Les crises qui ont débuté en Thaïlande par une série d’attaques spéculatives sur le baht sont apparues après plusieurs décennies de résultats économiques exceptionnels en Asie. Les difficultés provenaient principalement d’une combinaison de déséquilibres macroéconomiques, d’évolutions extérieures et de faiblesses dans le système financier et le secteur des entreprises. Les déséquilibres extérieurs étaient dus au niveau élevé tant des entrées de capitaux privés que de l’investissement intérieur privé, et s’étaient trouvés exacerbés, antérieurement à la crise, par l’appréciation du dollar E.U., auquel les monnaies des pays concernés étaient formellement ou informellement rattachées.
La faiblesse des secteurs de la finances et des entreprises était due à plusieurs éléments, notamment : les faiblesses préexistantes des portefeuilles des institutions financières; l’existence d’emprunts extérieurs en devises non couverts, exposant les entités économiques intérieures à des pertes considérables en cas de dépréciation de la monnaie nationale; le recours excessif à l’endettement extérieur à court terme; et des investissements imprudents dans un environnement de bulles de prix sur les marchés boursier et immobilier. Ces évolutions concouraient avec l’arrivée de vagues de capitaux privés et d’une expansion rapide du crédit intérieur, dans le contexte de systèmes financiers libéralisés qui, outre un taux de change rattaché, conservaient des garanties publiques implicites généralisées et dont la surveillance et la réglementation n’étaient pas à la hauteur des périls du marché financier mondialisé.
Dans ces conditions, un changement d’opinion du marché a déclenché effectivement l’engrenage, qui fut difficile à enrayer, de la dépréciation monétaire, des défauts de paiement et des sorties de capitaux. La contagion gagna rapidement dans la région après la dévaluation du baht, à mesure que l’impression se répandait chez les investisseurs que d’autres pays étaient confrontés à des faiblesses similaires, ce qui faisait douter de leur solvabilité. Lorsque les crises finalement s’apaisèrent, une forte proportion des institutions et sociétés financières des pays affectés se trouvaient en faillite.
On peut retrouver dans cette analyse du FMI bien des ingrédients de la crise actuelle avec les crédits subprimes et les bulles s péculatives sur l’immobilier outre atlantique.
Dix ans plus tard, une telle situation semble avoir été réglée et l’économie des pays asiatiques en général s’engage à nouveau dans une démarche conquérante tirée par une locomotive chinoise et un Japon qui semble se refaire une santé.
De ce point de vue la première partie de cet ouvrage présente la Chine comme grand bénéficiaire de cette croissance, s’appuyant sur les atouts du pays, François Gipouloux présente les contraintes de l’économie chinoise, qui sont par ailleurs connues, comme le legs du socialisme, mais aussi les grandes réformes socialement lourdes comme le démantèlement su système des communes populaires et celles touchant au droit de propriété. La Chine est devenue l’une des premières destinations des IDE mais aussi un exportateur de capitaux. La Chine privilégie ses voisins mais multiplie les interventions en Afrique, notamment dans les secteurs énergétiques et miniers.
Dans cet article on retiendra pour ce qui concerne les lignes de fractures, l’hypothèque démographique et la forte progression après plus de 20 ans de politique d’enfant unique du nombre de personnes âgées estimé à 248 millions en 2020. Les contraintes environnementales sont également évoquées. Une partie non négligeable du territoire devrait connaître un stress hydrique en 2025.
Pour ce qui concerne l’évolution politique de la Chine on reviendra sur l’article de Jean-Luc Domenach qui introduit le lecteur aux arcanes des rapports de forces au sein du bureau politique du Parti communiste chinois. Hu Jintao est sorti renforcé du dernier congrès et semble en mesure de conduire le pays sur la voie d’une croissance plus harmonieuse débarrassée des derniers oripeaux du marxisme léninisme. Pour l’instant, la Chine a surtout réussi sa mutation en tant qu’atelier du monde mais doit désormais maîtriser sa croissance et surtout en faire vraiment bénéficier l’ensemble de sa population. Ce n’est pas forcément gagné d’autant plus que l’activisme diplomatique de l’empire du Milieu suscite de l’inquiétude chez ses voisins.
Jean-Pierre Cabestan revient également sur la montée en puissance de la diplomatie chinoise dont les ressorts sont connus. S’affirmer en tant que puissance à part entière face aux Etats-Unis et assurer la sécurité de ses approvisionnements qui lui permettent sa croissance économique. De ce point de vue, les chinois ne cherchent pas à développer un nouvel interventionnisme, sorte de wilsonisme botté à la sauce de soja, mais plutôt à constituer un réseau d’obligés, en s’appuyant sur leurs investissements, des contrats à long terme et des projets de développements non conditionnés politiquement. Les investisseurs chinois sont en effet peu regardants sur les évolutions démocratiques mais se souvient aussi assez peu des impacts sur les pays bénéficiaires en termes d’emploi par exemple.
Seule la question de Taiwan reste un point de blocage et les autorités ont besoin de cet argument à usage interne même si, jeux olympiques obligent, ils en font assez peu cas ces temps ci.
La seconde partie de l’ouvrage traite de la Thaïlande et de l’Indonésie, de jeunes démocraties confrontées à des défis intérieurs mais aussi pour leur développement extraverti, à la concurrence chinoise en terme de coûts de main d’œuvre.
La Thaïlande est toujours confrontée à la rébellion larvée dans le Sud et à l’instabilité de la frontière avec la Birmanie. Le régime qui a connu un coup d’état en 2006 s’appuie toujours sur l’entourage du Roi mais le monarque vieillissant, malgré son prestige, ne semble plus en mesure d’influer longtemps sur les équilibres politiques. La capacité du prince héritier est aussi discutée ce qui amènera, lors des élections de décembre 2007 à s’interroger sur le devenir de la monarchie.
Pour l’Indonésie, la menace islamiste semble avoir été jugulée ainsi que les différentes rébellions séparatistes. Le pouvoir est toujours le résultat d’un équilibre subtil entre le Président SBY et les cercles militaires tandis que les milieux d’affaires sont très vigilants quand au maintien d’un certain ordre dans le pays. Les partis sont également très divisés et les affaires de corruption nombreuses, y compris pour ce qui concerne les aides liées aux Tsunami qui n’a pas encore fini de susciter un débat dans l’opinion indonésienne. Cela pourrait sans doute réactiver les contestations islamistes qui ne seraient plus seulement modérées comme actuellement.
Pour conclure cette présentation, on citera l’article de Jean-Marie Bouissou sur le Japon, affecté par une longue crise économique antérieure à la crise asiatique de 1997, qui semble en mesure de rebondir. Cela est manifeste par un assainissement des situations financières des entreprises, par le maintien des efforts de RD et aussi par une très grande affirmation sur le terrain militaire désignant la Chine comme adversaire potentiel. Le contentieux insulaire des Senkaku au large d’Okinawa, l’enjeu énergétique de l’archipel, amène le Japon à envisager de briser un double tabou, celui de la défense nationale, – un ministère portant ce nom a été crée malgré l’article 9 de la constitution – et celui du nucléaire.
Bruno Modica