Dans la collection « Résistance-Liberté-Mémoire », les éditions du Félin ont entrepris depuis longtemps de rééditer des ouvrages écrits par des résistantes et résistants et devenus introuvables ou presque. Ils le font avec l’association Liberté-Mémoire, fondée par de « grands » résistants, aujourd’hui décédés, et présidée par Laurence Thibault, entourée de plusieurs historiens, Jean-Pierre Azéma, Charles-Louis Foulon, Fabrice Grenard et Bruno Leroux (respectivement actuel et ancien directeur scientifique de la Fondation de la Résistance), Vladimir Trouplin (conservateur du musée de l’Ordre de la Libération), et de l’historienne et conservatrice générale Christine Lévisse-Touzé. Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication aux éditions Alain Barthélémy en 2002. Un appareil critique de qualité lui donne aujourd’hui bien plus d’intérêt.

Un document tout à fait singulier, par sa forme, son contenu et son auteur                                                       

Le texte est la transcription d’un long enregistrement (17 heures de propos en français dictés pendant neuf mois à partir du 1er septembre 2000) de ses souvenirs de guerre par Gustavo Camerini, transcription qui respecte le cheminement de la mémoire de l’auteur soixante ans après les événements et en conserve le style oral, ce qui lui procure l’authenticité, l’immédiateté, et donc la force du témoignage. Le parcours militaire au sein de la France libre de Gustavo Camerini est tout à fait remarquable et complet : de l’expédition de Norvège en 1939 (donc avant son engagement dans la France libre) à la campagne d’Italie en 1944, en passant par l’Afrique, le Proche Orient, Bir-Hakeim, El Alamein, et la Tunisie. Le personnage lui-même est aussi étonnant qu’attachant, « un parfait anti-héros » comme l’écrit Julien Toureille.

Comme je l’avais écrit lors de la parution d’un précédent ouvrage dans la même collection, dont l’auteur fut d’ailleurs en partie acteur des mêmes événements, ce livre est rendu accessible et profitable grâce à l’excellent appareil critique dont Julien Toureille est l’auteur. Le lecteur dispose d’un index, d’une bibliographie, d’un ensemble de biographies et de notes. Les notes de bas de page toujours très précises, sont nombreuses et indispensables, à la fois pour expliquer les allusions de l’auteur, rectifier ses confusions chronologiques quand elles se produisent, préciser les dates, les identités, les lieux, les événements, les biographies, les unités militaires. A ces notes s’ajoutent des introductions partielles, au niveau du chapitre ou du paragraphe, qui informe le lecteur du contexte militaire local et global, et qui lui permettent de se consacrer totalement aux aventures du « héros ». On a donc le plaisir de lire un récit vivant, parfois amusant, souvent dramatique ou étonnant, tout en étant aussi remarquablement informé sur les opérations militaires des unités de la France libre, leur impact réel, leur bilan humain.

Rupture volontaire et radicale avec la dolce vita

Né en 1907 à Alexandrie, avec pour père un banquier italien d’origine juive établi en Egypte, Gustavo Camerini passe son enfance dans un milieu aisé et cultivé, et devient avocat. Riche,  « doté d’un physique agréable », « volontiers séducteur », il mène à Milan une existence insouciante et légère, s’adonnant aux plaisirs de la vie en tout genre. Il semble s’accommoder du fascisme qui lui est « indifférent » : « Je préférai me promener avec ma Matford ou voir mes amis plutôt que me soucier de ce qui se passait dans le monde ». Brutalement, en septembre 1938, de retour de Biarritz où il a passé un agréable été, il prend conscience de l’alignement de Mussolini sur l’antisémitisme hitlérien. Juif, il est désormais menacé par les lois raciales promulguées le 18 septembre 1938. Sa réaction est radicale : « Ayant constaté que je ne pouvais vivre dans une situation que je considérais comme déshonorante, je décidai d’aller me battre immédiatement contre le fascisme et le nazisme, où que cela eût lieu, et quel que fut le motif pour lequel une guerre avait lieu ».

