Aviez-vous déjà entendu parler de Iquique, de Mafeking ou de Sazan ? Cela peut se comprendre car ces pays ont aujourd’hui tous disparu et n’ont eu pour certains qu’une existence très brève. Bjorn Berge les fait revivre dans cet atlas très original. Passionné d’histoire, il est aussi collectionneur dans l’âme, notamment de timbres, ce qui a son importance dans la construction de cet ouvrage.  

A la découverte des pays disparus

Bjorn Berge a en effet construit son enquête en prenant comme appuis les timbres, les témoignages individuels souvent littéraires et les travaux historiques. Ce choix des timbres, qui pourrait paraître curieux, s’explique par le fait que plus de 1 000 régimes en ont émis. Le livre est structuré de façon chronologique et chaque entrée est accompagnée d’une phrase dans le sommaire. Ensuite, chaque fiche se présente de la façon suivante : un encart avec la date de création et de durée de vie du pays, une carte pour le situer, puis un développement en quelques pages qui présente l’histoire du pays. On trouve une rapide bibliographie à la fin de chaque article et parfois une illustration, ou même encore une recette.

1840-1860

Cette première partie présente dix exemples. On navigue sur la planète allant de l’Italie, avec les Deux-Siciles, au Nouveau- Brunswick. L’exemple des deux-Sicile peut servir dans le programme de première. En effet, Ferdinand 1er fut réinstallé au pouvoir après le congrès de Vienne. L’Etat exista jusqu’en 1860 puis disparut lors de l’unification de l’Italie. Parmi les cas étonnants, on peut citer Heligoland. Les Britanniques proposent aux Allemands d’échanger Heligoland, ces deux îles du littoral nord-occidental allemand d’à peine 1,7 km2, contre l’île de Zanzibar. On peut se rendre aussi dans la province argentine de Corrientes, parcourue par un écrivain norvégien au début du XXe siècle, qui a choisi d’y situer nombre de ses romans. Ce fut la première province d’Argentine à émettre des timbres-postes. Autre cas étonnant, celui des Indes occidentales danoises qui existèrent de 1754 à 1917. Les premiers colons débarquèrent dans ces îles des Caraïbes en 1666. Ensuite, ce territoire devint une propriété des Etats-Unis qui les rebaptisèrent en Iles Vierges mais conservèrent du danois les noms de rues. Elles furent rachetées 25 millions de dollars. 

Obock, Orange et Sedang

Obock se situe vers l’Ethiopie actuelle et donne sur le Golfe d’Aden. La zone a été achetée par la France en 1862. C’est la première colonie française en Mer Rouge et cela s’explique par le contexte de construction du canal de Suez.  Signalons qu’Arthur Rimbaud est passé à cet endroit. L’auteur évoque également le cas de la Roumélie qui permet de se rendre compte du jeu des grandes puissances. Cette zone, située à l’est de la mer Noire, montre que les grands pays ne tinrent pas compte des populations locales. On trouve aussi quelques cas plus connus, comme l’état libre d’Orange. Peuplé à l’origine notamment par les Bochimans du peuple san, cette République autonome a été fondée en 1854. Cela représente un état quatre fois plus grand que les Pays-Bas. On peut relever aussi le cas de Sedang en Indochine. David de Mayréna voulut s’y tailler un royaume. On était à la fin du XIXe siècle dans un contexte de colonisation. Il est couronné et il souhaite ensuite obtenir une reconnaissance internationale. Mordu par un cobra, il meurt en 1890 et son royaume disparaît avec lui. Sedang se situe à présent au Vietnam et il ne reste de cet épisode que des timbres. 

