L’ouvrage est la publication des contributions à un colloque, tenu à Berlin, à la suite de la publication des lettres de jeunesse de Pierre Bertaux (Un normalien à Berlin. Lettres franco-allemandes 1927-1933.Editées, annotées et commentées par Hans Manfred Bock, Gilbert Krebs et Hansgerd Schulte, Paris, 2001).
Comme l’indique le sous-titre de ce recueil d’études, les relations franco-allemandes de l’entre-deux-guerres y sont abordées à travers les formes de la présence française à Berlin, après une introduction d’Hans Manfred Bock sur la situation et les perspectives d’avenir de la recherche sur les relations culturelles transnationales.
Un premier chapitre regroupe une série d’études consacrées à des démarches qui se situèrent en marge de la diplomatie officielle et qui marquèrent la reprise de relations culturelles entre les deux Etats.
L’article de Katja Marmetschke (Kassel) analyse la signification de la rencontre entre C.H. Becker, ministre de l’Education de Prusse, et Anatole de Monzie, ministre français de l’Instruction publique, en septembre 1925 à Berlin.. L’auteur souligne que cette rencontre, première visite officielle à Berlin d’un ministre français en exercice depuis plus de cinquante ans, a été une étape importante du rapprochement franco-allemand, mais que sa préparation et son déroulement furent marquées par bien des difficultés, qui montrent à quel point le terrain des relations franco-allemandes était encore miné peu de temps avant la signature du traité de Locarno.
Guido Müller (Stuttgart) décrit le fonctionnement du bureau berlinois du « Comité franco-allemand de Documentation et d’Information » (Comité d’études franco-allemand) et de son directeur Pierre Viénot de 1926 à 1929. Installé dans le centre de Berlin, le « Comité d’études », soutenu financièrement par l’industriel luxembourgeois Emile Mayrisch, se consacrait aux contacts entre personnalités françaises et allemandes représentant le monde de l’économie, la vie intellectuelle, l’administration et la presse, à leur information et à leurs échanges. Le bureau de Berlin, sous l’impulsion de son directeur qui considérait que sa mission ne se limitait pas à la défense des intérêts français en Allemagne, joua aussi un rôle de médiateur dans le domaine socioculturel. Pierre Viénot édifia un réseau de relations avec les institutions et les représentants de la culture à Berlin et tenta d’améliorer la façon dont les correspondants de presse à l’étranger rendaient compte dans les deux pays.
Hans-Manfred Bock consacre une étude à la « Société Franco-Allemande » , une « organisation d’entente qui représentait, en collaboration avec l’ambassade de France et avec le ministère des Affaires étrangères, le centre le plus visible des contacts et des échanges franco-allemands à Berlin.
Les trois contributions regroupées sous le titre « Professeurs et étudiants » portent sur l’interaction entre l’administration politique et les universités en tant qu’organisatrices de visites internationales.
L’article de Christophe Charle, Les réseaux intellectuels de deux universités centrales (Paris et Berlin) 1890-1930 , montre à partir de l’exemple des échanges de professeurs et de l’envoi et de l’accueil de professeurs invités par les deux universités, la constitution de réseaux internationaux entre universités. De 1926 à 1939, la Sorbonne reçoit 279 invités, Berlin, 37 jusqu’en 1942. L’étude met en évidence la concurrence entre les deux nations, des choix différents en sciences humaines et sociales et en sciences de la nature, ainsi que leurs conséquences en termes de modernisation pour les universités.
Johann Chapoutot évoque le rôle de l’ « Office National des Universités et Ecoles Françaises » (ONUEF) entre 1910 et 1939. Cet organisme avait pour mission d’organiser les échanges d’étudiants avec l’étranger. Alors que les échanges reprennent dès 1919 avec les pays alliés, ils ne concernent les étudiants allemands qu’à partir de 1929, un retard que l’auteur attribue à l’image de l’Allemagne qui circulait au sein de l’ONUEF. Les mêmes préjugés ont aussi conduit ses représentants à porter un jugement positif sur certains aspects de la politique de la jeunesse sous le Troisième Reich.
