Timothy Brook est un historien canadien, professeur d’université, il enseigne à Vancouver et Shanghaï. Spécialiste de la Chine, il travaille sur les relations que ce pays a tissées avec les autres régions du monde. Le livre qui l’a fait connaître, en France, auprès d’un large public, bonheur de lecture et d’intelligence, est Le chapeau de Vermeer : Le XVIIème siècle à l’aube de la mondialisation (Payot, 2010 et 2012 pour l’édition de poche).

                « Une histoire mondiale de la Chine» : dès le titre, le lecteur retrouvera dans cet ouvrage la volonté de l’auteur d’insérer l’histoire d’un pays, ici la Chine, dans une « perspective résolument globale » (p. 19) et de mettre en évidences liens, relations et tensions entre des espaces et des Etats, fort éloignés, comme le fait l’ouvrage dirigé par Patrick Boucheron, évoqué d’ailleurs par T. Brook. Dans la préface à l’édition française, l’auteur précise son propos. Il a, dit-il, « voulu sortir de l’enceinte académique de la sinologie » et « utiliser un style délibérément descriptif » afin de s’adresser à un large public. Amateurs de longues notes de bas de page ou d’écriture très dense, vous voilà prévenus ! Vous pourrez, cependant, vous reporter à la trentaine de pages de notes en fin d’ouvrage qui présentent, en particulier, une solide et stimulante bibliographie dans laquelle dominent des ouvrages récents, en grande partie anglo-saxons. En effet, l’auteur est canadien, est-ce cela qui explique qu’il commence la préface à l’édition française par « je » et qu’il n’hésite pas à évoquer son expérience personnelle comme il le faisait dans Le chapeau de Vermeer ? Cela surprend parfois certains lecteurs français mais se révèle fort agréable à la lecture.

L’ouvrage est composé de treize chapitres qui balaient l’histoire de la Chine sur plusieurs siècles et porte sur les « relations qui se sont noués entre Chinois et non-Chinois au cours des huit derniers siècles » (p. 30). Comme l’indique T. Brook, en exergue de son ouvrage en citant des auteurs chinois, il s’agit de rechercher tant les « principes communs à l’Est et à l’Ouest » que, « frontière suprême », les différences entre Chinois et « étrangers » qu’ils soient asiatiques ou occidentaux. La plupart des chapitres sont centrés sur une ou deux personnes : « Le grand khan et son portraitiste », « L’eunuque et son otage », « L’anglais et l’orfèvre »… Ce qui permet aux différents récits d’être davantage incarnés et prenants. Reste que comme la plupart des acteurs choisis ont une position sociale relativement éminente, rares sont les femmes. Chaque chapitre revient sur un moment historique jugé important ou révélateur des relations que la Chine et les Chinois entretiennent avec le reste du monde : relations avec les Européens à Java au 17° siècle, invasion des Mandchous (1644), fin de l’occupation japonaise… Les lieux où se déroulent chaque chapitre ne sont pas limités aux frontières de l’actuelle République populaire de Chine mais sont divers et révélateurs des contacts entre Chinois et autres peuples au fil des siècles étudiés.

Il ne saurait être question de « spoiler », comme disent les jeunes, l’ouvrage mais les premiers chapitres rappellent l’importance des Mongols dans l’histoire mondiale et dans celle de la Chine. Comme l’écrit joliment l’auteur : « Le siècle de domination mongole … n’a pas … glissé tel un nuage éphémère sur une Chine éternelle » (p. 59) et la conception du pouvoir suprême en a été transformée. Au milieu du 14° siècle, ces mêmes Mongols ont fait cadeau de la peste à la ville assiégée de Caffa, à partir de laquelle ce fléau s’est répandu dans tout l’Occident, c’est assez connu[1]. La Chine, reliée à l’Asie intérieure dont les routes étaient sillonnées par les marchands et les soldats, a-t-elle été touchée par cette pandémie ? En fut-elle le berceau ? L’auteur étudie ces questions dans le chapitre 3 de son livre et avance des éléments de réponse. Par ailleurs, au 17ème siècle, la Chine fut envahie par une « armée de Mandchous » qui prirent alors le pouvoir dans cet immense empire.

Plusieurs chapitres portent sur les relations avec d’autres peuples d’Asie à des moments différents. Au début du 15° siècle, le Grand Etat Ming qui possédait une flotte importante envoya des hommes sur l’île de Ceylan. L’auteur parle même dans le chapitre 4 (« L’eunuque et son otage ») d’une « suprématie Ming dans l’océan Indien » alors, qui dure peu cependant (p. 139). Le chapitre 6 présente les « mésaventures » d’un marchand de chevaux coréen qui se lie d’amitié avec un chinois. Il permet d’évoquer la suspicion d’une grande partie des Chinois envers les étrangers. Le procès, en 1946, d’un homme qui a collaboré activement avec les Japonais pendant la guerre est le point de départ du chapitre 13. Celui-ci présente les premières années du 20ème siècle en Chine, la montée du nationalisme chinois mais aussi les étapes de l’occupation japonaise.

Les relations avec les Européens donnent, bien sûr, lieu à plusieurs chapitres qui reviennent sur des moments différents. Comment les Chinois et le gouvernement de l’empire ont-ils réagi à l’arrivée des Portugais qui cherchent à commercer au début du 17ème siècle à Canton ou à la présence de Jésuites européens (et chinois) dans leur pays ? Quelles relations ont entretenu Anglais et Chinois au-delà de l’empire, à Java ? Tels sont les sujets des chapitres 6, 7, et 8 ? Quant au regard des Européens sur les Chinois, il est présenté dans les chapitres 11 et 12.

Enfin, T. Brook n’oublie pas que la Chine a été aussi une puissance expansionniste et est, de nos jours, une puissance néo-coloniale par nombre d’aspects. La domination du Tibet puis son occupation ou la politique répressive menée dans le Xinjiang sont traitées ainsi que la négation actuelle par la République populaire de Chine de l’indépendance de Taïwan qui donne lieu de sa part à nombre de manœuvres. Concernant les relations que la RPC entretient avec plusieurs pays d’Afrique ou d’Amérique latine à qui elle a prêté de l’argent, et qui se retrouve très endettée,  l’auteur parle de « néohégémonie » et de néo-colonialisme de la part de la Chine.

Un livre des plus intéressants sur une Chine encore insuffisamment connue de nombre d’enseignants d’histoire[2] et dont certains chapitres marient, comme l’ouvrage précédent cité plus haut, plaisir de la lecture et stimulation intellectuelle.

[1] Quoique l’anglo-saxonne et récente bibliographie citée en notes page p. 488-491 puisse donner envie de rafraichir les souvenirs anciens des ouvrages de Jean-Noël Biraben aux éditions Mouton.

[2] Une brève chronologie aurait été bienvenue pour ceux qui, comme le rédacteur de cette note, ont des connaissances trop limitées sur l’histoire de la Chine avant le 20ème siècle.