La Shoah, un objet historique toujours renouvelé
En effet, dès l’introduction, l’auteur souligne que les derniers travaux en cours ont tendance à augmenter le bilan chiffré de la Shoah pour tendre vers 5,9 à 6,2 millions de morts, c’est-à-dire plus de la moitié des Juifs d’Europe et plus du tiers des Juifs dans le monde. L’auteur souligne également que cartographier la Shoah peut permettre de poser autrement les questions comme celles qui portent sur les lieux, les chronologies ou encore les modalités de l’extermination. Il souligne enfin cette question lancinante des causes : « si la Shoah n’a pas de cause à proprement parler, elle a des racines culturelles et sociales ».
De l’émancipation à la persécution
Georges Bensoussan avance le fait que l’antisémitisme était un sentiment diffus dans la société du XIXème siècle, comme une sorte de façon de se rassurer dans des sociétés en pleine transformation. Il évoque ensuite la question de l’adhésion au nazisme et il précise combien le désarroi social fut un moteur profond. Un document utile récapitule la chronologie des exclusions et des violences entre 1933 et 1939 en Allemagne. Sur un temps plus long, c’est-à-dire entre 1933 et 1945, la persécution des Juifs a donné lieu à plus de 2000 lois, décrets…On découvre une accélération à partir de 1938 et Georges Bensoussan livre de très nombreux exemples. La conclusion de cette partie est fondamentale : « il n’y a pas de plan préétabli » et il montre en même temps combien le thème de l’antisémitisme fut mobilisateur.
De l’enfermement au meurtre de masse
L’auteur rappelle d’abord ce paradoxe : plus l’Allemagne gagne au début de la guerre, plus elle a de Juifs sur son territoire. Il parle de la place de l’eugénisme dans la société de l’époque en expliquant que la primauté du biologique est la matrice de l’assassinat des Juifs d Europe. Après le cas du programme T4, plusieurs pages sont consacrées aux ghettos. C’est une solution que l’auteur qualifie d’improvisée et il développe le cas de Lodz, moins connu sans doute que Varsovie. Il donne des chiffres hallucinants et propose des références et extraits de témoignages. Ainsi, avant guerre, dans la communauté juive, la mortalité s’élevait à moins de 1 % et elle monte à 16 % en 1942 hors déportation. Il précise concernant le ghetto de Varsovie que celui-ci comptait en 1941 plus de Juifs que n’en comptaient alors la France et la Belgique réunies. Une carte proposée page 31 montre l’accélération des mesures génocidaires à partir de 1941. L’auteur consacre une double page aux Tsiganes. Le chapitre se termine sur les Einsatzgruppen et cite le chiffre de 1,5 voire 2 millions de morts à leur imputer.
Le génocide à l’échelle d’un continent
C’est la partie la plus volumineuse du livre avec plus de 40 pages. De nombreux documents sont ici rassemblés et pourront servir en cours. Georges Bensoussan insiste pour dire que la Shoah s’est déroulée en grande partie hors du monde concentrationnaire comme le montre le bilan des Einsatzgruppen par exemple. L’année 42 est l’acmé du génocide avec 2,7 millions de morts. Plusieurs pages ensuite parlent d’Auschwitz et rappellent combien aujourd’hui ce lieu est la métonymie de la Shoah alors que c’est un lieu atypique dans le processus d’extermination. C’est “plutôt la forme dernière d’un processus d’assassinat qui procéda longtemps par tâtonnements” dit l’auteur. Pour restituer sa place à l’humain, Georges Bensoussan propose des itinéraires de déportées comme Ida Grinspan.
La suite du chapitre aborde des cas souvent moins connus comme l’Europe du nord. On voit de radicales différences avec le sort tragique des Juifs des Pays-Bas. Il en explique les raisons en soulignant le légalisme de administration et l’urbanisation importante qui favorisait les arrestations. Il évoque ensuite le cas français puis de nouveau propose une décentration avec le cas de la Hongrie, de la Slovaquie ou encore du Proche-Orient. Tout ceci nous ramène sans cesse à une question obsédante sur qui savait quoi et quand. Georges Bensoussan y consacre une double page autour du secret mais prolonge ensuite avec une approche mondiale.
Liquidation et bilan d’un désastre
Il évoque dans cette courte partie les marches de la mort. Il précise que 1,5 million d’enfants juifs de moins de 14 ans ont été exterminés. Le bilan de la Shoah se répartit entre 15 % de morts dans les ghettos, 35 % dans les fusillades et 50 % dans les centres de mises à mort et les marches de la mort. Le livre se termine en évoquant « migrants, personnes déplacées et camps de transit ».
L’ouvrage de Georges Bensoussan est très clair et permet d’actualiser certaines données sur la Shoah. Il offre aussi de nombreux documents exploitables en cours. Un ouvrage à posséder.
© Jean-Pierre Costille, Clionautes