Il prend sa voiture, roule jusqu’à Paris, fait jouer ses relations pour obtenir un engagement dans les Brigades internationales, puisque c’est en Espagne qu’il peut le plus vite se battre contre le fascisme et le nazisme. Mais le gouvernement républicain dissout les Brigades le 21 septembre 1938. Il reste à Paris, fréquente le milieu antifasciste, mais aussi le salon de Marthe de Chambrun, princesse Rispoli, dont le père, sénateur, le fait admettre sous-lieutenant dans la Légion. « Je me fis faire immédiatement un bel uniforme », sur mesure, chez un grand couturier de la rue Royale. Il fait ses adieux à sa famille, prend le train, et arrive au camp de Valbonne où se constitue un régiment à partir de volontaires étrangers et de réservistes de la Légion.

Il parvient à intégrer une unité combattante de la Légion étrangère, la nouvelle 13e demi-brigade de marche des volontaires de la Légion étrangère (13e DBLE) commandée par le colonel Magrin-Vernerey (qui prendra le pseudonyme de Monclar), créée pour rejoindre le corps expéditionnaire franco-britannique qui devait intervenir en Finlande, et rattachée à la 1re Division de chasseurs commandée par le général Béthouart. Le départ a lieu le 23 avril 1940, pour la Norvège et non plus pour la Finlande, compte-tenu de l’évolution des opérations. Pendant quatre ans, sous-lieutenant puis lieutenant, il sera de tous les combats de la France libre jusqu’au printemps 1944. Quand on le retire des champs de bataille, contre sa volonté, il est tout juste capitaine, il compte trois blessures, quatre citations, et est devenu compagnon de la Libération.

En première ligne sur tous les champs de bataille

Le parcours géographique et militaire est impressionnant, les combats nombreux et violents, la mort des compagnons de combat quasiment journalière. Mais le personnage n’est vraiment pas du genre à se vanter, pas même du genre à parler beaucoup de lui. Il raconte, il observe, il fait la guerre, contre des Français trop souvent à son gré, contre ses compatriotes italiens qui ont eu la bêtise de suive Mussolini, « un troupeau de brebis se laissant traîner par un fou qui devait être le malheur de l’Italie », contre les Allemands enfin. Aucune haine n’est perceptible. Il se bat contre le fascisme et le nazisme, pour la victoire.

La campagne de Norvège

Il combat d’abord en mai 1940 pour la reconquête de Narvik, « Là je commençai à voir la guerre, la vraie guerre ». En première ligne, à la tête du groupement des éclaireurs-skieurs, il continue son apprentissage de la guerre au cours de plusieurs missions dangereuses. En quelques semaines, il a déjà gagné une citation à l’ordre du corps d’armée. La débâcle de l’armée française impose le retour en France, bien que la campagne de trois mois en Norvège se soit soldée par une victoire. Il est d’abord question de consolider un réduit breton, mais la poussée de la Wehrmacht impose vite d’y renoncer. Il faut évacuer vers l’Angleterre, après avoir vécu le terrible bombardement de Brest.

L’engagement dans la France libre

Sur le bateau, il apprend la déclaration de guerre de l’Italie à la France. Il est effondré. A son arrivée, le 21 juin, il apprend la demande d’armistice et l’appel à la résistance depuis Londres d’un général inconnu. Il faut choisir. Il nous raconte les hésitations de beaucoup de ses camarades, déplore sans le juger trop durement le choix de beaucoup de rentrer en France. Pour lui, la question ne se pose même pas : plus que jamais décidé à combattre le fascisme et le nazisme, il se rallie au général de Gaulle « Là où on se battait contre l’Allemand et contre le fasciste, moi, j’étais disponible ». Mais ce n’est pas parce qu’il est fasciné par le général ! En effet, il est venu à leur rencontre près de Liverpool pour leur proposer de continuer le combat sous ses ordres, et il ne lui fait pas bonne impression ! « J’avoue honnêtement que sa tête ne me plut pas. C’était une tête très française, si je peux dire, mais un peu, comment m’expliquer, un peu Action française (…) J’avais la conviction qu’il n’avait aucune envie de m’avoir sous ses ordres. Un italien, vous comprenez, un ennemi par-dessus le marché, ça ne devait pas lui faire plaisir ». Le colonel fait à De Gaulle les louanges de Camerini, de sa conduite en Norvège. « Le général de Gaulle ne dit pas un mot. Nous nous serrâmes la main. Terminé. J étais engagé par les Forces françaises libres ». Afin d’éviter à ses proches d’éventuelles représailles, il choisit le pseudonyme de Clarence.