C’est également en 1929 qu’est fondée la Maison académique française à Berlin, qui servit de lieu d’accueil pour les étudiants français dans la capitale allemande. Dominique Bosquelle étudie la mise en place et les missions de cette institution qui a eu une influence réelle sur la réception de la culture allemande contemporain en France, dont ont témoigné par la suite des résidents célèbres comme Jean-Paul Sartre et Raymond Aron.
Les études suivantes concernent la circulation d’ouvrages imprimés. Corine Defrance retrace l’histoire de la « Maison du livre français » à Berlin, lieu de transit de la production éditoriale française à l’époque de Weimar et la replace dans le contexte de la politique du livre du Quai d’Orsay et des maisons d’édition françaises à l’étranger. Susanne Paff étudie l’action du professeur Eduard Wechssler, qui organisa de 1926 à 1934 des cycles de conférences d’écrivains français dans le cadre du Séminaire des Langues romanes de l’Université de Berlin. On peut voir dans le choix des orateurs une tentative d’Eduard Wechssler d’illustrer sa conception de la différence fondamentale entre la pensée allemande et la pensée française, exposée dans son livre Esprit und Geist, publié en 1927.
Trois articles abordent le transfert culturel entre la France et l’Allemagne à partir de trois supports : une revue culturelle influente, la Neue Rundschau, les beaux-arts et le théâtre. François Beilecke montre comment la revue berlinoise Neue Rundschau, fondée en 1890, a apporté « dans les années 1925-1929 une contribution importante à l’établissement de ces rencontres entre intellectuels français et allemands, qualifiées par Heinrich Mann de modèle pou un « Locarno intellectuel ». Marc Thuret étudie le choix et la réception des pièces françaises représentées sur les scènes berlinoises : si le théâtre français bénéficiait de la faveur du public berlinois, il s’agissait le plus souvent du théâtre de boulevard, les pièces à caractère politique étant fort peu représentées. Alexandre Kostka traite des relations artistiques entre la France et l’Allemagne, à travers les exemples de la peinture et des arts décoratifs. Il analyse l’échec de la tentative d’instrumentalisation politique des beaux-arts par la France en Rhénanie occupée et l’oppose à la réception du cubisme à Berlin. Il oppose également la tradition artistique française classique à la modernité qui s’affirmait dans l’Allemagne de Weimar.
Les dernières contributions se concentrent sur l’aspect « perception » dans les relations sociales et culturelles franco-allemandes : de quelle manière les Français voyaient-ils l’Allemagne et comment cette perception a-t-elle évolué ? Wolfgang Asholt analyse la façon dont Jean-Richard Bloch, fondateur de la revue Europe, a découvert le Berlin moderne des années 1920. Gilbert Krebs s’intéresse à la perception traditionnelle de la jeunesse allemande en France : perçue comme une menace au lendemain de la Première Guerre mondiale, la jeunesse allemande est progressivement considérée comme un espoir de paix. Enfin l’article de Jürgen Ritte porte sur un autre thème traditionnel de la perception de l’Allemagne en France : l’évolution des mœurs et de la sexualité.
Toutes ces études permettent de brosser un tableau des relations universitaires, culturelles et artistiques entre la France et l’Allemagne dans les années 1920 et de découvrir la richesse des initiatives et des contacts entrepris dans bien des domaines à l’époque de Locarno. Elles donnent à partir d’exemples variés la possibilité de retracer l’évolution de la perception de chacun des deux pays entre la fin de la Première Guerre mondiale et l’avènement du nazisme.
Pour ceux qui enseignent en classe de Première, elles fournissent des éléments utiles pour illustrer la partie du programme consacrée à « religion et culture de 1850 à 1939 » sous l’angle des relations entre les milieux intellectuels et culturels en Europe.