« D’un regard l’Autre » ou celle du livre de Benoît de L’Estoile Le Goût des autres.
Michèle Coquet est chargée de recherche au CNRS. Elle a publié des articles dans des revues d’anthropologie (Revue française d’anthropologie). Elle enseigne à l’EHESS et au Musée du Quai Branly.
Arts primitifs, arts populaires, arts savants
L’ouvrage s’ouvre sur un livret de 16 pages couleurs qui amènent le lecteur à s’interroger sur le degré d’exotisme de certains objets. Ainsi, on trouve en regard une magnifique cuillère Zoulou, dont la silhouette évoque l’érotisme du corps féminin, et une cuillère auvergnate d’apparat, de facture assez proche, même si moins suggestive. Ces objets amènent à constater les convergences entre cet art venu de loin et celui de nos sociétés rurales. Ce rapprochement très intéressant est la base de la réflexion de Michèle Coquet. Si, depuis un siècle, l’art occidental moderne et contemporain regarde d’un autre œil les « arts primitifs » (on désigne par ce terme les œuvres réalisées dans les sociétés non occidentales ») et les arts « populaires » (il faut entendre par là les œuvres produites à la campagne et à la ville, en dehors de la sphère des arts « savants »), une hiérarchisation demeure. Pour l’auteur, l’art « primitif » n’est que l’art « populaire » des peuples exotiques.
La mode des arts premiers
Le XXI° siècle est marqué par le regain des arts premiers avec l’ouverture du Musée du Quai Branly ou le toilettage de certains musées ethnographiques. Les objets du genre « primitif », que l’on désigne désormais sous le terme moins péjoratif d’arts premiers, connaissent un succès incroyable sur le marché de l’art. Les arts primitifs sont passés du statut de documents à celui d’œuvres d’art en entrant dans le Musée du Quai Branly. En revanche, l’art « populaire » occidental est en perte de vitesse : le Musée des Arts et Traditions Populaires a fermé ses portes après une courte existence (création en 1937, ouverture seulement en 1972, fermeture en 2005 en attendant l’ouverture d’un Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille). Voir sur ce sujet le livre de Martine Segalen. Vie d’un musée : 1937 – 2005. Stock, 2005
Lire et interpréter les arts des Autres
Michèle Coquet propose quelques clés pour comprendre l’art des Autres. Notre regard sur l’objet est hors contexte. Nous ne savons rien sur la culture dont il vient. Nous ne connaissons pas les mythes de ces tribus et par conséquent, sans explication, ces œuvres ne nous parlent pas. C’est que le préhistorien André Leroi Gourhan appelle les « mythogrammes » (ensemble de motifs qui nécessitent le recours à une glose pour être compris). L’auteur commente quelques œuvres et pour le lecteur, le sens apparaît alors. Elle disserte aussi sur l’importance des couleurs et des matériaux. Son discours est toutefois moins convaincant. En revanche, le rapprochement qu’elle opère entre les fêtes populaires occidentales (telle que celle de la Saint Jean) et celles des peuples « exotiques » est lumineux. Les fêtes, où sont mis en scène les objets présentés dans les musées des arts premiers (exemple : des masques), sont l’équivalent de nos fêtes rurales, qui perdurent encore.
Transposer l’étude du Regard sur l’Autre à l’école
Le livre offre des pistes qui peuvent alimenter la réflexion des enseignants de collège et de lycée. On lira avec bénéfice le chapitre « Les barbares, les ploucs et autres sagouins ». L’auteur y expose une réflexion intéressante sur l’Autre. Elle s’interroge sur le barbare, le sauvage et le primitif. A travers l’exemple de Paul Gauguin, elle montre le double regard que le peintre porte sur l’Autre. A Tahiti, il découvre un Autre exotique qui le fascine. A Pont Aven, l’Autre est le paysan breton, lui aussi source d’inspiration. Son parler et ses habitudes sont exotiques pour un urbain. Cet exemple pourrait être exploité en classe de 4° ou de 1ère dans le cadre des chapitres sur la colonisation et sur l’enracinement de la République.
Copyright Les Clionautes.