Jean-Pierre Peyroulou, membre de l’Institut des mondes africains, est déjà auteur en collaboration de “Histoire de l’Algérie à la période coloniale” et de “ Guelma 1945 : une subversion française dans l’Algérie coloniale”.

Il précise dès l’introduction qu’il entendra le mot “décolonisation” dans un sens large et ne se limitera donc pas au processus d’indépendance. Il souligne aussi qu’un certain nombre d’ éléments ne sont pas cartographiables, comme le rôle des religions ou celui des églises, et pourtant leur importance est réelle. L’ouvrage est structuré en quatre parties, avec les verbatim habituels et une bibliographie.

1937-1954: la fin des empires coloniaux
Le tour d’horizon commence par le Japon qui étendit son emprise sur l’Asie du Sud-Est aux dépens des puissances occidentales. L’auteur parle aussi à plusieurs reprises de l’empire des Indes. Avec le Quit India, des révoltes éclatent spontanément montrant la force du parti du Congrès. La Seconde guerre mondiale a contribué à industrialiser l’Inde, ce que l’Angleterre avait refusé d’encourager jusque-là. Le tour d’horizon se poursuit en soulignant combien l’Afrique fut aussi un théâtre de ce conflit avec les conséquences que cela allait entrainer en terme de décisions aux lendemains du conflit. Cela se traduit notamment par le réveil des revendications politiques et l’auteur propose de les incarner avec Ferhat Abbas. Il cible des évènements comme le 8 mai 1945, évoquant Guelma. Il rappelle qu’à la différence de Sétif, aucun Français ne périt le 8 mai, mais 12 le 9 et 10. Il utilise le terme de policide pour désigner cet episode car “les Algériens sont tués…pour leur appartenance politique”. Ensuite, on change d’échelle pour aborder l’ébranlement de l’Empire français entre 1945 et 1954. A Madagascar en 1947, il y eut au moins 11 000 morts.
Quand il évoque la quatrième République l’auteur donne des précisions intéressantes, loin de l’image noire de ce système. L’Union française a permis le développement d’une vie politique dans des assemblées locales et l’action de certains députés comme Gaston Monnerville. De son côté, le Royaume-Uni, qui réalisait en 1950 la moitié de ses échanges avec des pays membres du Commmonwealth, a su garder ce qui se révèle un atout depuis trente ans dans le cadre de la mondialisation.

Emergence du tiers monde, Guerre froide et arabisme

Cette partie se révèle très utile notamment dans le cadre des programmes de STMG et ST2S. Des angles très différents sont proposés, car Jean-Pierre Peyroulou évoque un homme (Frantz Fanon), un lieu (Bandung), ou encore un produit à travers l’exemple du pétrole. Ce sont des façons originales de poser la question de la décolonisation et de ses lendemains. Il retrace efficacement les principaux événements de la période 1956-1973. Pour Frantz Fanon, une carte permet de suivre ce que l’auteur appelle ses quatre identités. La page 51 propose un document peu souvent vu à savoir l’évolution de l’opinion des Français sur l’indépendance de l’Algérie entre 1956 et 1959 et selon les familles politiques.

Décolonisation en Afrique et développement

On trouvera ici une chronologie des indépendances après 1945 et l’auteur rappelle bien que le critère essentiel fut le pourcentage des colons plutôt que la nationalité française ou anglaise de la colonie. Un certain nombre de cas sont alors évoqués comme le Kenya, le Cameroun. Il traite également de la décolonisation portugaise marquée par son caractère tardif. Ses colonies représentent un quart des exportations en 1956 et, pour s’opposer à l’indépendance de ses colonies, le Portugal argua de la lutte contre le communisme. Cet argument lui permit de recevoir un certain nombre de soutiens internationaux et de prolonger sa présence. Jean-Pierre Peyroulou rappelle que l’indépendance politique ne s’est pas accompagnée de l’indépendance économique. Pourtant, l’augmentation des prix des produits de base au début des années 2000, à la suite de l’essor des pays émergents et par conséquent l’augmentation de la demande mondiale, a permis de desserrer l’étau de la dette dans certains pays africains (pétroliers surtout). Une double page est consacrée à l’aide au développement et on n’oubliera pas quelques chiffres pour relativiser un afro-pessimisme parfois ambiant. En effet, l’espérance de vie est passée de 40 à 52 ans entre 1960 et 1990 et la mortalité infantile divisée par deux.

Questions néocoloniales et postcoloniales

L’influence coloniale a-t-elle disparu lors de l’indépendance politique ? , qu’en est-il de la dépendance économique ? , de la question des réparations ?, de la place du fait colonial dans nos représentations mentales ? Tous ces points sont abordés à travers des études de cas, ce qui est très judicieux. Le livre évoque donc les interventions françaises en Afrique qui ont à la fois pour buts de lutter contre le terrorisme, mais aussi évidemment de préserver les intérêts du pays. L’auteur cite des exemples d’entreprises présentes sur le continent page 76. Les liens économiques en tout cas ne sont plus exclusifs comme dans les années 60. L’auteur évoque le cas des harkis, mais aussi du Sahara occidental en rappelant que depuis 1994, le référendum sur le statut du territoire est sans cesse repoussé. Qui doit voter ? La question est pour l’instant insolvable. La Minurso, récemment prolongée, est en tout cas la seule mission de maintien de la paix de l’ONU à n’avoir pas de mandat pour recenser et rapporter les violations des droits de l’homme. Finalement, la communauté internationale se satisfait sans doute de cette situation où le Maroc incarne une certaine stabilité dans une zone marquée plutôt par l’inverse. Le livre se conclut en abordant le cas d’Israël et de la Palestine en privilégiant une vue sur les évènements récents. Il évoque enfin les émeutes de 2005 en France. Cette dernière partie pourrait donc sembler hétéroclite, mais elle permet d’envisager des échelles différentes du phénomène post- colonial.

Au total, Jean-Pierre Peyroulou propose donc une approche très large du phénomène de la décolonisation, et en tissant des liens jusqu’à aujourd’hui, il permet de réfléchir au fait de savoir si l’indépendance n’est que politique. Il propose également de nombreux documents qui peuvent former des bases pour les cours de lycée.

© Jean-Pierre Costille, Clionautes.