L’histoire de l’enseignement et de l’éducation est un champ de recherche qui se porte bien : on peut ainsi s’en faire une idée en parcourant, par exemple, le site internet du Service d’histoire de l’éducation (www.inrp.fr/she/missions.htm) et la revue Histoire de l’éducation. Ces dernières années, les éditeurs ont fourni un effort notable pour diffuser auprès d’un public non circonscrit au cercle des spécialistes une partie de la recherche dans ce domaine : ainsi les éditions Belin ont publié des travaux remarquables comme l’étude de Patrick Cabanel sur le Certificat d’études primaires (Patrick Cabanel, La République du certificat d’études, 2002) ou celle de Gilbert Nicolas, Le grand débat de l’école au XIXe siècle. Les instituteurs du Second Empire, en 2004.
A côté d’ouvrages novateurs comme ces derniers, une place est également faite à des livres spécifiquement axés sur les sources et les archives ayant contribué à fonder ou à renouveler bien des aspects de la recherche en histoire de l’enseignement et de l’éducation. C’est à cette catégorie qu’appartient le recueil introduit par Thérèse Charmasson, conservatrice en chef du patrimoine, qui avait déjà édité, en 1986, un guide du chercheur consacré à l’histoire de l’enseignement aux XIXè et XXè siècles.
Le recueil « s’ouvre » par un article de Marie-Henriette Jullien de Pommerol et Jacques Monfrin (« Les Archives des universités médiévales. Problèmes de documentation », initialement publié en 1974) : limitant leurs réflexions à 4 universités françaises (Orléans, Angers, Toulouse et Montpellier), nos auteurs relevaient l’ «étonnante pauvreté » des inventaires des universités, et s’inquiétaient de ce que des « fonds aussi malmenés » (p. 45) pourraient bien livrer aux chercheurs… Le texte suivant, co-signé par Marie-Madeleine Compère et Dominique Julia (reprenant leur introduction à l’excellent répertoire, publié en 1984, sur Les Collèges français, XVIè-XVIIIè siècles, t.1 Répertoire. France du Midi), offrait d’intéressantes, et toujours pertinentes, remarques d’ordre historiographique ou méthodologique concernant l’histoire des établissements scolaires d’Ancien Régime.
Quant à l’article, remarquable de clarté, de Dominique Julia sur « Les sources de l’histoire de l’éducation et leur exploitation », qui concentrait, en 1974, son attention sur la France des XVIIè-XIXè siècles, il peut encore servir de point de départ pour s’orienter en histoire de l’éducation. S’intéressant principalement aux statistiques et enquêtes globales concernant l’école primaire et l’enseignement secondaire (pp. 69-80), au recrutement des élèves et du personnel enseignant (pp. 80-88), ainsi qu’à la vie scolaire (pp. 88-96), l’article comporte une annexe substantielle portant sur un « Code de repérage pour les documents d’Ancien Régime » (pp. 98-109).
Une place notable est réservée, par la suite, à l’histoire de l’administration, avec 2 articles de Guy Thuillier : l’un consacré, en 1974, à « Histoire administrative et archives de l’enseignement », l’autre, en 2000, aux « Archives de l’enseignement : le rapport Renouvin en 1969 ». La première contribution offre d’utiles réflexions et prolonge ou complète l’article précédent de D. Julia, en insistant toutefois sur la nécessité d’une histoire administrative de l’Education nationale, entendue comme une « histoire des fonctionnaires, de la coutume administrative, des méthodes de décision, des rapports avec le corps social » ; ainsi, grâce à cette histoire, qui ne peut se réduire à une banale histoire des institutions scolaires, on peut acquérir « un certain sens du relatif , du déjà-vu, du déjà-entendu » et apprendre « le coût des réformes hâtives, mal conçues, mal dirigées, mal digérées » (p. 124).
