Archéologie internationale d’un épisode exceptionnel
Voici un ouvrage qui manifeste une fois de plus la vitalité et l’intérêt de l’archéologie. Il commence d’ailleurs par préciser comment l’archéologie en est venue à s’intéresser à la Seconde Guerre mondiale, et de façon plus précise ici au débarquement. Rappelons qu’il s’agit de la plus grande opération militaire amphibie de tous les temps avec le débarquement, sur un temps long, de 3 millions de soldats alliés et plus de 10 000 morts le premier jour. La prise de conscience autour d’un tel sujet s’est effectuée assez récemment avec une accélération depuis la fin des années 90. Les commémorations, et particulièrement le 60 ème anniversaire, ont joué également un rôle essentiel. C’est aussi une archéologie qui se mène à l’échelle internationale autour du thème plus général des conflits du XX ème siècle, et où beaucoup reste à faire. Les auteurs soulignent que parmi les défis à relever il y a le fait d’éviter les pillages. On découvre par exemple que certains n’ont pas hésité à voler un camion amphibie restauré.
Archéologie du mur de l’Atlantique
Les auteurs soulignent d’abord la nécessité de préciser le vocabulaire. Le mur de l’Atlantique ce n’est pas moins de 12 000 bunkers. Ce patrimoine a longtemps été négligé et est aujourd’hui menacé. On aboutit à un réel paradoxe avec ce patrimoine massif, et pourtant fragile. Le livre s’intéresse ensuite aux différents obstacles de la plage. Un schéma les présente brièvement page 42. A la page suivante, les auteurs remarquent d’ailleurs qu’on a là des fouilles prometteuses. Deux cas sont développés avec par exemple un descriptif de ce qui a déjà été mis au jour à proximité de Cherbourg. Au fur et à mesure du chapitre, on avance vers des thèmes toujours plus novateurs. Ainsi, à la page 47, on découvre un étonnant montage avec le contour d’une arme et des photographies des différentes parties retrouvées. Il reste là aussi beaucoup à faire comme s’intéresser aux inscriptions et peintures murales de l’époque.
Les traces archéologiques du jour J
Vincent Carpentier et Cyril Marcigny présentent page 55 les cinq plages majeures et proposent un focus sur la pointe du Hoc. Près de 18 000 tonnes de bombes sont larguées par les Alliés sur les terres normandes. Le livre évoque ensuite l’archéologie subaquatique avec 20 000 épaves recensées au large des côtes françaises sur lesquelles pèse la menace du pillage. Cette thématique est en vogue comme le montrent des opérations médiatiques telles que celles évoquées dans le magazine Thalassa et dans un livre récent. Un encart est d’ailleurs consacré aux fouilleurs d’épaves. On en apprend sans cesse avec le cas de la « mémoire du sable » qui fait qu’un chercheur arrive à reconstituer, et à localiser, les épicentres d’explosion en analysant le sable actuel. Les archéologues se trouvent aussi confrontés à des questions plus philosophiques, comme lorsque la carcasse d’un chasseur recouvrait la dépouille d’un pilote. Elle a rejoint ensuite un cimetière militaire.
Installations logistiques et de combat ou la guerre vue par les archéologues
Dans ce chapitre, les auteurs abordent l’exemple des trous d’hommes. Il faut envisager cela au pluriel, car ils variaient selon la durée, la fréquentation ou encore la nature du sol. On découvre un exemple détaillé d’abri souterrain. Si on change de format, on voit ensuite le cas des ports artificiels récemment aussi mis en exergue. On peut rappeler qu’entre le 6 juin et le terme de la bataille de Normandie, les deux ports artificiels ont vu débarquer 2,5 millions de soldats, 500 000 véhicules et 4 millions de tonnes de matériel. Parmi les autres ouvrages étonnants, un flash est consacré aux aérodromes. Pour mieux les comprendre, il est indispensable de croiser archéologie et étude des archives photographiques. Le chapitre se conclut par une étude sur les rampes de lancement V 1 installées en Normandie et qui envoyèrent 70 missiles par jour sur Londres.
Civils sous les bombes
Dans le cadre du chapitre sur la guerre au XXème siècle, cette partie pourra se révéler particulièrement utile. Il faut rappeler qu’en Normandie ce sont plus de 50 000 civils qui périrent sous les bombes dont 5 000 entre le 5 et le 11 septembre. Les civils ont développé des techniques pour se protéger comme des refuges. L’archéologie conduit aussi à s’interroger sur le décalage qui peut exister entre la présence d’un souvenir dans la mémoire locale, en l’occurrence un bombardement, et le peu de document dans les sources écrites ou iconographiques. Plusieurs passages sont consacrés à la question des corps. N’oublions pas que 10 à 15 % des soldats tombés en France entre 39 et 45 sont non-identifiés. On réfléchit aujourd’hui à l’utilisation de l’ADN pour l’identification des victimes. Dans ce chapitre aussi, on découvre de nouveaux chantiers possibles comme l’étude des camps de prisonniers d’après-guerre.
En conclusion, Vincent Carpentier et Cyril Marcigny envisagent la question de la reconstruction avec l’exemple étonnant des églises. Cet ouvrage propose donc à la fois une synthèse éclairante sur l’apport de l’archéologie à la compréhension de la Seconde guerre mondiale, mais aussi dresse un panorama des défis et des chantiers. Un événement si proche dans le temps n’en est pas moins exposé au risque de voir disparaître des traces. Cependant, il faudra aussi inventer une façon de conserver de tels ouvrages si imposants. Un ouvrage à lire qui fournira de nombreux éclairages novateurs.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.