Parmi la montagne de livres qui sortent sur la Première Guerre mondiale, les éditions Autrement proposent un atlas, qui est une édition revue et augmentée d’un précédent ouvrage. Il se termine par des annexes constituées d’une chronologie, de biographies avec renvoi vers les pages où apparaissent les personnes citées, une bibliographie et enfin un index. Un code couleur sépare les trois parties du livre. L’auteur Yves Buffetaut est docteur en histoire et travaille depuis trente ans sur la Grande guerre. Il a déjà publié de nombreux ouvrages sur cette guerre. Fabrice Le Goff est cartographe et collabore depuis longtemps aux éditions Autrement.

Peut-on traduire la Première Guerre mondiale en cartes ?

La question peut sembler paradoxale, mais elle est évoquée dès l’introduction. En effet, celle-ci met l’accent sur deux points, à savoir la relation particulière de la Première Guerre mondiale et des cartes mais aussi le fait qu’il ne faut pas oublier les hommes dans la guerre. « Chaque flèche qui se superpose à une ligne de tranchée correspond à des centaines ou des milliers de morts ». Rappelons que l’approche du conflit dans le cadre scolaire met de plus en plus l’accent sur le combattant. Il suffit pour cela de songer à l’angle du programme de 3ème ou 1ère autour de « l’expérience combattante ». L’ouvrage est structuré en trois parties : le monde en 14, une forme de guerre nouvelle et un monde nouveau et instable. C’est une approche classique entre un avant, pendant et après. Une conclusion sous forme d’une double page à la fin de chaque partie en transition avec la suivante. Les habituels verbatim sont insérés dans les double pages : il s’agit souvent de citations ou de réflexions.

Le monde en 1914

Une douzaine de pages est consacrée à cette avant-guerre. L’auteur revient sur quelques aspects dont la question des nationalismes ou encore des puissances économiques. On trouve également une carte sur Sarajevo avec le déroulé de l’attentat puis une sur l’engrenage page 21. En dehors de ces documents, il s’agit de cartes plus classiques, et pour certaines, elles n’intéresseront que les spécialistes comme celle qui détaille le plan XVII avec les armées françaises à la veille des offensives. Des informations sous forme de texte complètent les cartes et c’est l’occasion de rappeler qu’à l’époque on craint 13% de réfractaires en France alors que le chiffre final tourna plutôt autour d’1,5 %. Un paragraphe intéressant porte sur la question des responsabilités, une des questions historiographiques qui revient souvent encore aujourd’hui. Pourtant, on pourra noter que cela est apporté par du texte, et non par des cartes évidemment.

Une histoire batailles

L’ouvrage poursuit son approche chronologique avec une quarantaine de pages. On trouve des documents parfois très précis sur le conflit, mais aussi une volonté de sortir du seul cas ouest-européen et une tentative d’intégration de problématiques et travaux plus récents. Certaines cartes se révèlent donc particulièrement complexes comme celle qui s’intéresse à la bataille des frontières entre le 17 et 24 aout 1914. Extraite d’un atlas militaire, elle est plutôt destinée aux experts. L’ouvrage traite ensuite quelques grandes batailles symboles comme celle de la Marne, Verdun ou celle de la Somme. La bataille de la Marne a droit à deux doubles pages avec des cartes décrivant la situation sur 6 jours en détail. A chacun de voir selon ses centres d’intérêt.

Une approche large

L’auteur évoque aussi bien la question de la Russie, de la Roumanie, de la Serbie ou encore de la Bulgarie. Le Moyen-Orient n’est pas oublié avec un focus sur le canal de Suez et un sur les opérations de Palestine entre mars 1917 et octobre 1918. Yves Buffetaut traite également de la Turquie et des Dardanelles. On retrouve aussi une double-page sur l’entrée des Etats-Unis en guerre. Des aspects techniques sont évoqués avec l’avènement de la guerre sous-marine. Une carte permet de visualiser les navires coulés en Grande-Bretagne.

Les hommes dans la guerre

Le communiqué de presse insiste sur le fait que l’ouvrage met l’accent « sur la vie des tranchées, le rôle des femmes… ». Après avoir lu le livre, il faut avouer que cette part est très faible. L’approche par les cartes permet-elle cela ? On est davantage ici dans un atlas où le sous-titre est important, à savoir la chute des empires européens et il est objectivement difficile de traduire certains acquis de la recherche en cartes ! Il y a néanmoins plusieurs double pages où l’on parle des tranchées, mais aussi des mutineries et du phénomène de la démoralisation. Le fait d’étudier le phénomène à plusieurs échelles est intéressant ainsi que le paragraphe sur les émeutes de la faim en Allemagne.

Après la guerre

Ce thème a droit à une vingtaine de pages. La page 71 rassemble en carte « les traités et conférences de paix » avec une approche large puisqu’elle s’étend de 1919 à 1932. On peut s’interroger en revanche sur quelques choix graphiques, comme ce diagramme circulaire décrivant le vote du Sénat américain sur le traité de Versailles. Il y a parfois un effet redondant comme sur le bilan de la guerre , entre le texte, qui donne quelques chiffres, et la carte qui les répertorie également en partie ! Sur les lendemains de guerre, une double page aborde la Turquie vaincue avec un paragraphe sur le génocide des Arméniens. On lira aussi quelques éléments sur la Société des Nations et enfin les lieux de mémoire.

Cet atlas de la Première Guerre mondiale essaye donc de traduire en cartes ce que fut ce conflit. Si la dimension cartographique est une composante essentielle du conflit, elle peine parfois à en englober tous les aspects, surtout lorsqu’il faut donner à voir l’homme dans la guerre. L’avertissement introductif de l’auteur se révèle donc fort juste : « nous invitons le lecteur à ne pas succomber à la même malédiction de la carte que le général Joffre ».

© Jean-Pierre Costille, Clionautes.