« Cet atlas, qui embrasse dix siècles d’histoire de France, expose les étapes de la formation du royaume et explore les dimensions politique, religieuse, sociale, économique et culturelle de la France au Moyen-Age ». Au regard de l’étendue de la période historique, Antoine Destemberg entend livrer seulement quelques points de repère sur la  France médiévale.

La longue durée de la Gaule et le royaume des Francs

L’auteur ouvre cette partie en démontrant la continuité du monde romain en Gaule avant Clovis.

La loi salique, avec ses emprunts au droit romain, serait un exemple de l’intégration des barbares à l’empire.
Les effectifs de l’armée romaine au Ve siècle sont composés à 75 % d’hommes d’origine barbare. Childéric, le père de Clovis est qualifié de « duc de Belgique seconde », ce qui correspond à gouverneur d’une province romaine. Les chefs militaires francs sont vus comme des généraux romains. Childéric portait le paludamentum, le manteau pourpre des fonctionnaires romains.

Bien avant la formation des royaumes barbares wisigoth, burgonde et franc en Gaule, des unions romano-barbares ont contribué à la chute de l’Empire romain d’Occident. Le généralissime Aetius (assassiné par l’empereur Valentinien III en 454) avait favorisé l’intégration des peuples barbares à la défense militaire de Rome. Ils participent donc à repousser les Huns d’Attila (en 451). La défaite du général romain Syagrius à Soissons (486) affirme l’emprise et le début de l’expansion des Francs en Gaule, avant les victoires de Tolbiac et de Vouillé. Clovis se présente comme le successeur légitime du pouvoir romain en Gaule. Tel un nouveau Constantin, son baptême, dont les historiens retardent la date (entre 505 et 508), marque l’aboutissement de ses conquêtes. L’auteur semble faire référence aux travaux récents (2019) de Bruno Dumézil (Le baptême de Clovis : 24 décembre 505 ? aux éditions Gallimard).

L’influence de l’Église dans les structures romaines prend forme avec l’édit de Milan de 323 qui légalise le culte chrétien. Les évêques, issus de la puissante aristocratie gallo-romaine, contrôlent désormais les cités, s’appuyant sur le droit écrit et la loi, fondement de l’ordre politique romain.

Le partage du royaume de Clovis en 511 amorce des rivalités dans le lignage mérovingien de ces « rois chevelus », et fragilise l’unité franque. La montée en puissance des aristocraties régionales se traduit par l’affirmation progressive des Pippinides.

Dans une christianisation progressive de la société mérovingienne, sous l’impulsion d’évêques évangélisateurs, les pratiques païennes tendent à disparaître peu à peu. Le développement du culte des saints et celui des reliques s’accélère. A cette époque, le centre de pèlerinage le plus important de la Gaule reste Tours. Le monachisme joue un rôle majeur dans l’évangélisation des campagnes. Souvent ancrés dans des réseaux aristocratiques, 200 monastères auraient été fondés au cours du VIe siècle en Gaule. La charge d’abbé ou d’abbesse bénéficiait à un membre d’une famille aristocratique. Le moine irlandais itinérant Colomban participe à ce succès. « La proximité, au sein du monastère, entre reliques des saints et corps des ancêtres, visait à assurer la sacralité de la lignée aristocratique et à légitimer d’autant sa domination » (page 19).

Plusieurs pages sont consacrées à l’empire carolingien, qui rassemble 10 millions d’habitants sur un territoire de 1,2 million de km², à l’époque de Charlemagne, perçu comme un nouveau Constantin ou un nouvel Auguste. Les liens de vassalité et la sacralité chrétienne de la royauté franque s’affirment. Les conquêtes se multiplient. Les ambitions impériales se mêlent à une manifestation de la chrétienté du nouvel empire reconstitué, tant sur le plan militaire, administratif et qu’idéologique.

L’auteur insiste sur la prégnance de la romanité dans le monde carolingien. L’héritage romain est mis en évidence par le système palatial franc (centre politique du pouvoir, et organisation des bâtiments). Afin d’enraciner le pouvoir royal, les Mérovingiens adoptent le principe d’une cour itinérante, développant un réseau palatial dans des sedes regni, des domaines ruraux septentrionaux (Palaiseau, Chelles, Clichy, Orléans, Soissons, Compiègne…), contrairement aux palais romains méridionaux et urbains.

Les Carolingiens déplacent le centre de gravité entre Seine et Rhin, agissant dans la continuité du pouvoir pris aux Mérovingiens et dans l’affirmation de la puissance territoriale de la dynastie. L’installation de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, à partir de 807, met un terme à la tradition franque polycentrée. La reconstitution du palais d’Ingelheim (page 22) témoigne par ailleurs de l’influence de l’architecture antique.

