Cet ouvrage a choisi de réunir divers travaux centrés sur la question des liens possibles entre l’activité d’enquête en classe d’histoire et le développement des compétences critiques des élèves. Le sujet est majeur à l’heure de la diffusion massive des fake news. Enquêter est une activité qui ne peut se réduire à l’application d’un modèle puisqu’elle suppose de conserver la part d’incertitude et d’imagination nécessaire à toute pratique.

Structuration de l’ouvrage

La première partie s’intéresse aux enjeux didactiques de l’enquête pour enseigner l’histoire, la deuxième porte sur enquêter en classe pour apprendre l’histoire et à faire de l’histoire. La troisième parle des enjeux de la recherche didactique sur l’enquête historienne. Chacune des trois parties de l’ouvrage s’organise ainsi : une entrée par l’activité d’enseignement, ensuite par les élèves et leurs apprentissages, enfin par les enjeux pour la recherche en didactique de l’histoire. Plusieurs contributions nourrissent chacune des parties. On trouve une bibliographie après chacune d’elles.

Les auteurs

Sylvain Doussot est professeur en Sciences de l’éducation et de la formation en didactique de l’histoire à l’INSPE de Nantes. Marc-André Ethier est professeur de didactique de l’histoire à l’Université de Montréal. Nadine Fink est professeure de didactique de l’histoire à la Haute école pédagogique du canton de Vaud. D’autres autrices et auteurs sont précisés au moment de leur contribution.

La place du document dans l’enseignement

Les auteurs s’interrogent sur les modalités de transposition de la pratique historienne à l’école. Ils envisagent l’histoire comme une discipline donnant aux élèves l’occasion de répondre à des questions qu’ils se posent sur des situations vécues par les sociétés. Réintroduire la controverse dans la classe permettrait de donner à voir un élément majeur de l’enquête historienne. Les auteurs disent que le modèle républicain de l’enseignement de l’histoire et de la géographie fonctionne sur quatre caractères résumés par la formule des 4R. On enseigne les résultats et on met l’accent sur le référent consensuel c’est-à-dire qu’on écarte les débats. De plus, il y a un refus du politique ce qui amène à ignorer les enjeux idéologiques, et enfin il y a un goût pour le  réalisme, comme si on faisait croire que la réalité était directement appréhendable. Le document, plutôt que d’être la réponse à la question, devrait être, selon les auteurs, ce qui pose problème. Le discours ne serait alors plus narratif mais explicatif.

D’autres récits

Un article est intitulé « Vers une pensée historienne post-coloniale : la conception de pratiques éducatives muséales sur le passé colonial belge ». L’AfricaMuseum de Bruxelles a saisi l’occasion d’une rénovation majeure en 2013 pour transformer son exposition permanente en un musée postcolonial. Cela constitue un point de départ apte à favoriser la pensée historienne des visiteurs et visiteuses. Ainsi, les élèves peuvent avoir à réfléchir au fait que des objets non occidentaux sont exposés dans un musée occidental. Les auteurs précisent que la formation des enseignants doit être de qualité et qu’il faut leur fournir des connaissances afin de leur permettre de dépasser un cadre de référence historique purement occidentalocentré.

Enquêter sur le passé de son quartier pour objectiver et questionner son présent ?

Les élèves peuvent mener un travail simultané sur l’histoire de la banlieue et sur l’histoire de ses représentations. On peut prendre l’exemple d’une classe de seconde avec différents temps de travail : recueil de représentations des élèves sur leur territoire, visite d’un appartement muséographié, atelier pédagogique pour placer les élèves dans la démarche de l’enquête historienne, travail avec l’enseignant autour d’une méthodologie.

Peut-on faire enquêter les élèves de façon historienne en visite sur un lieu de mémoire ? Le cas d’Oradour-sur-Glane

Ce travail s’appuie notamment sur le suivi de plusieurs enseignants et de plusieurs classes. Travailler sur Oradour-sur-Glane, c’est se demander ce qu’il s’est passé et pourquoi cela a eu lieu. Souvent, les enseignants ont majoritairement la parole lors des visites. Pour les auteurs, il s’agit de passer du « pourquoi les ruines sont conservées » au « pourquoi le village et le Centre de la Mémoire sont agencés de cette façon » ?  Tous les lieux muséifiés qui traitent de l’histoire ont un point en commun : ce qui  est exposé au public relève d’un choix parmi des possibles. Les auteurs invitent à basculer d’un type d’enquête de sens commun et mémoriel à un type d’enquête historienne problématisée portant sur la mémoire. Cela veut dire s’interroger sur les raisons des choix faits à différentes périodes pour fixer le récit du massacre dans le parcours proposé aux visiteurs.

La contextualisation comme outil d’enquête : une expérience d’étude de témoignages matériels sur la Grèce antique

Un des objectifs est d’amener les élèves à prendre conscience que les connaissances historiques sont des connaissances construites et que celles-ci ne sont donc pas figées. Seize enquêtes sont proposées aux élèves sur un objet d’étude de la Grèce ancienne. La contribution est très précise et montre des exemples de changements apportés aux questions de recherche. Ainsi, « Comment les Grecs construisaient-ils les bâtiments comme les temples » est remplacée par « Pourquoi la construction de l’Olympeion a-t-elle pris environ six siècles ? ». Dans la deuxième étape, les élèves avaient pour mission d’émettre des hypothèses à leurs questions de recherches provisoires.

Construire un problème historique en classe d’histoire

La séance analysée a été menée dans une classe de CM2. Après plusieurs séances sur la Première Guerre mondiale abordée sous l’angle de la violence de guerre, les élèves effectuent la lecture de deux lettres adressées par un poilu à sa femme. Les documents utilisés sont fournis et l’ensemble de la démarche est expliquée. Après avoir déchiffré le texte, les élèves examinent une affiche appelant à souscrire à l’emprunt de la Défense nationale en montrant que l’argent recueilli permettait de fournir des armes aux soldats français afin de hâter la fin de la guerre. Une des idées est que les élèves cherchent moins à essayer de savoir ce que l’auteur dit sur la réalité du passé qu’à envisager les raisons qui poussent à opérer certains choix formulés dans la lettre.

Apprendre aux élèves à enquêter comme des historiens : contraintes didactiques et enjeux pédagogiques

L’apprentissage de l’enquête historienne en classe ne consiste pas à transmettre et exercer des outils méthodologiques mais réside dans des mises en situation qui associent des expériences d’enquête vécues par les élèves et des outils d’enquêteurs éprouvés à ces occasions. On trouve dans ce chapitre également des exemples concrets d’expériences menées en France ou en Suisse. L’une d’elles porte sur un récit de la guerre des Paysans. Le manuel qui en parle est structuré en plusieurs phases. Les auteurs invitent à insérer un moment où les élèves produisent des hypothèses, plutôt que d’apprendre un enchainement déjà fléché.

En conclusion, Sylvain Doussot, Marc-André Ethier et Nadine Fink rappellent que, trop souvent, les activités de mémorisation et de restitution dominent en classe d’histoire. Cela rend peu probable la construction d’activités intellectuelles constitutives de compétences critiques. L’enquête prise comme analyseur des phénomènes didactiques observés met en lumière le rôle souvent minoré de l’imagination dans le travail de l’historien et plus encore dans le travail de la classe d’histoire.