Devant Dakar, au Gabon, vers l’Erythrée

Le 31 août 1940, une force alliée composée d’un peu plus de 6 500 soldats, dont ceux de la 13e DBLE quitte Liverpool, pour rallier Dakar à la France libre et en faire sa capitale. L’échec de l’expédition les conduit au Cameroun et à participer à la libération du Gabon début novembre. « De cette succession d’événements qui, à défaut de lui permettre de combattre contre le fascisme, le plonge dans les luttes franco-françaises nées de la défaite, Gustavo Camerini tire un récit distancié sur l’action décisive des chefs et ses conséquences sur le moral de la troupe. »

La campagne d’Erythrée

Après un mois d’entrainement à Douala, les 1500 soldats qui composent la Brigade française d’Orient (BFO), au sein de laquelle la 13e DBLE est désormais intégrée, s’embarquent pour Port-Soudan, où ils arrivent le 15 février 1941, via Freetown et Durban. L’offensive a pour objectif de sécuriser l’accès au canal de Suez, en venant à bout des 300 000 Italiens stationnés dans la région : Gustavo Camerini se retrouve cette fois face à ses compatriotes. La BFO se voit confier le 12 mars 1941 une mission de diversion au nord d’Asmara pour appuyer l’assaut principal à l’ouest, prévu trois jours plus tard. Gustavo Camerini et ses hommes se battent dans le massif de l’Enghiahat. Les pertes sont lourdes (19 morts et 70 blessés) ; Gustavo Camerini est blessé à l’épaule et échappe de peu à l’amputation du bras. Mais l’offensive est victorieuse, Massaoua occupée,  550 officiers et 6000 soldats italiens capturés, et notre « héros » passe dix jours de soins et de convalescence dans un couvent tenu par des religieuses italiennes.

La campagne de Syrie

La 13e DBLE rejoint le camp de Qastina en Palestine en vue de participer à la campagne de Syrie, territoire alors tenu pas le gouvernement de Vichy et susceptible d’être utilisé par les Allemands. Gustavo Camerini et son unité parviennent, après une offensive d’une dizaine de jours et de courts mais intenses combats, dûs à la résistance acharnée des 35 000 soldats du général Dentz, à entrer dans Damas. « C’était vraiment de la guerre civile, ce n’était pas de la guerre normale. » Après un temps de repos, ils sont envoyés en mission de surveillance dans le nord-est du pays, avant de stationner à Homs pour préparer le départ vers le Western Desert. Cette appellation anglo-saxonne est utilisée dans le livre pour qualifier le désert occidental d’Égypte, une région du Sahara qui s’étend à l’ouest du Nil, jusqu’à la frontière libyenne, et au sud de la mer Méditerranée jusqu’à la frontière avec le Soudan.

La défense de l’Egypte

Le 10 décembre 1941, les forces FFL stationnées en Syrie et au Liban font mouvement vers l’Egypte. Les légionnaires de la 13e DBLE, au sein de la 1re Brigade française libre (BFL), doivent désormais aider à contrer une nouvelle offensive italo-allemande dont l’objectif final est la prise de contrôle du canal de Suez. La première mission est la défense de Bir Hakeim. Pendant trois mois et demi, de février à mai, Gustavo Camerini et ses hommes s’emploient à fortifier la position, à creuser des trous pour enterrer les hommes car il n’y a rien d’autres qui le permette, à installer un champ de mines. Les chars italiens attaquent le 27 mai 1942. La demi-brigade est commandée par le lieutenant-colonel Amilkavari, auquel Gustavo Came

Avec Gustavo Camerini, nous vivons la bataille de Bir Hakeim au niveau des combattants, les terribles et continuels bombardements, les hommes enfoncés dans les trous, les blessures et les morts, la camaraderie. Les notes nous permettent de comprendre la bataille dans son contexte. On se souvient avoir lu un autre récit, celui du médecin, , qui était au même endroit, au même moment. Gustavo Camerini nous fait lui aussi le récit très vivant de la sortie de vive force. Chef de la section de tête, il sort de Bir Hakeim devant ses hommes dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, à travers les lignes ennemies, par le seul chemin déminé

Après un temps de repos, l’unité est envoyée au sud du front pour briser les lignes ennemies solidement installées autour du piton de l’Heimeimat. L’offensive mal préparée se solde par des pertes importantes, dont le très apprécié lieutenant-colonel Amilakvari, ami de Koenig.