Les renaissances carolingiennes, celle de Charlemagne puis celle de Charles le Chauve sont présentées par une carte des principaux foyers intellectuels et artistiques au IXe siècle (page 25), marqués par les implantations monastiques, conservatoires d’une culture romaine christianisée. Le réinvestissement des canons culturels antiques voulu par les élites cléricales s’amorce avec la réforme religieuse contenue dans l’Admonitio generalis promulgué en 789. Cette partie dédiée aux Carolingiens s’achève sur la description des rapports de force et de pouvoir après le règne de Charlemagne : serment de Strasbourg (840) et partage de Verdun (843). Charles le Gros, affaibli au siège de Paris en 885-886 face aux Vikings, meurt en 888. Le comte Eudes de Paris, un Robertien, accède alors au trône, suite à son élection par les Grands du royaume de la Francie occidentale. L’érosion du pouvoir héréditaire carolingien est consommée.

La féodalité dans le royaume capétien

L’auteur dans l’introduction insiste sur la dimension plurielle de la féodalité entre les IXe et XIIe siècles. « Le caractère multiple, dynamique et progressif des transformations sociales » fait renoncer, selon les historiens, à une vision d’un temps d’anarchie. « On n’est plus au Moyen-Age ». (page 31)

Une société d’ordres naît de la féodalité, période où les aristocraties guerrières et cléricales s’imposent sur les hommes et la terre.

En juillet 987 à Noyon, là où Charlemagne avait été couronné roi des Francs, Hugues Capet se fait sacrer. Pourtant la concurrence des princes face au roi prend de l’ampleur.

L’an mil ne doit plus être perçu comme une rupture historique, avec l’avènement de la féodalité. L’accent est mis sur la complexité des relations de pouvoir entre l’autorité centrale royale et les puissants lignages locaux, ces derniers s’appropriant le droit de ban. Le processus de féodalisation est lent. Les principes de la seigneurie castrale sont rappelés ainsi que les relations synallagmatiques féodo-vassaliques.

Le poids de l’Église marque l’Occident médiéval. Dès le Xe siècle, le culte des reliques et les pèlerinages sont en plein essor.

Au-delà du spirituel, l’emprise temporelle (foncière notamment) des ordres monastiques clunisiens et cisterciens s’affirme, en se constituant d’importants domaines qui ravivent des logiques féodales et marquent les paysages. L’ordre de Cîteaux dénombre près de 700 établissements à la fin du XIIIe siècle. Le réseau clunisien n’est pas en reste, avec plus de 800 monastères. Une carte permet de mesurer l’étendue de leur implantation dans le royaume de France médiéval. (page 37)

Comme le montre une autre carte (page 40), le mouvement de Paix de Dieu prend forme particulièrement dans l’espace méridional de la Gaule dans la seconde moitié du Xe siècle. Ces grandes assemblées expiatoires tendent à redéfinir la mission chrétienne des milites, à réduire les violences seigneuriales et les guerres privées, dans le contexte d’une pensée théologico-sociale d’une tripartition fonctionnelle de la société qui émerge.

L’appel de la Terre sainte « est le produit d’une évolution interne à la société occidentale, où se combinent les effets de la féodalité et les aspirations réformatrices de l’Église ». La répartition géographique de l’origine des croisés à la 4e croisade (35 000 hommes probablement) met en avant une localisation majoritairement septentrionale. Le terme croisade qui apparaît qu’après 1250, désigne au départ un pèlerinage armé à destination du Saint-Sépulcre de Jérusalem, ce qui sera effectivement le cas de la première et de la sixième croisade. L’entreprise de colonisation par les Francs de la Terre sainte transplante le modèle féodal (caractère héréditaire du pouvoir, distribution de fiefs à des vassaux).

Le renforcement de l’encadrement pastoral par l’autorité épiscopale sur les laïcs s’accentue. Le Décret de Gratien (vers 1140) compile 4 000 décisions conciliaires. Le concile de Latran IV (1215) oblige les fidèles dans le cadre paroissial à se confesser à Pâques et à recevoir le sacrement de l’eucharistie. Les innovations architecturales de la période gothique confortent la puissance des évêques.

Le « beau Moyen-Age »

Cette partie traite des XIIe et XIIIe siècles, caractérisés par un nouveau dynamisme politique, économique et culturel, correspondant au « temps des cathédrales ».

