain où les élèves sont les acteurs de leur apprentissage. Réalisable pour des parents avec leurs enfants mais moins facile à mettre en place avec des classes de 25 à 30 élèves !
Au final, un ouvrage d’une lecture aisée qui apporte beaucoup d’idées que l’on pourrait mettre en œuvre dans les classes sans avoir besoin de faire nécessairement venir un agent des transports en commun locaux.
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