Vers la Tunisie et la campagne d’Italie

La 13e DBLE est stationnée sur la côte libyenne, le temps de procéder à la création de la première division française libre (DFL). Gustavo Camerini participe en son sein aux ultimes combats pour la libération de la Tunisie. Un accident de voiture le conduit de nouveau à l’hôpital. Le 3 juin 1943, De Gaulle signe le décret qui le fait compagnon de la Libération.

Ses souvenirs de la campagne d’Italie sont curieusement les plus flous. Julien Toureille guide le lecteur et identifie les combats de Liri puis sur le Leucio. Durant cette campagne, il fait connaissance avec les terrifiantes « orgues de Staline », un lance-roquettes multiple. Il supporte deux blessures, une à la nuque, et une plus grave à la jambe qui nécessite une opération immédiate, sans anesthésie. Puis c’est l’entrée dans Rome, sous les applaudissements de la foule. Et le dernier combat, devant Radicofani, aux portes de la Toscane où « la conquête stratégique par Gustavo Camerini et ses hommes de la colline 645 située à gauche du village, quand la 3e compagnie nord-africaine échoue dans le même temps à un débordement sur sa droite, participe grandement à la prise du village le lendemain, 18 juin. »

Gustavo Camerini apprend coup sur coup sa future nomination au grade de capitaine et son détachement immédiat auprès de l’ambassade de France à Rome. Il est furieux, et triste quand il comprend que nul ne peut revenir sur cette décision, dont il soupçonne qu’elle ait été prise en très haut lieu, afin de soustraire un maximum d’étrangers à la Légion avant qu’elle n’arrive en France. Il n’y a malheureusement pas de note qui commente, infirme ou confirme cette supposition.

Le récit vivant et chaleureux d’un « anti héros »

Le texte que signe Gustavo Camerini n’est pas un simple récit de ses batailles. On a plaisir à lire des portraits de camarades, des récits d’aventures un peu décalées, des réflexions et observations qui sont celles d’un homme cultivé et distancié. Un personnage sympathique et curieux.

La mort toujours présente

Un soir de mai 1940 devant Narvik « On enterra les morts. C’était mon premier enterrement de guerre, et oh ! Combien j’en verrai encore (…) C’était sinistre, et c’était triste, et pour la première fois, en revenant de l’enterrement nous nous regardâmes vaguement, comme nous le ferions toujours par la suite ». Le récit n’est pas pour autant sinistre. La mort est intégrée et les sentiments peu exprimés.

Une scène très forte est celle du général Koenig, face à son chagrin, au soir de la mort de son ami, le lieutenant-colonel Amilakvari. « Il y avait un homme seul, assis ; l’homme avait la tête entre les genoux, je n’exagère pas, immobile. Silence, on n’entendait rien, même les tirs d’artillerie ennemis avaient presque cessé. La nuit venait, et l’homme était là. Cet homme, c’était le général Koenig, silencieux. Je m’approche. Nous étions seuls, il n’y avait personne, personne  que cet homme assis, assis par terre et la tête entre les genoux. Jamais vu une chose pareille (…) Qu’est-ce-que je pouvais faire, moi ? Je m’assieds à côté de lui, et puis, silence. Silence. »

Un  « anti héros » bien sympathique

Le personnage ne manque pas d’humour et semble même souvent assez dilettante, ce qui est un tour de force dans cet environnement guerrier. S’il a choisi le pseudonyme de Clarence, c’est en référence au duc de Clarence, figure historique du Moyen Age anglais, que le roi avait condamné à mort en le laissant choisir son mode d’exécution. Il avait alors opté pour la noyade dans un tonneau de son vin préféré : « Je trouvais cette figure très amusante et elle me plaisait ». Une bouteille de whisky n’est jamais très éloignée de lui, ce qui n’est pas une particularité parmi les officiers. Les parties de baccara sont fréquentes ainsi que les bon repas quand c’est possible. Il tient beaucoup à son confort et trouve toujours le moyen de l’améliorer quand il s’agit de stationner. On ajoutera qu’il est assez cultivé et qu’il y a dans sa cantine plusieurs ouvrages de littérature contemporaine.