La seconde contribution de Guy Thuillier retrace l’action de l’historien Pierre Renouvin, en 1969, pour sauvegarder les archives de l’enseignement. G. Thuillier souligne la rigueur et l’ampleur de l’enquête qui fut alors lancée, tout en reconnaissant la difficulté à évaluer les conséquences du rapport produit par la commission présidée par l’éminent historien. Si le rapport Renouvin (cité in extenso pp. 143-153) a conduit à la création en juin 1969 d’une commission permanente des archives de l’enseignement, en revanche la circulaire de 1970 relative à la sauvegarde de ces archives (reproduite pp. 272-284) n’a, semble-t-il, pas été appliquée de façon rigoureuse -en raison, nous dit G. Thuillier, de « l’indifférence des enseignants, en pleine crise à cette date, [du] dédain des chefs d’établissement (sans qui rien ne pouvait être fait) [, de] l’ignorance du ministère (personne au cabinet ne s’y intéressait) [et, pour finir, du] désintérêt des archivistes pour ce qui concerne ces archives pédagogiques volumineuses » (p. 142). L’article de Hélène Benrekassa et Thérèse Charmasson (« Archives des administrations et des établissements scolaires : bilan de dix ans de versements », initialement publié en 1983), permet de compléter cette analyse, sur un certain nombre de points. G. Thuillier rappelle, in fine, l’importance de la Commission Renouvin : « C’est la première fois, semble-t-il, qu’on tentait de définir une politique d’ensemble visant tous les acteurs du système éducatif, y compris l’enseignement privé, les œuvres péri- et post-scolaires, les associations de jeunesse, les syndicats et mutuelles. La méthode adoptée par Pierre Renouvin était exemplaire (c’est un modèle d’archives que l’on tente de construire). » (p. 139) En poussant à la création d’une commission de l’histoire de l’enseignement, puis à la nomination d’un haut fonctionnaire chargé de l’histoire de l’éducation, P. Renouvin a incontestablement joué un rôle dans la genèse du Service d’histoire de l’éducation organisé en 1975-1976.
Dans son article sur « Les sources de l’histoire de l’enseignement en France aux XIXè et XXè siècles » (initialement publié en 1998), Thérèse Charmasson offre l’une des synthèses les plus à jour parmi les contributions publiées dans ce recueil (pp. 155-180). Suit un texte (pp. 181-199) sur « Les sources de l’histoire de l’enseignement agricole » (initialement publié en 1987). Depuis cette date, le SHE/INRP a d’ailleurs édité sur ce sujet, longtemps méconnu, un très riche instrument de travail : L’enseignement agricole et vétérinaire de la Révolution à la Libération (Textes officiels avec introduction, notes et annexes par Thérèse Charmasson, Anne-Marie Lelorrain et Yannick Ripa, INRP, 1992, 890 p.).
Les chercheurs débutants qui souhaiteraient s’orienter dans le « maquis » des archives disposeront, avec ce recueil, de références nombreuses : deux « état(s) sommaire(s) des versements faits aux Archives nationales par les ministères et les administrations qui en dépendent », l’un daté de 1935 (pp. 201-224), l’autre de 1962 (pp. 225-230) ; pour les « Archives de la Marne. Répertoire numérique détaillé de la série T (Enseignement, Affaires culturelles, Sports) », daté de 1972 (pp. 231-268) ; deux articles, respectivement pp. 301-308 et 309-316, sur « La Mission des Archives nationales auprès des ministères de l’Education et des Universités » (publié en 1978) et « La Mission des Archives du rectorat de Paris » (publié en 1981); un article (publié en 1967) sur « Les archives de l’enseignement en France », pp. 317-344 ; l’article, déjà cité, sur les archives des administrations et des établissements scolaires (pp. 345-378) ; enfin, un dernier sur « Les archives des écoles normales primaires » (publié en 1992), pp. 379-385. Ces textes dont les intitulés pourraient faire craindre qu’ils ne soient réservés qu’à un cercle restreint de spécialistes, usagers habituels de ce type de travaux, fourmillent en fait de détails relatifs à l’histoire de l’éducation, et le simple curieux qui souhaiterait consulter l’ouvrage aurait intérêt à ne pas négliger ces contributions apparemment très « techniques ». Le recueil comporte en outre un certain nombre de textes réglementaires (pp. 269-300).
Un tel livre rendra d’indéniables services à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’éducation et de l’enseignement français, à commencer par les chercheurs débutants. Signalons toutefois que la structure de l’ouvrage nous a semblé déconcertante, parfois : on comprend mal, en effet, pourquoi les textes réglementaires ont été placés au beau milieu de l’ouvrage, alors qu’il aurait été certainement plus logique de les situer en fin de volume. On regrettera enfin que le texte de présentation du recueil rédigé par Thérèse Charmasson ne fournisse aucune justification au choix des articles retenus pour cette réédition : en quoi, par exemple, était-il « fondamental » de republier la contribution de Jullien et Monfrin sur les universités médiévales alors qu’on dispose sur le sujet d’études bien plus récentes (un article de Jacques Verger eût ainsi été bienvenu, pour mesurer le chemin parcouru par la recherche depuis trente ans…) ?
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