Voici le quatrième volume de la collection Atlas/Mégalopoles des éditions Autrement, portant sur la ville de Mexico (après Shanghai, New York et Moscou). Formellement, ce volume, richement illustré de cartes (réalisées par Anne Le Fur, cartographe à l’Afdec et maître de conférence pour la cartographie à Paris I) et de photographies (dues à Jérôme Sessini, reporter à Gamma puis à L’œil public, spécialiste de la frontière américano-mexicaine) suit le modèle des précédents (origines historiques, la ville mondiale, au cœur de la ville, la mégalopole et sa région, quel avenir ?), sur lequel nous ne reviendrons pas.

L’ouvrage s’ouvre sur trois photographies (un terminus de microbus à la jonction ville-centre et périphérie ; un vaste parking assez vide devant des lotissements résidentiels de la grande périphérie ; le métro saturé aux heures de pointe) et une carte de la zone métropolitaine qui mettent l’accent sur le gigantisme de Mexico (20 millions d’habitants sur 1800 km2 d’espace urbanisé) et la question de l’aménagement des transports. Mais dès l’introduction, les auteurs invitent le lecteur à « oublier la monstruopole ». Ils se proposent de retrouver sa complexité en raisonnant à quatre échelles : la ville-centre héritée de l’histoire ; le District fédéral (DF, la municipalité de Mexico) ; la zone métropolitaine (ZMVM, l’agglomération de Mexico) ; le Grand Mexico (la majeure partie de la région Centre, structurée par une couronne de villes dans un rayon de 100 km autour de la ville-centre, et future entité d’aménagement). Ils se demandent aussi si Mexico, mégapole du tiers-monde, est en train de devenir une ville globale, et quelles sont ses relations avec l’ensemble du Mexique.

La partie historique part de la cité préhispanique fondée en 1325, puis revient rapidement sur la conquête espagnole qui fait de la ville reconstruite un palimpseste et la capitale prospère de la Nouvelle-Espagne et du Nouveau Monde. Grâce à l’électrification et au chemin de fer, la seconde moitié du XIXe siècle est la période d’un nouvel élan démographique et d’une rupture économique (industrialisation), urbanistique (rupture avec le caractère colonial, étalement urbain) et sociale (début de la ségrégation socio-spatiale). Après la Seconde Guerre mondiale, Mexico devient la ville la plus peuplée du monde, sortant de ses limites administratives, et la capitale économique du Mexique (près de 40% du PIB national en 1985). Mexico cumule alors, à la veille du séisme de 1985, les problèmes du tiers-monde (pauvreté, manque d’eau et d’hygiène, malnutrition) et du monde industrialisé.

Les auteurs caractérisent ensuite Mexico comme une mégapole, exceptionnelle dans les années 1970, plus banale dans les années 2000 et dépassée par les mégapoles asiatiques et africaines. C’est une ville mondiale par son rayonnement historique et culturel, mais une ville globale incomplète, bien qu’elle concentre des fonctions supérieures de commandement (fonctions politiques, tertiaire supérieur dans le nouveau CBD de Santa Fe), plus de la moitié des IDE au Mexique, 40% du PIB national (pour l’ensemble de la région Centre) essentiellement tirés des activités tertiaires, dominantes, et industrielles (qui partent de plus en plus dans la périphérie de Mexico). Mexico, à l’image du Mexique, reste économiquement et touristiquement dépendante des Etats-Unis, et souffre de la crise économique qui les frappe depuis 2008.

La partie intitulée « Vivre la ville, à Mexico » change d’échelle, pour aborder de façon très détaillée les différents problèmes que connaît la capitale : inégalités socio-spatiales très fortes, qui se traduisent dans l’espace résidentiel par l’opposition entre des quartiers autoconstruits, des quartiers fermés (décrits en 2007 dans le film La Zona, propriété privée) et de nouveaux lotissements périphériques clos aussi pour des catégories sociales moins aisées ; problèmes d’approvisionnement en nourriture (présentation intéressante des nouvelles halles de Mexico), en électricité, en eau; question cruciale des déplacements entre automobile, métro et autobus publics, microbus privés qui accompagnent l’étalement urbain, en fonction des inégalités sociales et spatiales.

Enfin, les auteurs mettent en lumière l’amorce d’un processus de mégalopolisation à l’échelle du Grand Mexico. Une région métropolitaine s’organise dans un rayon de 100 km autour de Mexico, par l’essor démographique (quand la croissance de Mexico ralentit) et industriel (activités souvent redéployées à partir de la capitale) de villes comme Toluca, Cuernavaca, Puebla et Tlaxcala, Pachuca. Cette réorganisation repose sur un réaménagement global des transports et l’interconnexion de ces centres secondaires, rendus difficile par l’absence d’un gouvernement du Grand Mexico, les différents espaces n’étant plus, depuis l’introduction du multipartisme en 2000, gouvernés par le seul PRI. Se posent aussi, avec l’émergence des préoccupations environnementales, les questions du contrôle de l’étalement urbain et de la gestion de l’eau, mais là encore le manque d’harmonisation entre les différents échelons administratifs et politiques pose problème.

Mexico apparaît ainsi aujourd’hui comme une mégapole tertiaire et dynamique de rang mondial, qui connaît cependant une pauvreté importante et des inégalités très fortes. C’est la capitale d’un pays qui s’interroge sur sa place dans l’économie mondiale et par rapport à son puissant voisin. Il lui manque des structures d’administration et de gestion régionale, nécessaires pour les grands projets d’aménagement d’infrastructures que l’évolution vers une mégalopole et les problèmes de vie quotidienne réclament.

On apprendra beaucoup dans cet atlas, dont la cartographie, très lisible, sert principalement de soutien au texte. Il permettra de renouveler ses connaissances sur une mégapole du Sud que l’on connaissait plus pour ses problèmes au quotidien, sa violence (moindre qu’à la frontière avec les Etats-Unis) et sa pollution. On y trouvera bien sûr une riche matière pour des séquences et autres études de cas au collège comme au lycée.

Laurent Gayme

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