Désormais « roi de France » et non plus « roi des Francs », Philippe Auguste affirme son autorité royale face aux princes féodaux. Cela traduit la progressive territorialisation du pouvoir, avec l’agrandissement du domaine royal. Par exemple, la prise de Château Gaillard en 1204 entame la reconquête capétienne de la Normandie. Déjà Louis VII, en obligeant l’hommage lige, avait initié la fidélité de ses vassaux.

Signes d’un essor démographique, les espaces urbains se dilatent, intégrant les faubourgs. On compte 700 à 800 villes dans le royaume de France médiéval à la fin du XIIIe siècle. A l’exception de Paris avec ses 250 000 habitants, les grandes cités régionales rassemblent entre 10 000 et 20 000 individus. La ville assure la commercialisation des produits agricoles, elle attire les marchands. Les artisans y développent leur activité. Le mouvement communal a permis aux bourgeois de participer au gouvernement politique de la cité devenue autonome. Ainsi les gouvernements urbains, composés d’une nouvelle élite (échevins, consuls) se dotent d’institutions délibératives, rompant dans une certaine mesure avec les structures politiques de la féodalité. Le beffroi devient le marqueur spatial de cette autonomie politique.

Une carte met bien évidence le grand commerce et le réseau de foires, particulièrement celles de Champagne, plaques tournantes du commerce international, entre Flandre et Italie, qui prospèrent au XIIIe siècle. (page 57)
Au détriment des écoles monastiques, un réseau d’écoles urbaines se met progressivement en place au XIIe siècle, s’appuyant sur la renommée d’un maître, comme le célèbre Pierre Abélard qui a développé l’art de la disputatio. La méthode scolastique basée sur la dialectique l’emporte. La traduction d’œuvres grecques ou gréco-arabes ainsi que l’enrichissement du corpus littéraire latin rénovent les savoirs. L’avènement des universités offre une révolution culturelle et l’opportunité d’un système de promotion sociale par le savoir.

Le XIIIe siècle connaît une croissance démographique d’envergure. Le royaume de France médiéval compte alors probablement 16 millions d’habitants. Selon l’État des paroisses et des feux de 1328, la densité de population est plus élevée dans la moitié nord. Antoine Destemberg rappelle, à juste titre, que l’historien ne dispose que peu de sources (fiables) pour étudier la démographie médiévale. Quelques tendances toutefois se dégagent pour ce siècle : la mortalité infantile s’établit à 50 % avant l’âge de 10-12 ans, il faut compter 5 à 6 enfants par couple (au lieu de 3 à 4 au XIe siècle), l’espérance de vie a largement augmenté pour atteindre 35 ans (22 ans vers 1100).

L’automne de la France médiévale

Cette dernière section de l’Atlas de la France médiévale aborde la période XIV-XVe siècle qui renvoie à la guerre, la peste, la famine, les schismes religieux et autres révoltes.

On assiste du règne de Louis IX à celui de Philippe le Bel à un basculement de la notion de souveraineté : la royauté féodale s’efface peu à peu pour une monarchie de droit divin, juridique et administrative. La construction de l’Etat moderne s’amorce. Le palais de la Cité incarne cette évolution. Le processus de « démembrement de la curia regis » (la cour du roi) est engagé (pages 72 et 73).

La guerre, la justice et l’impôt deviennent un monopole royal.

Le schéma de la disposition des tombeaux des rois dans la basilique de Saint-Denis devenue nécropole royale (page 71) met en évidence la volonté affichée de produire une continuité dynastie basée sur un seul et même lignage. Les Mérovingiens et les Carolingiens occupent le côté sud, les Capétiens le côté nord, tandis que les sépultures de Philippe Auguste, Louis VIII et Saint-Louis sont placées au centre.

De cette dernière période du Moyen-Age, marquée de turbulences, l’auteur aborde les thèmes de la papauté à Avignon, la peste noire, la guerre de Cent Ans, la crise économique, les révoltes populaires.

Cet atlas publié aux éditions Autrement constitue un solide point départ pour entamer l’exploration de la France médiévale. Très riche en informations, il donne les bases nécessaires pour ensuite prolonger l’étude d’un point précis. On peut aussi y voir une approche plus universitaire de ce qui est enseigné dans le secondaire. Les supports cartographiques ou schématiques qui accompagnent les éléments textuels sont bien choisis et porteurs de sens. Relever le défi de synthétiser en 96 pages illustrées, dix siècles d’une France médiévale, avec ses caractéristiques, ses ruptures, ses continuités, ses mutations, ses innovations, peut paraître un exercice périlleux. Il faut admettre que le résultat est convaincant.