CR par Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)

Dans le cadre de l’ambitieuse politique éditoriale qui est devenue la leur, les éditions Lemmedit (anciennement les éditions Maison) ont enrichi à la fin du printemps dernier d’un dixième titre la partie consacrée à l’histoire ancienne de la collection Illustoria, régulièrement évoquée dans la Cliothèque. Celui-ci s’intéresse à un épisode qui reste dans l’imaginaire collectif l’un des plus hauts en couleurs de la conquête de la Gaule par César : la campagne que celui-ci dut mener contre les peuples d’Armorique, avec comme point d’orgue l’atypique et dramatique affrontement naval qui opposa en 56 av.J.-C. les légers navires romains aux lourds voiliers gaulois. Comme de coutume, l’auteur est particulièrement apte à traiter le sujet : Patrick Galliou (à qui Illustoria doit déjà un récent titre ; cf http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3565), agrégé d’anglais, docteur en anglais et en histoire ancienne, archéologue de terrain, aujourd’hui professeur émérite à l’université de Brest, a consacré de nombreuses études à l’archéologie et l’histoire antique de la Bretagne.

La réalité d’Astérix

Comme le précédent, le présent ouvrage s’avère, malgré sa relative concision, bien plus ambitieux qu’on ne pourrait le penser au premier abord. Loin de se cantonner au simple récit des faits, l’auteur entend les replacer dans un contexte politique, social et économique plus large. Cela l’amène à aborder, dans un premier temps (p.3-24), l’histoire des rapports noués par Rome avec les peuples celtes à partir du début du IVè s. : rapports éminemment conflictuels, qui voient l’Urbs prendre progressivement l’ascendant sur ses turbulents voisins, définitivement mâtés en Italie dans les années 190-180 av.J.-C., soumis dans le sud de la Gaule quelques décennies plus tard, avant que César, à partir de 58 av.J.-C., ne se décide pour des motifs variés à porter l’estocade aux peuples encore indépendants. Confronté à la nécessaire brièveté de l’ample tableau ainsi brossé, P.Galliou réussit à une belle alliance de synthèse et de précision, évoquant entre autres le rôle dans les relations romano-gauloises du poids des à-priori, de l’état des connaissances géographiques, des flux économiques… L’auteur s’attache ensuite à la présentation des peuples armoricains qui vont être impliqués dans le conflit (p.25-47) : Vénètes, Osismes, Coriosolites, Namnètes… sont dominés par une aristocratie guerrière, étayant ses prérogatives par le contrôle de la production et de la circulation des biens de consommation locaux et importés – l’ensemble de la région étant en particulier engagée dans d’actifs échanges avec la Bretagne insulaire. Il est dès lors possible que le dynamisme croissant des marchands romains déjà présents dans le sud de la Gaule ait nourri, entre autres causes, un climat propice à l’affrontement, dont l’auteur décrit ensuite les différentes phases (p.49-77). Des malentendus, des excès quant à la livraison d’otages et de blé servent dans les premiers mois de –56 de prétextes au soulèvement contre Rome des Armoricains théoriquement soumis par Publius Crassus l’année précédente, lors des campagnes de César contre les peuples de Belgique. La riposte de celui-ci à la menace représentée par la vaste coalition qui s’érige est rapide : tandis que ses lieutenants protègent ses flancs, le proconsul marche par voie de terre sur le pays vénète, menant tout l’été des opérations indécises contre les promontoires barrés littoraux où les Gaulois se sont réfugiés. C’est finalement sur la mer que se déroule le combat décisif : menée par Brutus, l’hétéroclite flotte qu’il a fait spécialement construire et réunir vient s’opposer aux lourds navires des Vénètes et de leurs alliés ; et sa mobilité lui donne finalement la victoire sur ses adversaires quasi-immobilisés par la chute du vent. Un très court dernier chapitre (p.79-84) rappelle que des peuples armoricains continueront, de manière épisodique, à participer aux soulèvements contre Rome jusqu’au terme de la conquête, en 51 av.J.-C. ; mais les sources de la richesse de leur aristocratie paraissent dès lors pour l’auteur irrémédiablement taries, l’axe commercial Loire-Bretagne étant en particulier détourné au profit de la voie Rhône-Saône-Seine-Rhin.

« Chanter les armes et l’homme… »

Si le sujet traité par l’ouvrage pourrait, à la différence de ceux d’autres fascicules d’Illustoria, paraître manquer d’originalité, sa lecture laisse finalement une impression très favorable. C’est en effet un tableau fort complet, tout en restant accessible, qui est tracé par P.Galliou de l’affrontement : le détail des opérations militaires est bien rendu, et il est appuyé par une séduisante analyse des conditions politiques, morales, économiques… qui les conditionnent. L’auteur sait se montrer précis et nuancé, et il appuie son exposé sur une très bonne connaissance des sources littéraires et archéologiques concernées (on ne s’en étonnera guère), qu’il met constamment en relation. Encore une fois, les compléments apportés au texte sont de qualité : cahier central comprenant une trentaine d’illustrations en couleur, pertinentes et auxquelles de clairs renvois sont faits, chronologie, lexique, présentation concise des lieux à visiter en rapport avec les événements, bibliographie…

Avec ses dernières parutions de grande qualité, Illustoria semble indéniablement avoir trouvé son rythme de croisière. Il ne reste qu’à lui souhaiter… bon vent !

Stéphane Moronval ©