De 1890 à 1915

On se dirige ensuite à Kiautschou, territoire aujourd’hui situé en Chine. A la fin du XIXe siècle, l’Allemagne est en retard en matière de colonisation et tout est bon pour combler cette lacune. Profitant d’un prétexte, en l’occurrence l’assassinat de deux missionnaires allemands, le pays cherche à s’implanter en Chine. Il se fait reconnaître une concession pour une durée de 99 ans. C’est l’enthousiasme en Allemagne et on baptise des pâtisseries du nom du nouveau territoire. Aujourd’hui, et sans qu’on le sache forcément, on peut encore mesurer l’empreinte allemande puisque c’est dans cette zone qu’est produite la Tsingao, bière connue dans le monde et qui porte donc la trace du passé allemand de ce territoire. On voyage aussi vers la Terre de feu qui fut l’objet d’une ruée vers l’or à partir de 1884. Un aventurier, Julius Popper, se fit passer pour un archiduc afin de dominer ce territoire. Il y vécut en grand seigneur durant quelques années avant d’être retrouvé empoisonné en Argentine en 1893. Bjorn Berge présente la zone du canal de Panama et rappelle que plus de 20 000 ouvriers trouvèrent la mort lors de son percement, victimes de la fièvre jaune ou de la malaria. 

Lendemains de guerre

L’auteur braque ensuite son regard sur le cas d’Allenstein qui n’a jamais été réellement un pays. En effet, à la suite de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles prévoit que les habitants de cette zone auront le choix de se rattacher soit à l’Allemagne, soit à la Pologne. Ce fut un raz-de-marée en faveur de l’Allemagne. On voyage ensuite vers Batoum, zone pétrolière située en Géorgie. Un écrivain norvégien, prix Nobel de littérature, y est passé et a témoigné sur la vie dans cette ville. La zone fut occupée un temps par les Britanniques qui furent déçus des résultats. On voit également des cas très connus comme Dantzig, la future Gdansk. La ville ne fut pas épargnée pendant la nuit de cristal de 1938. Autre cas connu, celui de Fiume. Cet endroit était peuplé d’Italiens, il accueillait également des minorités hongroises et croates. La ville fut surtout connue pour l’expédition menée par Gabriele d’Annunzio en 1919.

1925-1945

L’auteur évoque d’abord dans cette partie le Mandchoukouo qui dura de 1932 à 1945. Ce pays, de la taille de la Suède, fut notamment connu par le fait qu’il abrita la zone 731 où les Japonais se livrèrent à des expérimentations sur des êtres humains. Le Mandchoukouo est réintégré à la Chine en 1945. Le tour du monde se poursuit à Sazan, cette île d’à peine 6 km2, située au large de l’Albanie. Cet emplacement stratégique fut souvent convoité et, après 1945, des forces militaires soviétiques y implantèrent une base sous-marine avant d’être remplacées un temps par des Chinois à la suite de la brouille idéologique entre l’Albanie et l’URSS.

De 1945 à 1975

Bjorn Brege relate le cas de la ville de Trieste entre 1947 et 1954. Cette ville, fondée par les Romains, fut successivement administrée par les Autrichiens et les Hongrois. Devenue italienne après la Première Guerre mondiale, on vit s’y développer une  culture très bariolée, fruit d’une population cosmopolite. L’ONU décida d’en faire un territoire libre avant que la zone ne soit finalement partagée entre l’Italie et la Yougoslavie. Parmi les cas célèbres, l’auteur consacre une entrée au Biafra. Il cite d’ailleurs à ce propos le très beau livre de Chimamanda Ngozi Adichie « L’autre moitié du soleil ».  

Des compléments très originaux

On a évoqué le fort tropisme de l’auteur pour les timbres et il est vrai que la collection qu’il expose tout au long de l’ouvrage est réellement impressionnante. Même si on n’est pas fan de ce type de collection, il faut reconnaître que les timbres sont de bons vecteurs pour comprendre les racines d’identités nationales, aussi fugaces furent-elles parfois. Il parsème aussi son ouvrage de recettes comme celle du kalakand, un gâteau à base de safran et de fruits secs ou encore celle de la soupe fah-fah. On lira aussi avec intérêt ses conseils cinéma avec parfois de vieux films comme « La bigorne », « Caporal de France » ou encore « Tanger ».

C’est donc un ouvrage très original, agréable à lire et à parcourir au rythme de ses envies. On navigue à travers la planète en découvrant souvent des cas très étonnants, avec des pays qui eurent parfois une durée de vie très brève.

(C) Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.