L’historienne, les luttes des femmes et les féminismes
Fanny Gallot est historienne, contemporanéiste elle a publié plusieurs ouvrages portant sur les luttes féministes en France mais aussi dans le monde tel celui écrit avec Pauline Delage : Féminismes dans le monde. 23 récits d’une révolution planétaire, (Éditions Textuel, 2020). Toutefois, la particularité des recherches qu’elle mène, dans le cadre français, est qu’elles sont centrées sur des luttes de femmes de milieux populaires. Celles-ci manifestent, font grève, avancent des revendications qui font avancer la cause des femmes mais ne se revendiquent pas comme féministesSur le concept d’« espace de la cause des femmes », Laure Bereni, De la cause à la loi. Les mobilisations pour la parité politique en France (1992-2000), Université Panthéon-Sorbonne, Science politique, 2007.. Tel était le cadre de son ouvrage paru en 2015 aux éditions La Découverte : En découdre : comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société. Tel est à nouveau celui du livre qu’elle publie cette année au Seuil, présenté comme une histoire féministe des contestations populaires depuis 1945. Cette recherche écrit-elle est « le produit » de la « nouvelle dynamique féministe mondiale » depuis les années 2010. Arrivé à ce point, le lecteur aura compris que l’auteure ne cache pas son point de vue. Pour elle, « Aucune recherche [en effet] ne peut se prévaloir d’être neutre, ce qui ne signifie pas qu’il faille renoncer à l’objectivité ». On peut rapprocher ce point de vue de celui de Michelle Perrot, affirmant que l’histoire est « un regard enraciné dans le présent » et que « l’engagement […] dans une cause n’exclut pas la quête de vérité »Voir Michelle Perrot, S’engager en historienne.
Contestations populaires et travail reproductif
Dans cet ouvrage, F. Gallot s’intéresse à des mobilisations de femmes de milieux populaires, ouvrières, employées, agricultrices, femmes au foyer… de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Les mobilisations des féministes des années 1968, plutôt urbaines, ayant un capital culturel élevé, souvent issues des classes moyennes ou supérieures et les avancées du féminisme d’État des années 1980 ne sont pas ignorées mais ne constituent pas le cœur de cette étude même si elles irriguent les mouvements sociaux. A travers ces contestations populaires portées par des femmes, l’auteure questionne l’évolution de la perception du « travail reproductif » et des revendications qu’il suscite. Par ce concept, elle entend, à la suite d’autrices féministes, « le travail rémunéré et le travail non rémunéré, « nécessaire pour développer et maintenir la force de travail » ». Il s’agit, pour elle, du travail domestique réalisé dans le cadre de la famille mais aussi de celui réalisé « dans la sphère professionnelle ». Elle pense aux professions très féminisées : aides à domicile, aides-soignantes, personnels des EHPAD, femmes de chambre, infirmières… dont les compétences ne sont pas reconnues et sont naturalisées. Ces femmes, souvent « racisées », écrit-elle, sont jugées peu qualifiées, sont mal payées et précarisées. Ce qui n’a pas empêché des luttes d’advenir dans ces secteurs.
Mouvements sociaux, organisations militantes et féminismes
Pour F. Gallot, l’étude des contestations populaires depuis 1945, permet de dégager quatre temps au cours desquels les principaux acteurs, les revendications avancées quant au travail reproductif et les rapports aux courants féministes évoluent. Jusqu’aux années 1960, les associations familialistes (communistes ou catholiques) qui jouent un rôle majeur favorisent l’entr’aide et revendiquent des prestations sociales. Les années 1968 voient croître l’influence des syndicats (CGT et CFDT en particulier) ainsi que l’activité gréviste des femmes sur fond d’affirmation grandissante de collectifs féministes. Sont alors revendiqués des équipements collectifs (crèches…) ainsi que la professionnalité de certains métiers et la répartition des tâches au sein des foyers est parfois contestée. Des années 1980 au début des années 2000, alors que la CGT et la CFDT sont moins influentes, des collectifs plus informels apparaissent. Certains d’entre eux sont largement pris en main par des femmes : collectif des Nanas Beurs (1985), de femmes Kanaks (1985), coordination des infirmières (1988-1989), travailleuses sans-papiers (à partir de 1996), prostituées… Pour ces collectifs, reconnaître leur professionnalité semble le plus important. Enfin, dernier temps, F. Gallot évoque « une nouvelle visibilité » des femmes dans les luttes des années 2010. Elle en veut pour preuve les diverses grèves de femmes de chambre qui se développent alors, la présence active de nombre de femmes dans les mouvements contre les projets de réforme des retraites (2003, 2019-2020, 2023) avec les Rosies ou au sein des « gilets jaunes ». Elle la perçoit aussi dans les débats autour de la nécessité d’une « grève féministe » le 8 mars et dans la volonté de combattre le sexisme et les violences sexuelles dans les syndicats. Pour elle, l’enjeu de la reconnaissance des métiers féminisés demeure central et les débats autour de la répartition du travail domestique émergent à nouveau.
Avec cet ouvrage, le pari de « Désantrocentrer la contestation » semble réussi. Des militantes ont joué un rôle actif dans nombre de luttes et ont contribué à faire évoluer les représentations. Ce livre contribue largement à le rappeler ce qui n’est pas le moindre de ses atouts.