Grâce à l’archéologie, on en sait un peu plus sur la Gaule et ce qu’on découvre est bien différent de la vision transmise par les Grecs et les Romains. Laurent Olivier s’attache dans cet ouvrage à éclairer le lecteur sur ce que pouvait être la réalité gauloise. Il faut tenter d’aller vers les Gaulois et, en nous avançant doucement, essayer de capter ce qu’ils disent. Il faut élaborer des scénarios pour chercher le vraisemblable. C’est ce qu’il s’emploie à faire tout au long des vingt-cinq chapitres du livre.
L’auteur
Laurent Olivier est historien et archéologue, conservateur général du patrimoine au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués dont « Ce qui est arrivé à Wounded Knee » en 2021 ou « César contre Vercingétorix » en 2022. Plus anciennement, on peut mentionner le captivant « Le sombre abime du temps : archéologie et mémoire » il y a maintenant un peu plus de quinze ans.
A la rencontre de nos ancêtres les Gaulois
Pour les Grecs, les Celtes sont une population de la périphérie de leur monde. Le terme de Gaulois est mentionné pour la première fois dans une source de 168 av. J-C. Ce n’est pas le nom par lequel les habitants des pays situés au nord des Alpes se reconnaissent eux-mêmes. On pourrait donc dire que, dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains appellent indifféremment Celtes, Gaulois ou Galates les populations autochtones d’un territoire dont ils ne connaissent pas les limites et qui s’étend pour les uns au nord des côtes du Languedoc et de la Provence et pour les autres au-delà des Alpes. Il faut donc nous déprendre de cet a priori qui parait si évident que nous aurions affaire à des populations bien identifiées puisqu’elles sont désignées comme telles par les textes de l’Antiquité. On a pris l’habitude de dire la Gaule alors que dans l’Antiquité on disait les Gaules. Pour résumer, on peut donc dire que César a créé la Gaule.
La terreur gauloise
Depuis trois siècles, les Romains ont soumis tous les peuples aux alentours et n’ont encore jamais connu la défaite. Le premier sac de Rome a marqué les esprits. Rome fait aussi de la terreur qu’inspire la menace gauloise un instrument de sa politique extérieure. Nos guerres ne sont jamais que des guerres préventives répètent les Romains. Cet argument resservira tout au long des campagnes militaires de César en Gaule.
Étonnants Gaulois
Les Gréco-romains adoptent la plupart des clichés xénophobes dont font l’objet les populations étrangères lorsqu’elles sont dominées. Passer en Gaule en traversant les Alpes, c’est pour un Méditerranéen entrer dans un monde hostile et effrayant. Tous les auteurs parlent d’une prétendue réalité qu’ils n’ont pas connue et qui n’a plus d’existence au moment où ils en parlent. Pour justifier la domination, il faut que le dominant soit paré de toutes les vertus.
Les visiteurs
Il ne reste aucun témoignage historique de l’épanouissement de la civilisation gauloise entre le VI et IIIe siècle av. J-C. Les Gréco-romains ont accès à cette civilisation au moment où celle-ci est déjà largement pénétrée par le commerce avec la Méditerranée. La relation de la guerre des Gaules est une source très utilisée. L’ouvrage est un ouvrage de propagande présenté comme une contribution à l’histoire. Après César, tous les auteurs sont des compilateurs ayant vécu à des époques postérieures à la conquête romaine. Lorsque l’on lit les textes laissés par les observateurs de la Gaule il faut se tenir attentif à tout ce qui n’est pas décrit comme à tout ce qui n’est mentionné qu’en passant, comme si cela relevait de l’évidence.
La parole et le savoir
Le barde gaulois est un maître de la mémoire. C’est un lettré qui connait par cœur un nombre immense de vers. Le devin gaulois lit l’avenir dans les signes du présent. Étant les maitres de la religion, les druides commandent les cérémonies publiques. Les Gaulois écrivent en grec. Les druides gaulois ne sont pas les seuls savants et philosophes à empêcher que leur savoir ne soit consigné par écrit. Les disciples de l’école de Pythagore faisaient de même.
Le pouvoir chez les Gaulois
L’assemblée des guerriers fonctionne comme un embryon de démocratie. Dans le système gaulois, le peuple approuve ou rejette la décision des responsables politiques, mais ce n’est pas lui qui prend part à l’élaboration de la proposition. En Gaule, la royauté n’est pas la monarchie et, lorsque le souverain mène une politique contraire à l’intérêt général, il est légitime de s’en débarrasser. Dans la politique gauloise, le statut d’allié n’est donc pas définitif contrairement au titre de « frère de sang du peuple romain » que décernent les autorités romaines aux puissances étrangères qu’elles souhaitent s’attacher.
