Paolo Piva (dir.), Art médiéval. Les voies de l’espace liturgique, Picard, Paris, 2010.
Les manuels sont souvent longs à intégrer le renouvellement des approches méthodologiques et ce phénomène semble particulièrement sensible dans le cas de l’histoire de l’art. La publication de ce volume aux éditions Picard, sous la direction de Paolo Piva, qui est à la fois un manuel et un ouvrage de recherche proposant une nouvelle clé de lecture des bâtiments cultuels médiévaux, n’en est que plus méritoire. Paolo Piva a réuni une petite équipe de chercheurs, tous spécialistes reconnus de leur domaine, qui abordent l’étude de l’art en s’attachant aux dynamiques de l’espace. La notion centrale est celle de parcours. L’idée que défendent ces chercheurs est que les bâtiments liturgiques sont parcourus par des dynamiques diverses que mettent en place l’orientation du bâtiment, son organisation architecturale, mais aussi son mobilier et ses représentations iconographiques, peintes ou sculptées. L’église n’apparaît plus alors comme un espace neutre sur lequel s’afficheraient des images mais comme un lieu polarisé et dynamique. Les images sont de ce fait chargées de fonctions qui ne se comprennent que dans leur situation par rapport au bâtiment. L’une et les autres sont intimement liées à la liturgie qui est assurément la fonction première des bâtiments cultuels.
Après une brève introduction, le livre se compose de six articles substantiels très richement illustrés avec de nombreux plans et des superbes reproductions toujours pertinentes et judicieusement commentées.
Question d’orientation des bâtiments
Les deux premiers articles portent sur l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. Ils traitent principalement de l’orientation (vers l’Est ou vers l’Ouest) des lieux de cultes, question liée à celle de la célébration du culte face ou dos à l’auditoire. Sible de Blaauw aborde cette question dans l’Antiquité et montre que, contrairement à une croyance répandue, le cas où les façades principales sont tournées vers l’Ouest (et donc l’autel placé à l’Est) n’est pas le plus fréquent. De nombreuses églises romaines, de même que les temples antiques, avaient leur façade tournée vers l’Est et comme le prêtre célébrait la messe vers l’Est, il célébrait face au peuple. Ce n’est que tardivement que l’emplacement du chœur de l’église à l’Est s’est imposée si bien que le prêtre a dû tourner le dos au peuple pour continuer à regarder du côté du soleil levant.
L’article suivant, de Werner Jacobsen, reprend cette question pour les églises du haut Moyen Âge, ce qui montre à la fois les différences régionales et la survivance (voire le renouveau) d’une orientation vers l’Ouest liée à l’influence du modèle des lieux de cultes antiques romains.
L’article suivant permet d’avancer dans le temps et de se concentrer davantage sur l’intérieur de l’église : P. Piva y étudie les différents parcours de pèlerinages dans les églises occidentales. Il dessine un ensemble complexe. Il montre en effet que chaque église a un parcours spécifique et qu’il n’existe pas de modèle européen, ni même régional, d’autant moins que les églises ne sont pas conçues prioritairement comme des lieux de pèlerinages.
Images peintes et sculptures
Les trois articles suivants sont consacrés aux images peintes ou sculptées des époques romane et gothique. Marcello Angheben présente les rapports entre la sculpture romane et la liturgie. En se fondant sur de nombreux exemples il montre que les “décors” sculptés servent à structurer l’espace en établissant des hiérarchies et sont intrinsèquement liés aux activités liturgiques, en particulier à la prédication et à la célébration eucharistique. L’article de Jérôme Baschet se situe dans la même perspective mais s’appuie sur des peintures. Revenant sur les peintures de Saint-Savin (auxquelles il avait déjà consacré un chapitre de L’iconographie médiévale, folio, 2008), il approfondit ce cas précis afin de mettre en lumière non seulement les liens avec la liturgie mais aussi la concentration du sens autour du chœur, si bien que les images construisent un espace particulier (mais typiquement médiéval) marqué par un triple aspect : c’est un lieu précis, orienté vers le ciel et en mouvement puisqu’il indique un chemin à la fois horizontal dans l’église et ascensionnel.
L’article de Bruno Boerner enfin, à partir de l’étude de trois exemples de la sculpture gothique (Amiens, Chartres et Strasbourg) confirme le maintien des problématiques déjà observées aux époques précédentes : la sculpture de la façade annonce d’une part la célébration eucharistique, créant ainsi un lien avec l’intérieur du bâtiment ; elle rappelle d’autre part les pratiques liées aux cultes des reliques et notamment les processions, ce qui intègre cette fois-ci l’église dans la cité.
Cet ouvrage ne constitue donc pas un panorama complet mais un outil de réflexion essentiel, fondé sur des exemples approfondis, qui fonde une méthode d’analyse des bâtiments cultuels que les lecteurs pourront appliquer. Pour l’enseignement en classe de seconde, cet ouvrage contient d’intéressantes réflexions sur la place différenciée des clercs et des laïcs.