Biographie du maître d’œuvre du régime nazi en Alsace.
«Vive la Grande Allemagne ! Vive Adolf Hitler ! Vive l’Alsace allemande !» : tels furent les derniers cris lancés le 14 août 1946 à l’aube, face au peloton d’exécution, par le gauleiter déchu Robert Wagner, qui s’était comporté en véritable « Führer de l’Alsace » durant l’Occupation. Hitlérien forcené, il avait été le maître d’œuvre d’un intense effort de germanisation et de nazification imposé à marche forcée à la province annexée. C’est de son action et du procès qui a scellé sa destinée que rend compte, avec beaucoup de clarté et de précision, ce livre rédigé par Jean-Laurent Vonau, ancien universitaire, juriste et historien, et élu régional impliqué de longue date dans le travail de mémoire sur la période de l’occupation en Alsace.

Un des premiers dévots du nazisme

Badois d’origine rurale né en 1895, Robert Wagner est arraché à sa destinée d’élève instituteur par la Première Guerre mondiale. Devenu officier de carrière, compromis après guerre dans les complots des milieux nationalistes, il est nommé instructeur à l’école d’infanterie de Munich en 1923. Instantanément subjugué par le charisme de l’agitateur de brasserie Adolf Hitler, il soulève l’école d’infanterie lors du putsch manqué du 9 novembre. Radié de l’armée, il est condamné et incarcéré avec son idole. Après son élargissement, il prend en charge le parti nazi dans son pays de Bade natal et fonde le journal Der Führer. Personnage énergique et intelligent, fanatique et impitoyable, Wagner cumule, à partir de 1933, les fonctions de gauleiter et de statthalter, réunissant ainsi l’autorité administrative à la légitimité militante. L’effondrement de la France en juin 1940 entraine l’extension géographique de ses pouvoirs à l’Alsace, territoire mitoyen du pays de Bade. Dès la fin juillet, l’occupation se mue en une annexion de fait, parfaitement illégale sur le plan du droit international. Par son volontarisme ardent, Wagner convainc Hitler de sa capacité à mener une intégration rapide au Reich. Dès lors, il orchestre avec méthode et détermination l’«Anschluss de l’Alsace».

L’Alsace sous la botte

C’est un tableau précis et exhaustif des efforts de germanisation et de nazification de la province que propose Jean-Laurent Vonau, en exposant l’ensemble des éléments du dossier : enrôlement des autonomistes alsaciens et colonisation par les fonctionnaires allemands, expulsions et déplacements de populations, suppression méthodique des repères historiques et références culturelles françaises, refonte administrative et judiciaire sur le modèle allemand, embrigadement par les structures du parti nazi, refondation de l’université de Strasbourg aux normes “aryennes” (on y donne aussi discrètement asile à quelques sinistres « scientifiques » qui s’adonnent à d’abominables expérimentations humaines sur des détenus), ouverture des camps de Schirmeck et du Struthof, répression impitoyable envers la Résistance et même les simples velléités d’opposition, incorporation de force des “malgré-nous”, asservissement et exploitation économique, rien ne manque à l’appel. Mention particulière mérite d’être faite, eu égard au champ d’expertise propre à l’auteur, de son analyse affutée de l’application aux Alsaciens de la législation et de l’appareil judiciaire du Reich.

De ce clair bilan d’ensemble émerge aussi la part de responsabilité imputable au gauleiter lui-même dans ce système. Disposant d’un pouvoir réglementaire à peu près absolu, apte à toutes les ingérences et ne tolérant aucune dissidence, Robert Wagner n’a pas été simplement la créature d’Hitler. Porteur d’une vision et d’une volonté autonomes, il a devancé et parfois même précipité, par ses arbitrages et son volontarisme, les intentions du centre berlinois, moins déterminé ou plus prudent que lui à l’égard de l’Alsace. Arrêté en juin 1945 après la capitulation allemande, Wagner est livré à la France. En avril 1946, son procès à Strasbourg s’annonce comme un moment fort de l’épuration.

Un procès décevant

Selon Jean-Laurent Vonau, dont la seconde partie du livre restitue un récit scrupuleux et détaillé du procès Wagner, la promesse de justice pour l’Alsace n’y a pourtant pas été pleinement tenue. L’auteur est particulièrement sensible à l’occasion manquée résultant de ce procès, dont la teneur avait effectivement frustré les contemporains. Dans la mémoire à vif d’aujourd’hui, le regret historique provient de l’occultation d’éléments devenus majeurs, en particulier le sort des «malgré nous». De fait, au lieu d’un “Procès de Nuremberg” de l’occupation de la province, qui aurait permis de faire le bilan des crimes du nazisme en Alsace et de laver l’honneur de la population opprimée de tout soupçon de complaisance, Wagner et six de ses anciens subordonnés comparaissent au titre de seulement huit chefs d’accusation capitaux, d’ordre parfois très factuel (et dont un, l’assassinat en 1944 de quatre aviateurs britanniques en pays de Bade, n’a d’ailleurs que des liens ténus avec l’Alsace). La capacité d’expertise juridique de l’auteur nourrit un commentaire attentif du fil chronologique du procès, en restituant fidèlement les débats consignés par les sources judiciaires et la presse d’époque. Wagner y fait front avec assurance, à travers des péripéties d’audience parfois brouillonnes, tandis que ses comparses adoptent la “défense Eichmann” dans l’espoir assez illusoire de dégager leur responsabilité au nom du devoir de discipline dans l’exécution des ordres reçus. Ils n’échappent pas pour autant à l’épilogue prévisible d’un verdict d’une rigueur exemplaire.

De rares petits accrocs parsèment une lecture par ailleurs fluide et claire. Un fourrier se retrouve pétri en fournier (p.20) et on relève une confusion entre la notion de classe d’âge et l’année de naissance. Petite curiosité insatisfaite, le sort de deux des inculpés du procès Wagner (Semar et Grüner), oubliés en chemin, reste indécis. Mais ces points de détail sont très accessoires. Solidement étayé par un appareil critique fiable, parfaitement documenté, l’ouvrage de Jean-Laurent Vonau dépasse par son intérêt le simple cadre de l’histoire régionale. Il formule une déclinaison enrichissante du bilan d’ensemble du nazisme. A travers lui, le cas Robert Wagner apparaît emblématique de la destinée des hiérarques moyens du régime hitlérien.

© Guillaume Lévêque