Avec Arale, Tristan Roulot et Denis Rodier nous proposent une uchronie. L’intrigue se situe en novembre 1934, comme cela est indiqué, mais assez peu d’indices permettent en réalité de nous guider : les connaissances que l’on peut avoir de l’époque ne nous serviront pas à grand chose. On est en Russie, et non en URSS ; la révolution de 1917 a en effet été écrasée et ses fomenteurs exécutés au terme d’une guerre civile qui a laissé le pays exsangue. Le tsar est donc resté sur son trône, mais la Russie doit faire face à la pression d’autres pays (États-Unis…) sur les frontières et des contestations internes : le pays est en proie aux complots ; Raspoutine a échappé à la mort, et occupe l’arrière-plan du pouvoir ; la population étouffe sous le poids de la tyrannie.
L’album s’ouvre d’ailleurs sur un attentat : le carrosse impérial est complètement détruit par un explosif, et ses occupants tués. En réalité, le tsar a acquis une dimension immortelle.
Kyril Noskov, héros de la guerre contre l’étranger, est appelé à intervenir pour la survie de la dynastie. Il se trouve en même temps confronté à son passé.

Hormis la présence de deux personnages (Raspoutine et Nicolas II), le récit déstabilise par le bouleversement des repères historiques : c’est le propre des uchronies et ce qui en fait l’intérêt. Pour le reste, la fiction nous emmène dans le domaine du fantastique, où l’on croise manipulateurs, mages noirs, scientifiques fous, machines de guerre hors de tout temps, etc. L’atmosphère rappelle certains traits du roman d’anticipation de George Orwell, 1984, par la place accordée aux savants, le contexte de guerre permanente. On retrouve ces éléments dans la dystopie de Ievgueni Zamiatine, Nous autres, publiée en 1920. Le récit est extrêmement bien mené, et donne à réfléchir sur les apparences du pouvoir. Il s’appuie en outre sur des illustrations très soignées. Tout contribue à faire d’Arale une réussite.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes