La France de l’époque moderne est un pays profondément agricole où deux Français sur trois sont des paysans. En même temps, la mer et les océans ont représenté le gagne-pain quotidien pour des milliers de marins pêcheurs. La démarche de Silvia Marzagalli et Patrick Pentch vise à offrir une vision d’ensemble de l’interconnexion, du tissu foisonnant des ports de France et de leur navigation à la fin des années 1780. Cet ouvrage s’appuie sur une documentation largement inédite. Il s’agit de penser les échanges maritimes comme un système et de multiplier les points de vue.

Tableau général de la France à la fin du XVIIIe

Le moment saisi et cartographié s’inscrit à l’issue d’un siècle de forte croissance des échanges, rythmé par l’alternance des périodes de guerre et des années de paix qui imposent des stratégies de navigation différentes. La question de l’esclavage est essentielle et il faut noter aussi la contradiction entre un système d’échange, qui se veut national, et une demande qui est fortement internationale. La traite négrière est un commerce structurant mais pour une poignée de grands ports. On dispose de beaucoup d’études sur les trafics au long cours et plus spécifiquement sur les ports français au XVIII ème siècle. L’ère numérique contribue à modifier les pratiques de l’historien. Une base de données, le Navigocorpus, a d’ailleurs été constituée et sert dans cet ouvrage.

Les auteurs

Silvia Marzagalli est professeure d’histoire moderne à l’Université Côte d’Azur. Spécialiste du commerce en temps de guerre et de la navigation, elle avait participé au volume de l’Histoire de France chez Belin consacré à 1789-1815. Patrick Pentch est dessinateur et cartographe à Aix-Marseille Université. Il a été responsable de la cartographie de « L’Atlas des migrations en Méditerranée, de l’Antiquité à nos jours ».

Un littoral sous surveillance   

A la fin de l’Ancien Régime le littoral français est placé sous le contrôle de l’Etat, aussi bien pour des raisons militaires que pour canaliser la navigation et orienter les flux de marchandises commercialisées en suivant les objectifs fixés par la politique économique. C’est une époque où les tracés des façades sont reconsidérés. Le système des classes est une forme de conscription à vie qui pèse sur les gens de mer en France et sur le personnel de navigation fluviale. Ce système permet au roi de puiser rapidement en cas de guerre parmi l’ensemble des gens de mer. Au cours de l’époque moderne, les principaux ports de l’Europe méditerranéenne ont mis en place un système de veille sanitaire et de contrôle de circulation destiné à éviter la propagation de la peste. On voit des plans du lazaret de Marseille.

Les sources de l’enquête

Le Navigocorpus se fonde notamment sur les autorisations au départ appelées congés, mais ce type de document n’est pas complet. Quand ils existent, ils comportent néanmoins le nom du navire, du capitaine, la destination, les produits exportés. L’historien dispose aussi des sources du bureau de la santé de Marseille. Le bureau de la balance du Commerce est lui créé en 1713 et il est chargé de la collecte des données sur les flux du commerce. L’autrice évoque également le site slavevoyage qui est une base de données sur les traites négrières. Elle répertorie les 36071 expéditions négrières transatlantiques entre 1514 et 1866. Le chercheur a la chance de disposer des registres de l’Oresund qui sont des registres quasi complets depuis 1574. Le Navigocorpus permet d’étudier la navigation d’un port comme Morlaix où le registre des congés n’existe plus.

Des ports et des navires

Les voies fluviales et maritimes permettent de connecter les marchés bien qu’imparfaitement. Il y a plusieurs façons de classer les ports avec, par exemple, la taille des navires. Il faut faire attention au dense maillage de connexions locales, régionales. Globalement, le tonnage moyen des navires tend à être plus important dans les ports de la Manche que dans ceux de la façade atlantique. La présence étrangère est inégale.

Les aires commerciales des ports français

Une partie seulement des ports français expédient des navires vers les mondes extra européens, l’Europe ou l’empire ottoman. A la veille de la Révolution, la France dispose d’une vingtaine de ports directement connectés aux marchés extra européens, dont cinq seulement s’inscrivent dans une dimension mondiale. Une carte créée par le croisement de nombreuses informations permet de distinguer une façade atlantique exportatrice et des provinces davantage importatrices comme la Normandie. On voit l’aire commerciale d’un arsenal avec l’exemple de Brest. Le chercheur peut également livrer une géographie commerciale du sel français. C’est un pondéreux de faible valeur mais il est indispensable à la vie des hommes et du bétail. Avec le vin et les céréales, le sel appartient à la trilogie des produits qui dominent en volume les échanges maritimes depuis le Moyen Age.

Les pavillons étrangers sur les côtes de France

Parmi les pavillons étrangers présents en France, le britannique est de loin le plus important tant en nombre de navires qu’en tonnage. Le livre évoque également les flottes scandinaves et on dispose par exemple de l’itinéraire de navires suédois. Il évoque également les Américains et les Hanséatiques.

La pêche française

Les contemporains distinguent trois types de pêches qui renvoient à une organisation, des marchés et des circuits diversifiés : la pêche hauturière à la morue, la pêche côtière, la petite pêche. La première produit à la fin de l’Ancien Régime la moitié de la valeur de la pêche française. L’autrice évoque la pêche sur les côtes de Terre-Neuve ou encore à Saint-Pierre-et-Miquelon. Parfois, un tableau comme celui d’Horace Vernet permet de visualiser des pratiques comme celle de la pêche au thon.

Traite négrière et commerce colonial

Les circuits coloniaux sont encadrés par le souverain. La majorité des denrées coloniales importée exclusivement en France est ensuite réexportée vers les marchés nord européens ou vers l’empire ottoman. Ce système repose sur 700 000 esclaves. Les produits issus des colonies pèsent pour un tiers dans la balance du commerce de la France. La navigation vers les Antilles est dominée par Bordeaux et trois autres ports. Depuis 1740, Saint-Domingue est le principal producteur de sucre au monde. Le siècle des Lumières est paradoxalement celui qui a connu la déportation forcée la plus massive de l’époque moderne. Nantes s’affirme au XVIIIe siècle comme le premier port négrier français. Le chapitre s’arrête sur le cas bien documenté du navire « la Marie Séraphique ». Silvia Marzagalli détaille le cas de Bordeaux.

Au-delà du cap de Bonne-Espérance

En France ce n’est qu’en 1664 qu’une Compagnie des Indes orientales d’envergure est fondée. Lorient devient une porte vers l’Orient et le monde. Jusqu’en 1769, la France garde jalousement son monopole sur la navigation au-delà du cap de Bonne-Espérance. En 1785, le commerce avec l’Asie redevient le privilège de la Compagnie des Indes orientales rétablie avec l’appui de Calonne. La fin de la guerre de Sept ans ouvre une saison riche en expéditions dans l’Océan Pacifique où intérêts politiques, scientifiques et économiques s’entrecroisent.

La France méditerranéenne à l’heure de la mondialisation des échanges

Marseille apparait comme une ville mondiale. Au cours du siècle, elle exporte des quantités croissantes de sucre et café antillais en renversant les directions des échanges de ces produits qui arrivaient jadis en Occident depuis le Levant. La navigation française est très vulnérable aux conflits européens, conflits dans lequel les rois de France s’engagent une année sur deux entre 1689 et 1715. Sur les trajets sensibles, l’Etat monarchique organise des convois armés pour protéger.

 

Cet ouvrage s’appuie donc sur de nombreuses cartes et illustrations. Silvia Marzagalli insiste aussi sur l’importance des données fournies et traitées par l’informatique. Si les nouvelles données collectées confortent ce qu’on savait déjà sur quelques grands courants commerciaux, elles permettent une vue d’ensemble inédite qui questionne aussi quelques évidences. Le livre permet ainsi de mesurer le poids du micro-cabottage ou des circulations de proximité. Cet ouvrage a été conçu comme une « balise et l’odyssée continue » selon les propres termes de Silvia Marzagalli.