Mais le plus étonnant, c’est sa pratique de la guerre à temps partiel. Il est de toutes les batailles, il fait preuve d’un courage qui lui semble naturel, il passe toujours le premier, ses hommes l’apprécient. Mais quand la bataille est finie, quand les hommes doivent gagner un camp, reconstituer une unité, se déplacer, se reposer, il prend le large. Avec l’évidente complicité de ses supérieurs, il disparait pour quelques jours ou quelques semaines, trouvant toujours un prétexte de départ. Il gagne alors une grande ville, Alexandrie, Beyrouth, Alep… et s’installe dans un hôtel de luxe. Rappelons qu’il est riche. Il prend alors du bon temps, c’est le retour de la dolce vita. A l’hôtel Saint-Georges de Beyrouth, il y a une « merveilleuse Indochinoise » ; dans un hôtel d’Alep il rencontre « une jeune fille très aimable » avec laquelle il fait du tourisme ; au Mena House du Caire, il « recevait de temps en temps quelques visites sympathiques », dont celle d’une « charmante jeune femme d’Egypte qui avait bien voulu consoler, comme on dit, le repos du guerrier. »  Mais il veille toujours à être informé de la situation militaire, et quand il comprend que son unité va de nouveau être engagée, il repart très vite et réapparaît auprès de ses hommes. Une fois il abandonne pour aller au combat un poste auquel il avait été affecté, qui était proche d’un grand hôtel, et qui l’ennuyait. Son colonel l’accuse de désertion « vers l’avant », ce qui n’est pas banal. Arrivé dans on unité il croise le général Koenig, qui l’absout avec le sourire !

Le revers de la médaille est la stagnation dans le grade ; en effet il n’aurait pas été possible à un officier de grade supérieur de quitter ainsi son unité par intermittence. « Ce n’était pas très militaire, je tiens à l’avouer, mais j’étais seulement un officier de passage, un peu amateur, si on veut ».

De toute évidence les chefs le considèrent comme un homme de qualité, un homme sur lequel on peut compter. A plusieurs reprises il se voit confier des missions particulières dont il nous fait le récit. Ainsi, au cours de l’été 1943, est-il désigné pour acheminer dans un train spécial, la nouvelle monnaie du nouvel Etat indépendant du Liban, contenue dans une douzaine de grosses caisses. Quand il arrive à Tunis, on le charge d’une mission spéciale en Italie où il doit remettre des documents du général Montgomery.

Des récits plaisants

Certains récits sont originaux, marquants, amusants, décalés. Ainsi du séjour chez les religieuses italiennes de Massaoua ; ainsi de ses réflexions en arrivant au bord du Jourdain : « Nous traversâmes une sorte de rivière, de petit cours d’eau, de ruisseau plutôt, et on nous dit : « Ce ruisseau-là, c’est le Jourdain. – Tiens, le fameux ? Celui de la Bible ? » Enfin, oui, ça n’en avait pas du tout l’air. » Et son étonnement devant les « scènes bibliques » dont il est le témoin en Transjordanie : « Ces troupeaux, ce désert, et, surtout, les bergers arabes qui les conduisaient. C’était la Bible, c’était un spectacle d’il y a trois mille, quatre mille ans qui se déroulait devant nous. » ; ainsi du récit de son repos à Damas entre la maison des fous et la maison des lépreux ; ainsi du stupide (il en convient) concours de boisson avec des officiers australiens qui le voit s’effondrer ivre mort, et se réveiller avec « une formidable jaunisse. Mon foie était, je crois, près d’éclater et je passai plus d’un mois à l’hôpital de Beyrouth » ; ainsi du récit d’une séance chez une voyante à Alep ; ou de celui qu’il fait quand il s’est perdu dans le désert en mai 1942.

Et le titre de cet ouvrage pourra-t-on se demander ? On en trouve l’explication à la page 166. Un homme est mortellement blessé quand passe en voiture un aumônier d’un autre bataillon. On lui crie de s’arrêter pour qu’il puisse donner les derniers sacrements au soldat agonisant. L’aumônier ne s’arrête pas et crie « Mon ami, cette nuit, nous monterons tous au Paradis ! Laisse passer ! » Et il continue sa route.

Le 12 octobre 1945, Gustavo Camerini quitte l’ambassade de France à Rome pour Paris, où il est démobilisé. De retour en Italie, il reprend sa profession d’avocat en droit international et sera avocat à la Cour d’appel de Milan et avocat à la Cour Suprême de cassation. Il sera aussi avocat-conseil du Consulat Général de France à Milan et Conseil de plusieurs organisations françaises en Italie. Gustavo Camerini est décédé le 26 septembre 2001 à Varese en Italie.