Renaud Duterme, enseigne la géographie en Belgique. Il est un collaborateur actif du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégétimes). Après La dette cachée de l’économie (2014) et De quoi l’effondrement est-il le nom ? (2017), il propose cet ouvrage dans la lignée de la géographie radicale chère à David Harvey ou à Mike Davis, mouvement qui remet en question le capitalisme.

En deux-cents pages, l’auteur dissèque les dimensions spatiales du capitalisme, mettant en évidence un appétit territorial infini, inscrit dans un espace fini, la Terre.

La question des flux, la dialectique centre-périphérie, l’expansion territoriale du crédit (cf le micro-crédit dans les PMA), la conflictualité et ses promesses de gains territoriaux, ou encore les FTN appuient son propos. Selon R Duterme, ces dernières sont guidées par des choix géographiques visant à contourner des législations (sociales, fiscales, environnementales), qui dépassent la trilogie force de travail – ressources naturelles – débouchés commerciaux, elle aussi éminemment spatialisée.

Avec la conteneurisation, le transport aérien généralisé et la diffusion d’Internet, le capitalisme n’a pas abattu ses dernières cartes. De nouvelles niches s’offrent à ses desseins. Les délocalisations s’opèrent par exemple à de nouvelles échelles, comme en Chine avec la dynamique est-ouest.

Finitude et expansion

A terme,  »la finitude de notre planète et le manque de nouveaux marchés ne peuvent qu’exacerber les rivalités » (p91), porte ouvertes à des guerres, elles-mêmes menées à crédit.

Le néo libéralisme qui vise à faire  »de l’Etat le facilitateur et le garant d’un système complet de marchés concurrentiels » (p94) donne à la géographie un poids croissant dans les processus décisionnels des FTN ou des groupements d’Etats. Mais il marque également une certaine déterritorialisation des élites hypermobiles, emblématiques de cette mondialisation. A contrario, parmi les classes populaires s’observe un attachement au territoire.

Paradoxalement, la problématique des frontières revêt deux aspects : utile au capitalisme par l’exploitation des différentiels, la frontière peut se muer en obstacle. Qu’à cela ne tienne, les FTN attaquent de plus en plus souvent en justice les Etats  »résistants ». Les frontières, et singulèrement les murs, objet du XXIè siècle selon l’auteur (p145), ouvrent de nouveaux marchés à l’ingénierie sécuritaire (cf Boeing pour le mur entre Mexique et Etats-Unis) tout en mettant en évidence une certaine gestion des flux migratoires, autre outil territorialisé du capitalisme.

Anthropocène ou capitalocène ?

L’ouvrage s’achève sur une réflexion écologique dans laquelle R Duterme suggère, à la suite d’Armel Campagne (Le capitalocène, 2017), de remplacer le fameux vocable anthropocène par capitalocène. Les énergies fossiles, petites filles de l’extractivisme qui mobilisent là encore l’espace au service du profit, montrent qu’elles ont permis au capitalisme de se détacher de contraintes spatiales – celles liées à l’énergie hydraulique par exemple – pour conquérir de nouveaux territoires. L’automobile et la périurbanisation, promues par le pétrole, ont constitué de formidables gisements de croissance au capitalisme du XXè siècle, en termes de financements d’infrastructures entre autres. Songeons aux rocades, autoroutes, riches d’externalités spatiales, ces éléments qui n’entrent pas en compte dans le calcul du profit (p162).

Enfin, R Duterme avance que deux nouveaux réservoirs de profit -moins évidents de prime abord – sont déjà exploités : le marché de la sécurité, lié aux catastrophes et donc à la diversité des espaces des sociétés, et celui de la destruction des écosystèmes, source de marchandisation de la nature, autre composante de l’espace terrestre.

Au terme de cette lecture, une multitude d’images viennent à l’esprit, émanant de l’actualité internationale et révélatrices de ces enjeux autour de la marchandisation de l’espace qui taraudent l’Homme du XXIè siècle.

Vincent Leclair