Le rêve de tout un peuple
Rome ne laisse d’autres choix aux peuples qu’elle a conquis : accepter la domination romaine ou disparaitre. En absorbant les nations étrangères, Rome n’accroit pas son sol : elle ne fait qu’agrandir sa domination sur le monde, l’imperium romanum. Entre Romains et Gaulois existent deux cultures, deux visions antinomiques de la liberté et de l’individu. On pourrait dire que quand les Romains veulent avoir, les Gaulois veulent être.
Une Gaule contre l’Etat
Chez les Gaulois, ces différents pouvoirs se limitent les uns les autres, mais on constate que le pouvoir juridictionnel des druides coiffe tous les autres. On saisit mieux en quoi le monde gaulois s’oppose aux cultures gréco-romaines. C’est en effet sur la question du libre arbitre de l’individu que les sociétés gauloises diffèrent radicalement des civilisations méditerranéennes. La société gauloise est une société d’opinion, respectueuse de la liberté individuelle.
La guerre totale de César
Comme les Romains avant nous, nous sommes dépaysés et déstabilisés face au fonctionnement du monde gaulois. Les troupes romaines recherchent les sanctuaires où s’entassent des offrandes d’objets sacrés en or auxquels personne n’ose toucher comme s’en étonnent les Romains. Si César a pris l’initiative des interventions militaires, il n’en suit pas moins la ligne du Sénat en matière de politique étrangère. Il s’agit d’établir un glacis démilitarisé au contact de la frontière transalpine, en soumettant à Rome les peuples gaulois qui occupent ce vaste territoire.
L’héritage de César
La population de la Gaule indépendante se situait aux alentours de 12 millions d’habitants. La saignée opérée par la conquête romaine représenterait une perte d’au moins 10 % de la population gauloise. L’armée constitue un puissant facteur d’absorption des indigènes dans la romanité dont César use à son profit. La domination romaine sur la Gaule reste donc précaire et le statu quo qu’a imposé César ne pourra pas durer très longtemps.
Auguste et les nouveaux maitres de la Gaule
Tous les impôts n’ont qu’un seul objectif : faire financer la domination et la colonisation de la Gaule en taxant la circulation des marchandises et la fortune personnelle des derniers aristocrates gaulois. Rome n’a jamais eu l’intention de faire des Gaulois des Romains. L’arrivée au pouvoir de Tibère est marquée par la fin des régimes spéciaux d’imposition dont bénéficiaient jusqu’alors les anciennes cités libres ou alliées. On interdit aux druides de pratiquer la divination au motif qu’elle repose sur des sacrifices humains dont personne n’est témoin puisque cette autorité spirituelle des druides est fondée sur des cérémonies auxquelles les citoyens romains ne sont pas censés avoir accès.
Les historiens et la conquête romaine
Des historiens et archéologues ont souscrit à cette évidence trompeuse selon laquelle la Gaule devait être romanisée puisqu’elle l’a été. La colonisation romaine aurait permis aux Gaulois de se réaliser en révélant leur potentiel. Dans son ensemble, la colonisation romaine de la Gaule est toujours montrée comme un phénomène bénéfique pour les colonisés.
Nos ancêtres les Gallo-Romains
Au moment de la III ème République, la Gaule d’avant les Romains représente l’arriération rurale face à la modernité du monde contemporain. La propagande du régime de Vichy réactive la chimère de la colonisation heureuse introduite par Napoléon III. On ne peut plus opposer aujourd’hui la désorganisation et la confusion gauloise face à la discipline et à l’ordre incarnés par la romanité. Le mythe gallo-romain est un modèle colonial qui justifie au nom du progrès et de la civilisation la domination et l’exploitation des peuples autochtones.
Des chefs-d’œuvre qui dérangent
Tout au long du XXe siècle, l’histoire de l’archéologie gauloise ressemble à une lente et pénible retraite vis-à-vis des écrasantes idées reçues héritées de l’Antiquité romaine. Les découvertes se sont accélérées dans les années 1980, 90 avec l’essor des fouilles préalables aux opérations d’aménagement. On a alors trouvé des bâtiments gaulois sur poteaux. La tendance qui s’amorce aujourd’hui chez les archéologues consiste à démontrer que les réalisations de la culture gauloise seraient équivalentes à celles du monde de l’Antiquité classique. La recherche ne sort pas de ce tropisme gréco-romain qui voudrait que la civilisation se mesure à l’aune des réalisations des cultures urbaines de l’Antiquité méditerranéenne. Pourrait-on commencer à penser autrement ?
En conclusion, Laurent Olivier s’interroge sur ce que nous a laissé la Gaule. La Gaule est un idéal. Les Gaulois n’ont pas édifié de pyramides, pas élevé de temples majestueux. Ces réalisations grandioses que nous prenons pour des marques supérieures de civilisation ne sont en réalité que l’expression de formes les plus brutales de domination de l’humanité. La pensée gauloise propose un autre projet de vie en commun pour affronter les bouleversements à venir.