Propos de l’éditeur. « 5 octobre 1940. Henri Gautier est arrêté lors d’une grande rafle parisienne, comme des centaines d’autres syndicalistes et communistes. Interné à Aincourt, puis au camp de Châteaubriant, il participe activement avec ses camarades métallos à l’organisation clandestine qui se met en place, avec un seul objectif : résister. C’est que Gautier n’en est pas à son coup d’essai. Le petit chaudronnier du Havre a gravi un à un les échelons du syndicat CGT des Métaux pour devenir, à l’aube du Front populaire, l’administrateur de ses réalisations sociales. Maison des métallos, polyclinique des Bluets, parc de loisirs de Baillet : autant d’acquisitions destinées à améliorer le sort des ouvriers.
Mais en octobre 1941, le camp de Châteaubriant devient le théâtre de l’une des tragédies de l’Occupation. Vingt-sept détenus du camp, désignés comme otages, sont fusillés en représailles à un attentat contre un officier allemand. Parmi eux, Guy Môquet, mais aussi Jean-Pierre Timbaud, le plus fidèle compagnon d’Henri Gautier. Dès lors, ce dernier n’aura plus qu’une idée en tête : venger son ami.
Un mois plus tard, lorsqu’il parvient à s’évader, Gautier entame son dernier combat, dans la clandestinité, auprès des ouvriers parisiens de la métallurgie.
Itinéraire d’un héros ordinaire, D’espoir et d’acier nous révèle un homme discret mais déterminé, auteur de lettres d’une infinie tendresse qu’il envoie, captif, à sa compagne Marcelle et à leur fille Michèle.
Par la force du récit et des illustrations, se mêlent l’euphorie du Front populaire et l’enfer des camps, l’action clandestine et la solidarité face au tragique des événements, la solitude et la puissance du collectif.
En fin d’ouvrage, des documents d’archives et des photographies restituent le contexte de l’époque ».
L’ouvrage de Jessie Magana a tout du roman. L’écriture est alerte ; l’attention du lecteur est maintenue en permanence, notamment par l’utilisation de toute la palette de ce qui constitue le drame ; les personnages échangent des propos… Et pourtant, ce travail repose sur une connaissance très précise de la biographie d’Henri Gautier : la présence du directeur du Maitron, Claude Pennetier, dans les sources et les remerciements, ne doit évidemment rien au hasardPrécisons que toutes les biographies du Maitron sont librement accessibles à tous, à commencer par la notice d’Henri Gautier.. Mais l’auteur reprend également des souvenirs familiaux : ceux de Michèle Gautier.
Cela donne une teinte particulière à la biographie. On a les yeux d’Henri Gautier au sein du camp d’internement, quand il s’entretient avec Auguste Delaune, Jean Timbaut ou Léon Mauvais. On s’émeut avec lui, quand il attend la venue de sa femme et de sa fille, lors des trop rares visites permises. On est avec lui quand il entre dans la clandestinité, après avoir été hébergé par Léon Viaud, quand il épie discrètement sa fille sortant de l’école. Et on souffre avec lui, après les séances de torture qu’il subit, tant des services français qu’allemands, et lors de sa déportation. On ressent son épuisement, notamment à Mauthausen, quand il fait ses adieux à Mickey… On est partout avec lui et on l’accompagne presque jusqu’à sa fin, au cours des marches de la mort, aidés que nous sommes par les illustrations de Stéphane Vassant.
Voilà pourquoi on se surprendra à lire D’Espoir et d’acier — car c’est bien de cela dont Henri Gautier est constitué, malgré ses faiblesses physiques liées aux conditions de travail qu’il a subies très jeune — d’une seule traite. Et c’est précisément l’intérêt de ce livre, qui, en plus d’être adossé à une solide documentation, que de s’adresser à un public très large — on pense bien sûr aux élèves, mais pas seulement eux. C’est aussi par ce genre de moyen, entre autres, que le travail opiniâtre et patient des auteurs des notices du Maitron — j’en sais quelque chose — pourra être mieux connu, utilisé, et encore mieux reconnu.
Mais au-delà de cet aspect, c’est aussi dans une contre-société qu’il nous est donné de pénétrer (une sorte de religion, comme le dit le curé qu’Henri Gautier croise à Mauthausen). Si l’on n’a pas d’interminables réunions de cellules, l’auteur nous montre par exemple comment se construit la solidarité à l’intérieur du groupe, quelles que soient les circonstances. Elle se concrétise par les établissements que la CGT réunifiée en 1936 développe pour ses adhérents — on comprend pourquoi Henri Gautier interroge de nouveaux déportés sur la présence d’une sécurité sociale, quand ils lui apprennent que le CNR a adopté un programme commun avec d’autres organisations que le Parti et la CGT. On la perçoit quand le gouvernement républicain cherche à détruire toute la structure communiste et, plus encore, dans le camp d’internement et à Mauthausen ; mais là, ce sont Vichy et les forces d’occupation qui sont à la manœuvre. On l’éprouve encore quand le parti se reconstitue dans la clandestinité, et tend la main aux autres organisations. Ce sont de telles valeurs, réellement républicaines, qu’il s’agit de défendre, en y initiant d’abord nos élèves, par une pratique de tous les jours.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes